Par François Jarraud
Le rapport Pochard traite du métier d’enseignant. Depuis plusieurs jours il est largement commenté dans la presse et les lecteurs du Café ont eu le privilège de le découvrir avant les autres en texte intégral. Que propose-t-il ? Quel peut-être son impact sur le métier d’enseignant ?
Ce rapport important (plus de 200 pages) s’appuie autant sur les enquêtes précédentes (jusqu’au rapport Ribot du début du XXème siècle !) que sur les auditions. Il s’articule autour de 6 thèmes. S’agissant des salaires, le rapport estime que les rémunérations des enseignants ont en gros évolué sur 20 ans comme les salaires moyens mais qu’ils sont en baisse ces 5 dernières années et qu’ils sont nettement inférieurs (de 20 ,à 30%) aux salaires des enseignants en Europe pour les débuts de carrière. Pour autant le rapport n’apporte pas de réponse si ce n’est de faciliter les secondes carrières, un domaine où le ministère piétine.
Concernant les établissements, la commission souhaite renforcer l’autonomie. « Les derniers résultats de PISA montrent que tous les pays qui ont de bonnes performances scolaires ont donné à leurs établissements de larges marges de responsabilité dans leur organisation » note-elle. Elle ajoute » L’autonomie des contenus d’enseignement ou de la certification n’est pas envisagée. La conviction que les programmes et les diplômes doivent rester nationaux est un point de consensus. Même dans les pays qui ont le plus décentralisé leur système éducatif et donné une large autonomie à leurs établissements, l’Etat conserve la maîtrise des contenus et des diplômes ». Cependant la commission souhaite que les établissements puissent modifier les curricula, disposer de 10% de la DHG, signer un contrat avec chaque enseignant et choisir les affectations, fixer les conditions d’exercice des enseignants. Dans le premier degré, elle est favorable aux Epep (établissements publics).
Les conditions d’exercice du métier devraient aussi évoluer par le développement de la bivalence et l’intégration dans un horaire annualisé des tâches qui ne sont pas d’enseignement mais d’éducation.
Le recrutement serait également modifié. La commission insiste sur la nécessité d’ouvrir socialement le métier à des jeunes moins favorisés. Elle penche pour une distinction entre certification et recrutement : le concours ne ferait pas l’affectation.
Sur le plan de la carrière, la commission est attachée à une différenciation par le mérite des carrières, celle-ci pouvant être évaluée par le chef d’établissement.
Le Livre vert
http://media.education.gouv.fr/file/Commission_Pochard/18/8/livre_vert_23188.pdf
Le rapport Pochard remis à X. Darcos
Ni Xavier Darcos, ni Marcel Pochard ne pouvaient ignorer les réactions qui s’étaient fait connaître la semaine dernière à propos du livre vert sur la condition enseignante, disponible depuis samedi dans une pré-version sur le site du Café, que la démission de Michel Rocard de la commission de travail a contribué à très largement médiatiser.
Lors de la conférence de presse du 4 février, la préoccupation de désamorcer les conflits était claire. Marcel Pochard a insisté sur la grande diversité des points de vue pris en compte dans le rapport, tandis que Xavier Darcos, en affirmant sa volonté de remettre en cause un statut datant de 1950, mettait en avant l’aspect raisonnable de sa démarche. Il faudra cependant beaucoup plus qu’une affirmation de logique, de transparence et de bonne volonté pour que les organisations enseignantes acceptent de discuter sereinement des propositions d’évolution que le gouvernement voudra retenir du livre vert.
Sur le Café, lire le reportage de Françoise Solliec
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/05022008LivrevertPochard.aspx
Eclairage : Pochard : Affronter ou adopter ?
Baffe sur le parent d’élève, torgnoles sur les élèves. L’ambiance semble se dégrader peut-être un peu plus qu’un mois de février ordinaire. Est-ce pour cette raison ? Rarement la profession aura été autant sur la défensive qu’actuellement. Après des mois de « Robineries » plus urticantes les unes que les autres, les enseignants encaissent une réduction drastique des postes et maintenant une série de rapports qui attaquent tous l’existant. Parmi ceux-ci le rapport Pochard a une particularité : il n’a pas recueilli pour l’instant que des jugements négatifs. C’est peut-être parce que, si certaines dispositions sont de véritables casus belli, d’autres s’appuient sur des travaux sérieux. A nous de tenter le tri.
