François Gadeyne
Le concours Cicero : à vos marques…
Patrick Voisin est professeur de langues et cultures de l’Antiquité en classes préparatoires littéraires ; il est aussi directeur du Concours Européen Cicero. À l’occasion de l’édition 2008 de ce concours, j’ai voulu l’interroger sur le sens qu’il donnait à ce concours, et sur son organisation. Les réponses apportées de Patrick Voisin ont dépassé mes attentes : Cicero, c’est plus qu’un concours, c’est un événement emblématique, mais c’est aussi un espoir.
Cette année, le concours Cicero aura lieu le 29 mars, à Paris et à Strasbourg.
François Gadeyne. – À quelle occasion est née l’idée de ce concours ?
Patrick Voisin. – L’idée première d’un Concours de latin autour de la figure de Cicéron est née en 2006 : une association d’étudiants parisiens voulait se faire connaître dans les lycées et les universités et m’avait demandé, par l’un de ses membres que j’avais eu comme élève en khâgne, d’organiser une compétition de version latine. Une quarantaine d’élèves et d’étudiants de Paris et de la région parisienne y ont participé et l’expérience semblait intéressante, mais le Bureau de cette association n’a pas souhaité renouveler l’expérience en 2007, pour ne pas donner une image extérieure trop « antiquisante » à ce qui était une association d’étudiants en Droit. De mon côté, j’ai pensé que ce qui avait été construit pouvait et devait durer. J’ai donc profité d’un stage Socrates Comenius, réservé aux professeurs de lettres classiques venus des quatre coins de l’Europe à Oxford en août 2006 (sous l’égide de CIRCE, A CLASSICS & ICT RESOURCE COURSE FOR EUROPE : « Cours et ressources TIC européennes pour la formation des professeurs de langues anciennes » http://www.circe.be/), pour nouer des contacts et développer l’idée d’un Concours Européen engageant des professeurs, des élèves et des étudiants dans tous les pays de l’Europe.
FG. – Pourquoi « CICERO » ? Quel sens donnez-vous à sa création dans le contexte actuel ?
PV. – J’avais fidélisé un public d’élèves, d’étudiants et de professeurs à Paris, et je souhaitais que la nouvelle formule du Concours Européen soit dans le prolongement du concours de version latine de 2006, tout en ayant une identité nouvelle plus forte et plus profonde. J’ai donc eu l’idée de transformer le Concours de l’Institut Cicéron (nom de l’association d’étudiants) en Concours Européen Cicero où CICERO devenait un acronyme – trouvé en moins d’une minute ! – Certamen In Concordiam Europae Regionum Omnium : « Concours pour la concorde de tous les pays d’Europe ». Deux finalités se dégageaient de l’entreprise : promouvoir les valeurs de convivance et de paix en Europe autour de notre culture commune, promouvoir les langues anciennes dans ce cadre qui peut lui donner plus de poids pour résister aux agressions d’un monde qui n’a pas compris qu’il faut « conjuguer le passé au futur ». Il existe déjà des associations européennes faisant la promotion des langues anciennes, telle Euroclassica à laquelle la CNARELA a adhéré l’an dernier ; pourquoi ne pas envisager un Concours Européen ? Fortuna audaces juvat et labor omnia vicit improbus !
FG. – La dimension européenne que vous avez voulu donner à ce projet se comprend parfaitement, à la lecture de votre livre, Il faut reconstruire Carthage. Méditerranée plurielle et langues anciennes (L’Harmattan, Paris, 2007). Comment êtes-vous parvenu à donner à ce concours une envergure européenne ?
PV – Dans cet ouvrage j’appelle de mes vœux une Euroméditerranée culturelle, reposant sur des racines communes, et non seulement politique et économique… ! Mais revenons au Concours Européen Cicero. Donner au Concours une envergure européenne nécesssitait un « attelage » énergique ! J’ai trouvé en Mrs Anne Dicks, qui enseigne les langues anciennes à Malvern St James en Angleterre, un véritable alter ego ou allos autos. Conquise par l’idée et ayant déjà un site web personnel, Anne était l’élément moteur dont j’avais besoin pour que le Concours sorte des frontières de la France. Un troisième professeur, qui avait participé au stage d’Oxford, s’est joint à nous en Allemagne, à Berlin précisément. D’autres professeurs en Italie, aux Pays-Bas ou en Grèce ont préféré envisager leur participation pour 2008. Cela n’était pas plus mal, car monter le projet à trois donna déjà beaucoup de travail : élaboration d’un site en trois langues, coordination pour la date du concours, choix des épreuves et des sujets, organisation d’une visioconférence, recherche de sponsores, remises de prix… Le travail d’Anne au Royaume-Uni a montré la qualité de son engagement : elle a attiré l’attention de l’UNESCO sur notre Concours et elle a réellement impliqué la classe politique qui lui a accordé des interviews. En France un seul député européen a répondu favorablement à mes appels pour aider le Concours !
