Annualisation, bivalence, élargissement des missions et du temps de présence, Marcel Pochard n’a éludé aucune question du Café. Il explique les propositions de la commission sur le métier d’enseignant. Avec conviction.
Le Livre vert suscite passion et réactions. Que pensez-vous de l’accueil que les enseignants lui ont fait ?
J’ai senti deux types de réaction. D’abord, du côté de certains syndicats, une sorte de rejet de principe, quasi épidermique, qui me stupéfie ; cela voudrait-il dire qu’il y a des sujets que l’on ne peut mettre sur la table et que l’on ne veut pas regarder en face ? Et puis, j’ai perçu chez de nombreux interlocuteurs un intérêt pour la mise à plat entreprise par la Commission. Vous savez, on a travaillé de façon très libre avec une volonté de dire ce qui est et de présenter objectivement les alternatives de solutions dans leur réalité.
Au Sénat, vous avez défini trois points particulièrement importants du rapport. En premier vous avez mis l’autonomie des établissements.
C’est au centre de gravité de beaucoup de préoccupations et susceptible de remédier à l’individualisme, à l’isolement des enseignants, à l’absence de marge de manoeuvre dans les établissements. On a pu laisser entendre que nous abordions la question sous l’angle institutionnel ; ce n’est pas le cas ; on est arrivé à cette question de façon très concrète : comment construire des communautés éducatives vivantes ?
Sur ce point il y a les bases d’une convergence avec les syndicats : comment créer une dynamique du collectif ? Et pour cela comment doit-on organiser les responsabilités, le travail en équipe.
Vous avez des modèles ?
A vrai dire, il y a peu de pays où il n’y ait pas des responsabilités accordées aux équipes pédagogiques, à l’échelon de l’établissement. Nulle part ailleurs on a un système où l’enseignant dans sa classe ne se situe que par rapport à des normes nationales, un programme et des obligations de service définis nationalement. Ça ressemble à la façon dont les révolutionnaires de 1789 concevaient la démocratie : un rapport direct entre les citoyens et la loi. Pas de corps intermédiaire. Il y a un peu de cela chez les enseignants. Dans cette optique, ce qui importe c’est la liberté complète de l’enseignant. Ce modèle là n’existe que chez nous sous cette forme aussi tranchée.
Mais peut on instituer de l’autonomie ?
On sait bien que cette notion constitue un thème difficile. Pour que l’autonomie se crée, il faut que les enseignants disposent de marges de manœuvre. Si les enseignants sentent qu’ils peuvent exercer une vraie responsabilité pour faire avancer les élèves, alors ils utiliseront cette autonomie.
Mais où est la marge de manoeuvre ?
Essentiellement dans le fait de donner plus de responsabilités à l’équipe dans l’organisation pédagogique ou celle du travail des enseignants. Par exemple en dégageant un volume d’heures qui soit à disposition pour de l’approfondissement, de l’accompagnement…
N’est-ce pas en contradiction avec l’idée, que l’on trouve également dans le rapport, d’avoir une gestion plus proche des enseignants ?
La gestion de proximité n’a pas pour objet d’encadrer les enseignants, mais de leur permettre un accompagnement, et un suivi professionnel.
J’ai été frappé par un enseignant qui écrivait « l’administration mène sa vie de son côté et nous du nôtre ». On voit bien que les enseignants souhaitent, à certains moments, avoir des contacts avec l’administration, pour faire le point de leurs perspectives de carrière. Il y a beaucoup de générosité chez eux.
Mais on a l’impression que ces cadres intermédiaires pour vous ce sont les chefs d’établissement. Vous pensez qu’ils peuvent se transformer en managers gérant l’autonomie ?
