Par Virginie Mege
Poésie et Slam, même combat
Le Slam constituant l’expression d’une poésie originale, moderne et orale, pourquoi ne pas l’utiliser en classe et faire slamer les élèves ? L’idée est séduisante, encore faut-il savoir ce qu’est le Slam, identifier ce qu’il peut apporter dans le cadre de l’Ecole et imaginer comment on peut réellement l’intégrer dans les cours sans tomber ni dans l’exploitation-prétexte ni dans une démagogie stérile.
Le Slam est un « outil de démocratisation et un art de la performance poétique » explique la Fédération française de Slam Poésie (FFDSP). Il est un « lien entre écriture et performance, encourageant les poètes à se focaliser sur ce qu’ils disent et comment ils le disent ». Au départ, le principe du Slam est simple : après s’être inscrit, le slameur est invité à dire son texte en un temps limité (de trois à cinq minutes selon les scènes) et sans musique. Le public est indulgent et la récompense systématiquement acquise, le slameur se voyant offert un verre par le bar organisateur, quelle que soit la qualité de sa prestation. L’improvisation est permise mais la plupart du temps, le slameur travaille son texte en amont pour le scander avec perfection. Démuni de musique accompagnatrice, le Slam « a cappella » n’en est pas moins rythmé. Dans cette poésie de l’oral, les exploitations des sonorités et le pouvoir des mots sont à l’honneur. De quoi séduire, bien entendu, plus d’un professeur de français en quête d’un moyen de motiver ses élèves pour l’étude de la poésie.
Depuis environ deux ans, le Slam a investi les établissements scolaires, institutionnels et culturels français. Des médiathèques aux IUFM en passant par les bibliothèques, les théâtres, les établissements scolaires et les centres pénitentiaires, on semble le trouver partout. La Direction des Affaires Culturelles de la Mairie de Paris a d’ailleurs favorisé en 2006 les projets de Slam Productions, notamment de nombreux ateliers de Slam et d’écriture en milieu scolaire, au titre de « la culture, de la politique en faveur de l’égalité femmes / hommes et de la politique en faveur de la jeunesse ». Le site du CRDP de l’académie d’Amiens consacre quant à lui une « fiche technique » sur le slam et les expériences pédagogiques se multiplient. On peut s’interroger sur un tel engouement. Qu’apporte donc le Slam ? Pourquoi les écoles, collèges et lycées le plébiscitent tant pour les cours de français ?
Facile d’accès, peu contraignant, le Slam permet une nouvelle approche de la poésie ainsi qu’un travail de l’oral (en production et en réception) pour les élèves de primaire et les 6ème-5ème de collège. « Le slam c’est avant tout une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. C’est le moyen le plus facile de partager un texte, donc de partager des émotions et l’envie de jouer avec des mots » précise le slameur Grand Corps Malade dont l’album Midi 20, véritable succès depuis mars 2006, s’est vu récompensé par deux victoires de la musique. Par le truchement du slam, les élèves sont donc invités à surmonter leur inhibition face à l’écriture et à découvrir la poésie.
Outre le côté ludique qui plaît aux plus jeunes, l’écriture slam présente aussi l’intérêt d’une sensibilisation concrète aux sonorités. Un professeur de français en témoigne dans un entretien avec le slameur dit « Vers Saint Rhétorique », de la S.L.A.M (Section Lyonnaise des Amasseurs de Mots) : « Ton intervention de trois heures devant mes élèves a été très bénéfique. Les allitérations, les assonances, les champs lexicaux… leur ont semblé tout à coup beaucoup plus concrets. Ils ont compris ce que signifiait la « musique des mots ». Tes exercices de slam devraient être intégrés aux manuels scolaires. » (1er février 2007). Les slameurs sont conscients de cette reconnaissance et ce même « Vers Saint Rhétorique » déclare : « A nos débuts dans le slam nous étions complètement décriés par les profs de français, entre autres. Ils n’étaient pas les seuls. Et la tendance s’est inversée. Maintenant les profs reprennent certains exercices pour intéresser les élèves à la langue ».
Il est vrai que les slameurs sont désormais régulièrement sollicités par les établissements scolaires. D’une manière générale, pour une intervention, il faut prévoir un slameur pour une dizaine d’élèves, l’atelier d’écriture étant facturé environ 50 euros de l’heure. Dans le cadre d’une scène slam, le budget s’élève à plus de 260 euros. Bien entendu, les prix varient selon les slameurs, les régions et la dimension du projet. Celui-ci reste en effet à définir.
Le Slam, plus qu’un moyen, devient parfois un réel objectif à atteindre. Ainsi certains professeurs n’hésitent pas à inclure le Slam dans une réelle pédagogie de projet. Les classes peuvent par exemple participer à des tournois de grande envergure, notamment au Slam Interscolaire organisé par la FFDSP dans la ville de Bobigny, le dernier en date du 26 au 30 juin 2007 ayant remporté un vif succès.