FG. – Serait-il envisageable de donner à CICERO une dimension « euroméditerranéenne » (sans tiret !) ?
PV. – Sans tiret, oui ! C’est un clin d’œil à mon livre bien sûr, où j’explique que dans le mot « Euro-Méditerranée » (Déclaration de Barcelone, 1995) le tiret est moins un trait d’union qu’un trait de séparation entretenue. Pourquoi ne pas ouvrir le Concours à la rive Sud ? Dans ce cas le Concours ne serait plus Européen, il serait Euroméditerranéen. Pour ma part j’y serais favorable mais c’est un autre projet et la décision ne peut être que collégiale, même si je suis Directeur du Concours. J’ai pensé à une formule que je préfère garder pour l’instant secrète, ne l’ayant pas encore proposée à mes collègues des autres pays engagés. Ce sera pour 2009, notre intention étant d’ajouter tous les ans des éléments nouveaux jusqu’à ce que le Concours devienne un grand Concours Européen. Il faut aller a mas disent les Espagnols. Mais je voudrais faire remarquer que l’Euroméditerranée est dans nos villes, la rive Sud est dans nos banlieues, déductions du monde contemporain ; d’une certaine manière le Concours peut donc être euroméditerranéen ; mon souhait est que les élèves qui pratiquent le latin dans le 93 (entre autres) participent au Concours en faisant table rase de leurs inhibitions. J’envisage cela avec l’association Mêtis.
FG. – Les candidats aux dernières sessions se sont-ils, à vos yeux, sentis européens ?
PV. – Oui je le pense. Le site du Concours, qu’ils devaient visiter pour tous les renseignements utiles et les bibliographies/webographies, contenait des pages nationales en français, en anglais, en allemand ; les sujets qui leur étaient proposés étaient rédigés dans les trois langues ; le classement de l’épreuve commune de culture était européen ; le Concours s’est déroulé en visioconférence et les Français regardaient de façon attentive les Anglais et les Allemands travailler en même temps qu’eux ; l’établissement du vainqueur a été récompensé par A Ray of Hope-UNESCO (association oeuvrant pour « une culture de la paix » dans le monde) qui avait créé un mini-site reprenant le nôtre avec fond de page à l’antique. Bref il y avait incontestablement une dimension humaine, d’ailleurs parfois amusante : les Anglais avaient une répartition du temps des épreuves leur permettant de terminer la journée at 5 o’clock for a nice cup of tea with a cloud of milk…, alors que les Français voyaient leur traditionnelle version latine se terminer à 18 heures ! L’édition 2008 risque d’être passionnante puisqu’elle associe en visioconférence les Anglais pour qui toute activité s’arrête normalement à 5pm et les Espagnols qui reprennent habituellement les leurs à 17h après la sieste !!! L’arbitrage de Bruxelles ne devrait cependant pas être nécessaire.
FG. – À qui exactement s’adresse ce concours ? Quels sont les élèves, quels sont les professeurs qui doivent se sentir concernés ?
PV. – Le Concours s’adresse aux élèves de 2nd cycle et aux étudiants des classes préparatoires littéraires ou de l’Université. Ces deux catégories ont une épreuve de culture qui leur est absolument commune, mais l’épreuve de langue (version latine) n’est pas de même longueur, même si le texte est lui aussi commun. Il a fallu choisir une implantation géographique limitée pour la première édition en 2007, le Concours ne pouvant disposer d’une logistique ministérielle ou associative (comme le Concours général ou le Concours Européen de grec). Avec le soutien de l’Inspection générale des lettres et de Monsieur Roger Fromont, IA-IPR de lettres à Paris, j’ai décidé d’organiser le Concours dans la capitale, où le potentiel de candidats était le plus nombreux – et avec la garantie d’un niveau de compétition élevé. Par ailleurs tout lycéen ou étudiant de France peut concourir, mais les frais de voyage sont nécessairement à sa charge, ou à celle de son établissement si un professeur en fait la demande pour lui, le Concours Européen Cicero ne disposant des finances d’aucune association. Cependant ma volonté en France est d’ouvrir le Concours géographiquement. En Angleterre Anne Dicks organise le Concours sur la région de Birmingham ; pour l’édition 2008 une nouvelle recrue, Cristina Sanchez, fait concourir les latinistes de la Province de Murcie, en Espagne. J’ai donc envisagé pour l’édition 2008 d’ouvrir un deuxième centre à Strasbourg. Parce que c’est la ville de l’Europe dans notre pays, parce que l’ARELAS (association de la CNARELA) a montré sa sympathie à l’égard du projet et parce que je puis y compter sur l’aide d’une amie fidèle pour organiser la compétition. Le Concours se décentralise donc, pour le grand plaisir de la CNARELA qui me reprochait d’oublier la province ! Je puis déjà annoncer qu’une troisième académie s’ajoutera l’an prochain, par affinité. Le rythme d’une académie nouvelle par an me tente, permettant d’intégrer progressivement toutes les régions dans une infrastructure construite pour durer. Voilà une forme de développement durable ! Peut-être ainsi le Concours deviendra-t-il un jour un Concours Européen pris en charge par l’Education nationale, mais pour l’instant nous ne demandons qu’un soutien moral et une aide dans l’information via les IA-IPR de lettres. Cette année les candidats ont donc le choix entre Paris et Strasbourg pour s’inscrire avant le 15 mars et composer le 29 mars de 13h30 à 18h, quelle que soit leur origine géographique, je tiens à le souligner. La correction des deux épreuves est bien entendu anonymée.