Comme l’a expliqué Michel Rocard : « si on attend que toutes les conditions soient remplies pour faire passer une réforme, on risque de ne jamais la faire ». On voit bien qu’il y a des réserves devant l’idée de renforcement du rôle des chefs d’établissement et qu’eux-mêmes ont des interrogations. Souvent ils ne souhaitent pas que leur rôle change. Et cela se comprend. L’institution éducation nationale vit en vase clos. Les chefs d’établissement partagent souvent les mêmes craintes que les enseignants et donc les mêmes réticences.
Quand on lit le rapport on a l’impression que sur ce point le modèle de référence c’est l’enseignement privé. C’est le cas ?
C’est en premier lieu l’enseignement agricole. Il fonctionne selon des modalités remarquables. Il a des missions qui ne sont pas seulement d’enseignement, il mélange les publics, il est enraciné en contact avec les professions. Il y a des tas d’ingrédients qui lui donnent une certaine dynamique. Les entretiens d’évaluation que les enseignants ont avec leur chef d’établissement ne posent pas de difficultés.
Un autre point du rapport concerne l’allongement du temps de présence des enseignants dans les établissements. Vous croyez que cela va être facile à négocier ?
Les syndicats demandaient qu’on libère trois heures d’enseignement pour la concertation, le travail en équipe, les relations avec les parents, mais sans encadrement. Ça je n’y crois pas. Il faut un minimum d’organisation de ces activités : une des options est de prévoir un temps de présence dans l’établissement. Presque partout en Europe, ça marche comme cela.
Pour nous, au Café, l’annualisation semble la question qui peut susciter le plus de résistance. C’est votre avis ?
Ce n’est pas la plus facile. Mais on voit bien que le découpage hebdomadaire est source de rigidités et si on veut de la souplesse pédagogique, il faut aborder autrement les obligations des enseignants. L’objectif consiste à ce que les communautés éducatives puissent s’organiser sans avoir l’œil rivé sur les 18 heures. Et après tout, les enseignants déclarent tous qu’ils font beaucoup d’heures, et il ne s’agit pas d’accroître le temps d’enseignement, mais de l’organiser autrement. Ce qu’on veut d’abord, c’est que le sujet soit débattu vraiment. Ce qui est surprenant c’est le refus de débattre.
Il en est de même pour la question de la bivalence. Didactiquement, c’est quand même plus logique de faire découvrir aux élèves de façon globale sciences et vie de la terre, physique et technologie qu’isolément. Les élèves pénètrent mieux le sujet.
Encore faudrait-il que les enseignants se sentent capables de le faire. Ils ont reçu une formation strictement disciplinaire …
C’est frappant que les enseignants soient regardés comme aptes à traiter de toutes les matières jusqu’à 11 ans, et qu’après 11 ans ils ne le soient plus. Le projet Langevin Wallon envisageait cette bivalence « en fonction des besoins des enfants » de 11 à 15 ans.
La formation disciplinaire des enseignants devra évoluer. Sans brutalité mais il faut bien ouvrir ces opportunités. Les profs de LP le font déjà. On est le seul pays arc bouté sur la monovalence. Le seul…
Autonomie des établissements, annualisation, élargissement de la mission des enseignants : c’est une rupture avec la tradition française et un alignement sur les systèmes scolaires des pays protestants (anglo-saxons, Europe du nord). La France peut-elle passer ainsi d’un modèle à un autre, de Durkheim à Dewey ?
Rupture, alignement, modèle; pourquoi cette volonté de théoriser ? Restons pragmatiques. Le seul « juge de paix » de la Commission a été ce qui est bon pour les élèves. Et il y a bien longtemps qu’en France on a mis en évidence le mal de l’individualisme, la rigidité des emplois du temps, l’insuffisance de coordination. Il s’agit de se donner les moyens d’y remédier. Rendre autonomes et responsabiliser les équipes éducatives, assouplir les règles d’organisation des emplois du temps, impulser une dynamique du travail en équipe, cela n’est ni du Nord, ni du Sud, ni anglo-saxon, ni latin ; c’est une nécessité pour faire réussir les élèves.
Entretien François Jarraud