Faut-il accorder plus d’autonomie aux établissements scolaires ? Le rapport préconise d’aller assez loin en ce sens en donnant la possibilité aux établissements d’adapter le curriculum et de disposer d’un volant de gestion de la DHG (10%). L’établissement autonome est-il plus efficace ? Oui répondent les chercheurs qui mettent en avant une meilleure adaptation de l’enseignement au public scolaire. Mais, affirmait N. Mons dans un article publié par le Café, « tout dépend concrètement du dispositif mis en place. Si l’autonomie pédagogique est associée quand elle suit certaines organisations à de meilleurs résultats des élèves, le transfert de nouvelles responsabilités aux chefs d’établissements dans les domaines budgétaires ne semble pas directement en lien avec les apprentissages. Si l’autonomie peut être bénéfique en termes d’efficacité, par contre, cette recherche montre que c’est l’organisation centralisée (programmes nationaux, recrutements centralisés, certification nationale…) qui est associée aux inégalités scolaires et sociales les plus faibles. Il est donc crucial de créer une régulation nationale qui permette à la fois d’offrir plus de flexibilité et d’encadrer l’autonomie des établissements, de façon à ne pas créer un système à plusieurs vitesses ». Il faudrait donc veiller au bon équilibre entre Etat, collectivités locales et établissement. Si on ne le fait pas on risque d’accroître rapidement les inégalités. Résultat plusieurs pays européens qui avaient décentralisé sont en train de renforcer la place de l’Etat ( Angleterre, Hongrie par exemple).
Faut-il renforcer le rôle du chef d’établissement ? Le rapport préconise de lui donner un droit de regard sur l’embauche, de lui faire évaluer les enseignants et impulser les choix pédagogiques. On sent derrière ces recommandations le modèle du leader capable de faire marcher l’établissement par son propre rayonnement. Et le rapport évoque sans cesse « l’effet chef d’établissement ». Le problème c’est que celui-ci n’est pas démontré. Le succès des établissements privés est souvent associé au fait qu’ils disposent de chefs d’établissement qui ont des pouvoirs bien plus larges que leurs homologues du public. Or ce que montre la thèse récente de M. Hassani, c’est qu’ils se distinguent de leurs collègues par un niveau d’intervention dans la vie de l’établissement beaucoup plus bas. Pour M. Hassani, bien loin d’être les patrons omniprésents que l’on imagine parfois, ils appartiennent majoritairement au modèle « individuel laissez-faire » c’est à dire qu’ils interviennent pédagogiquement très peu dans leur établissement. Les travaux sur les chefs d’établissement (Anne Barrère par exemple) mettent aussi en évidence leurs résistances à endosser un costume de manager. Là aussi s’il faut sans doute mieux encadrer les enseignants, ce sera plus compliqué que le simple renforcement des pouvoirs du chef d’établissement.
Elargir la mission des enseignants est évidemment une nécessité. De fait la démocratisation du système éducatif l’impose. Il faut reconnaître le travail d’orientation, de conseil des élèves et des parents. Il faut aussi assurer du temps au fonctionnement des équipes si l’on veut qu’elles existent. Le rapport propose d’élever le service à 22 heures avec une rémunération supplémentaire payée en HSE. Il ne dit pas si les profs peuvent valablement empiler des heures…
Les autres aspects concernent la carrière. Le rapport défend l’idée d’élargir le recrutement social des profs, rejoignant ainsi une préoccupation que P .Perrenoud avait émise il y a déjà longtemps. Il propose aussi de modifier les concours de recrutement, voire de distinguer concours et affectation. Le libre choix du chef d’établissement est-il susceptible de hisser le niveau ? On ne le sait pas.
Le dernier point que nous relèverons ici semble tenir à cœur à M. Pochard. C’est l’annualisation. Au Sénat, Marcel Pochard a encore plaidé pour la souplesse qu’une telle mesure apporterait. Il estime que le travail en équipe n’est pas suffisamment pratiqué et qu’il y aurait tout à gagner à définir clairement un temps de présence supplémentaire de 2 à 5 heures, organisé dans l’établissement et rémunéré. Il a encore défendu l’idée de l’annualisation. Il est clair que cette mesure jetterait dans la rue des milliers de professeurs. L’annualisation aboutirait à les faire travailler gratuitement. Ce serait une belle mesure de gestion mais une belle erreur politique. Entre ces deux pôles, dans une atmosphère de revanche sociale, de quel coté penchera X. Darcos ? Comment mener une réforme sans avoir à distribuer ?
La Commission a manqué à se prononcer sur ce que pourrait être une Ecole plus performante si l’on donne à ce mot une définition plus large que le coût de fonctionnement. Elle prétend que l’Ecole aille mieux sans toucher à la pédagogie, à l’organisation du temps scolaire, au climat scolaire. La véritable efficacité humaine de l’Ecole est pourtant à chercher sur ces terrains là. Comment impulser une pédagogie positive dans les classes ? Comment instituer l’interdisciplinarité ? Comment façonner des équipes ? Finalement quel type d’école veut-on ?