FG. – Quel est le contenu des épreuves ? Quelle place, selon vous, doit occuper la « culture » par rapport à la « langue » ?
PV. – Nous nous sommes mis d’accord l’an dernier qu’il devait y avoir une épreuve commune ; cela ne pouvait être une épreuve de langue, puisque les méthodes, les types d’exercices, les pratiques, les durées d’épreuves varient considérablement entre les pays européens. Nous avons donc envisagé une épreuve de culture sous la forme d’un questionnaire appelant des réponses précises, pour ne pas avoir à apprécier et confronter des discours développés dans des langues différentes, mais je me suis battu pour que ce ne soit pas un QCM avec réponse fournie entre plusieurs propositions. Le thème 2007 était le Mythe d’Europe, celui de 2008 le Mythe d’Héraklès/Hercule. Ces deux personnages mythiques se sont bien promenés en ou autour de la Méditerranée et ont une valeur civilisationnelle, par leur expérience de découverte de l’Autre et de l’Ailleurs. Toutefois j’ai tenu à ce que le Concours ne repose pas uniquement sur une épreuve de culture et j’ai donc proposé qu’il y ait une épreuve de langue qui soit nationale, chaque organisateur –à partir d’un texte commun- concevant une épreuve adaptée à la pédagogie des langues anciennes de son pays ; la version en 4 heures est une spécificité bien française, il faut la défendre. L’an dernier j’ai choisi un texte d’Apulée (aux accents euroméditerranéens !) disant que ce n’était pas le lieu de leur naissance qui faisait la valeur des êtres humains. Le site français du Concours contient les annales de l’édition 2007 ; chacun pourra donc se faire une idée précise des épreuves. Dans le prolongement d’Heinz Wismann je crois intimement que la culture n’est pas externe à la langue et ne peut donc être –mot très à la mode en téléphonie- externalisée. L’étude de la langue doit être la priorité des priorités ; elle seule permet d’accéder à la culture et elle a cette vertu bien nécessaire –en nos temps de replis identitaires et de comportements individualistes- de permettre le dialogue avec l’Autre ; traduire c’est se détacher de soi, aller vers autrui et revenir à soi enrichi de l’apport de l’Autre. Je développe ce point longuement dans mon essai Il faut reconstruire Carthage. Méditerranée et langues anciennes, à la lumière de ce que représente le dialogue linguistique sur la rive Sud de la Méditerranée.
FG. – Que faut-il faire pour y participer ?
PV. – Tous les détails figurent sur la page France du site principal et dans le blogue français.
Les candidats doivent s’inscrire individuellement par courrier électronique avant le 15 mars, soit auprès de moi s’ils composent à Paris (au Lycée Henri IV), soit auprès de l’ARELAS s’ils composent à Strasbourg (au Lycée Fustel de Coulanges). Les informations sur les épreuves et sur le déroulement du Concours figurent exclusivement sur ces deux sites.
FG. – Quelle(s) leçon(s) avez-vous tirée(s) des prestations des candidats ?
PV. – Ce Concours est véritablement sans enjeu par rapport aux études. Les candidats le font pour leur plaisir ; ils étaient presque cent l’an dernier, comme le prouvent les photos sur le site, à participer, pour avoir un diploma, selon l’idéal olympique ! Certains peuvent penser qu’ils seront des gagnants potentiels – principalement dans l’épreuve de langue –, mais l’épreuve de culture est très ouverte. Je crois que les langues anciennes ont un vrai public « amoureux » ; on ne les pratique pas avec indifférence, c’est pourquoi il y a toujours des latinistes et des hellénistes, alors que tout est fait pour les décourager. Les prix devaient rester modestes (livres, DVD, bons d’achat…), mais un candidat exceptionnel s’est révélé et je remercie Antoine de Neuville, Directeur d’Arista, d’avoir voulu le récompenser par un voyage en Grèce aux vacances de Toussaint 2007. Cet élève de 1ère (Alexis Ollivier) a été proclamé trois fois 1er prix au Concours général des lycées en latin et en grec (thème et versions) et a reçu un 3ème prix en composition française ; il n’était donc pas étonnant qu’il ait fait la meilleure version latine du Concours Européen Cicero, dépassant même les khâgneux sur la version complète. La succession est ouverte pour le Concours 2008 ! Mais, parallèlement à cette excellence que je souhaite pour le niveau du Concours, je tiens à ce que chaque établissement ait ses meilleurs candidats récompensés pour que le Concours soit à la fois élitiste (au meilleur sens du terme) et démocratique (sans discrimination de type d’établissement), à la manière des concours du monde grec antique. Tous les candidats ont notre reconnaissance puisqu’ils font vivre les langues anciennes.
FG. – Ce concours pourrait-il servir d’exemple à d’autres épreuves, examens ou concours, dans notre système éducatif et universitaire ?
PV. – Ce n’est pas mon objectif du tout. Je n’entends pas que le Concours Européen Cicero reçoive de consigne particulière des responsables de notre système éducatif et universitaire, même si je suis ouvert à des suggestions ou à des expériences qui y sont menées. Ce Concours n’a donc pas pour vocation d’être un exemple ou un laboratoire pour la pédagogie des langues anciennes ; il doit être exemplaire dans son organisation et établir une confiance chez les participants, mais – ne sutor ultra crepidam – il ne propose rien à personne. Que l’on s’en inspire est une autre chose et nous en serions fiers, mais je crois que l’évolution est déjà parallèle entre notre Concours et la pédagogie des « langues et cultures de l’antiquité » dans les classes préparatoires littéraires depuis la rentrée 2007 et dans le 2nd cycle à la rentrée prochaine, à l’initiative de l’Inspection générale des lettres. Nous sommes déjà très reconnaissants à l’égard du Doyen des lettres, Philippe Le Guillou, de nous apporter son soutien fidèle, et à deux Inspecteurs généraux d’avoir honoré les remises de prix de leur présence : Pascal Charvet et Patrice Soler, la cheville ouvrière de notre lien avec les corps d’Inspection étant Roger Fromont, IA-IPR de lettres à Paris.
FG. – Comment voyez-vous l’avenir de ce concours ?
PV. – Ce sont des terrae incognitae, soyons réalistes. Toute entreprise est menacée de ne pas trouver un souffle régénérateur et de disparaître, ou de devenir une « petite pratique » satisfaisant seulement l’ego de ses promoteurs, auquel cas le Concours devra tirer sa révérence. Le Concours Européen Cicero veut se développer : en France tout d’abord, mais surtout dans sa dimension européenne. La Belgique et les Pays-Bas qui souhaitaient participer de façon conjointe ont renoncé faute de l’aval des autorités flamandes dans le contexte d’une Belgique coupée en deux ; la Grèce est intéressée mais une certaine lenteur freine l’entrée en lice ; plusieurs lycées veulent nous rejoindre en Italie ; et nous avons des contacts en Tchéquie, en Lituanie… ; l’axe actuel Malvern-Paris/Strasbourg-Andorre-Murcie est donc appelé à s’élargir vers l’est, car les pays de l’Est connaissent un véritable intérêt pour les langues anciennes. Mais l’organisation du Concours et sa longévité ne s’arrêtent pas à l’existence de professeurs et de candidats intéressés par l’expérience ; nous sommes également tributaires de nos sponsores sans lesquels nous ne pourrions récompenser un nombre ouvert de candidats, pour les encourager à concourir en dehors de leurs obligations scolaires un samedi après-midi ; leur nombre est croissant et ils sont « les membres » qui permettent à « l’estomac » de fonctionner ! Je ne puis tous les citer ici pour les remercier ; ils sont chaleureusement mentionnés sur nos sites web. Les deux fondateurs que nous sommes avec Anne Dicks envisageons le Concours Européen Cicero comme une aventure à laquelle nous nous adaptons tous les jours, que nous développons tous les jours, que nous écrivons tous les jours…, avec nos nouveaux partenaires en Espagne (Cristina Sanchez) et en Andorre (Emilie Balavoine). C’est l’aventure de cette écriture qui nous donne l’énergie de lui consacrer une grande part de nos loisirs au-delà de notre travail de professeurs ! Car le Concours Européen Cicero n’est pas de l’ordre des negotia mais de l’otium !
Pour les renseignements et l’inscription
http://concourseuropeencicerofr.blogspot.com/
Contact pour l’inscription
Candidats qui composent à Paris
concourseuropeencicero@orange.fr
Candidats qui composent à Strasbourg
Présentation d’Il Faut reconstruire Carthage aux éditions L’Harmattan.