La commission
http://www.education.gouv.fr/pid495/commission-sur-evolution-metier-enseignant.html
Au Sénat, Marcel Pochard persiste et signe
L’audition au Sénat du 6 février fut pour Marcel Pochard l’occasion indirecte de tenter d’amener les enseignants à considérer moins négativement les réflexions de la commission qu’il présida et les perspectives ouvertes par son rapport. En présentant le livre vert sur l’évolution de la condition enseignante aux membres des commissions des affaires culturelles et des finances, il prit soin de souligner les réticences des enseignants et de répondre du mieux possible aux critiques rapportées dans la presse.
Lire le reportage de F. Solliec
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/07022008PochardauSenat.aspx
Le rapport Pochard divise les syndicats
« Bivalence, temps de service flexible pour les enseignants, horaires–élèves définis en partie localement, renforcement du poids d’un chef d’établissement autocrate chargé de distribuer blâmes et récompenses au gré de l’évaluation au mérite… tout y est. Tout, sauf la revalorisation des enseignants » estime le Snes qui voit dans le rapport Pochard « une vraie provocation ». Cette position est partagée par le Snuep, le Snep, l’Unsen Cgt, le SnFOlc, le Snetaa, Sud-Education ainsi que par le Snalc et le Sncl, classés à droite. Ces syndicats ont signé le 8 février déclaration estimant que la rapport « ne peut servir de base à une négociation ».
Ce n’est pas l’avis du Sgen Cfdt qui partage « l’idée de la commission Pochard de la nécessité pour une plus grande réussite des élèves de faire autrement et de faire évoluer le métier. Mais ces évolutions pour être acceptées par les personnels doivent s’accompagner de contre-parties et de garanties pour une part inscrites dans un statut rénové ». La Fep Cfdt,premier syndicat du privé, apporte des précisions. Elle « est prête à discuter des mesures permettant d’amener de la souplesse et une meilleure adaptation de l’enseignement aux besoins des élèves » mais relève deux points précis du rapport. « Si l’autonomie des établissements peut être source de progrès et de dynamisme pédagogique, ce ne saurait être la panacée. Le fonctionnement des établissements privés sous contrat, basé sur une certaine autonomie, ne donne pas pour autant la certitude que c’est la condition de la réussite des élèves ». Enfin la Fep est satisfaite que la commission ait repris une de ses demandes en vue d’autoriser les profs du privé sous contrat à enseigner dans un établissement public.
Communiqué Snes
http://www.snes.edu/snesactu/IMG/pdf/8_p_Rapp_Pochard.pdf
Communiqué Sgen
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article1580.html
Communiqué Fep
http://www.fep-cfdt.fr/actu/presse/pdf/CP7022008.pdf
Sur le Café : affronter ou adopter ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/02/07022008Accueil.aspx
Le Crap prudemment favorable au rapport Pochard
« Le métier d’enseignant a considérablement évolué dans son contenu, il est plus que temps que ces évolutions soient prises en compte dans les statuts. Reste à faire en sorte que ces évolutions soient aussi un levier pour faire évoluer l’ensemble du système ». Dans un communiqué, le Crap Cahiers pédagogiques affirme partager avec le rapport Pochard nombre d’idées mais reste prudent quant à leur application.
« Il est plus que temps aujourd’hui de redéfinir ce métier (d’enseignant), et ce « Livre vert » rédigé par la commission Pochard ouvre des perspectives dans ce sens » écrit le Crap. « Mais peut-on aujourd’hui vouloir rénover le métier enseignant sans faire évoluer le système scolaire dans son ensemble ? En posant fortement, mais partiellement, la question du fonctionnement des établissements, la commission Pochard a montré les limites de sa mission ».
Le Crap craint notamment que « faute de réflexion et de bilan approfondi sur le rôle de l’équipe de direction (et pas du seul chef d’établissement), sur la mise en place timide des conseils pédagogiques, faute d’accompagnement et de soutien dans sa mise en œuvre, cette autonomie reste une fois de plus lettre morte ». Enfin le Crap prend ses distances concernant l’annualisation. « La réussite d’une réforme doit impérativement passer par une recherche de l’adhésion des enseignants à ses objectifs et ses modalités : pour en rester à cet exemple, annualiser la charge de travail sans la diminuer, ou encore pire demander aux enseignants d’assurer une plus grande diversité de tâches au prix d’un surcroît de travail, en se contentant de promettre une rémunération supplémentaire, a bien peu de chances d’être perçu comme une amélioration de la définition du métier ».
Communiqué
http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=3573