De façon plus modeste ou du moins dans une optique peut-être plus pragmatique et scolaire, le Slam peut être utilisé en fin de collège ou en lycée pour mieux comprendre la poésie engagée. De Melancholia de Victor Hugo dénonçant le travail des enfants du XIXème siècle industriel aux textes des artistes des banlieues d’aujourd’hui exprimant leur mal-être à coup de mots, il n’y a finalement qu’un pas, que le Slam aidera les élèves à franchir aisément. La visée argumentative demeure, la force de la mise en forme du langage reste omniprésente. Les professeurs peuvent envisager non seulement d’initier les élèves à l’écriture slam mais aussi les inciter à étudier des poèmes dits classiques, en les slamant. Le sempiternel exercice de récitation en prendra un sacré coup de jeune !
En fin de compte, slamer, n’est-ce pas revenir aux sources de la poésie antique ? Les slameurs eux-mêmes se réclament de la lignée littéraire traditionnelle et se considèrent comme de nouveaux poètes engagés. Il n’y a qu’à naviguer sur les sites Slam pour s’en convaincre. « Cocteau Molotov » de « La Tribut du Verbe » (à Lyon) explique par exemple que son pseudonyme est un « pastiche de Raskolnikov » puisé dans Crime et Châtiment. Il se définit comme un « artisan du mot », un « tueur à langages prêt à exécuter tout type de contrat poétique ». Cette même Tribut entend d’ailleurs « faire émerger le slam comme nouvelle discipline artistique. Les mots finissant toujours par sortir de leur définition, le slam devient un styloratoire ». Le slam est alors « un art basé sur des formes d’écritures et de déclamations poétiques renouvelées. Un art de dire en rythme ». Dans une démarche « poétique et scénique » la Tribut souhaite ainsi explorer « la terra incognita du slam, un pays redevenu vierge mais délimité par d’antiques bornes » car « la poésie slam est un croisement, une convergence de sources et de pratiques différentes ».
Pour ces slameurs, « la poésie n’est pas un vieil objet, une antiquité. Elle suit son temps en se déjouant de l’actualité. Elle est « mots-derne » en ce sens qu’elle fait circuler l’énergie des mots. Une énergie renouvelable. ». Le slam est, on le voit, à étudier alors comme mouvement culturel à part entière, au même titre que le romantisme ou le surréalisme. De plus, il ne renie pas ses racines. Poète oral contemporain, héritier de l’Antiquité, le slameur redevient le « fabricateur » de vers qui scande ses mots pour charmer son auditoire. Il y a là matière à réflexion pour les élèves et ceux-ci parviendront sans doute à mieux comprendre ce qui définit la poésie et ses origines.
Les professeurs de français L.V.E. sont invités eux-aussi à faire slamer leurs élèves. Sur le site Franc Parler de la Communauté mondiale des professeurs de français, Geneviève Baraona dans un article intitulé « Poésie contemporaine, slam et expression orale » propose en effet de slamer en « classe de langue, avec des apprenants de français, en France ou à l’étranger ». Elle rappelle que « la chanson a souvent servi de support à l’apprentissage de la langue, par son côté ludique » mais aussi socio-culturel. Le slam sert alors notamment à « aborder la prononciation de ces sons du français, si vocaux et si étranges ».
Au-delà d’un simple phénomène de mode, le Slam est en train de devenir un véritable partenaire des enseignants de la langue française.
Il serait dommage de le nier…
et de s’en priver !
Sites incontournables pour connaître l’historique du Slam, sa philosophie et toute son actualité :
Fédération française de Slam poésie
Les sites de Slam
http://new.planeteslam.com/SOMMAIRE/Slam51.htm et http://www.universlam.com/
Site de Grand Corps Malade
http://www.grandcorpsmalade.com/
Site de La Tribut du verbe
http://www.latributduverbe.com/
Sites de Lyonnais
http://mots-paumes.blogspot.com/ et http://www.polysemiques.com/
Site de Seream
http://www.seream.fr/index.php?act=assoc
Fiches et articles de réflexion sur le Slam et la pédagogie :
Pour une définition du Slam et un projet de séquence
http://lemilieu.free.fr/documents/ateliersSlam.pdf
Français FLE : article de Geneviève Baraona
http://209.85.129.104/search?q=cache:mz0d3o9x61c[…]
Fiche technologique du CRDP de l’Académie d’Amiens :
http://crdp.ac-amiens.fr/internotes/chroniques/chroniq[…]
Article sur le succès du Slam à l’Ecole, sur le blog dédidé au Slam à l’île Maurice mais aussi dans l’Océan Indien et dans d’autres pays
http://64.233.183.104/search?q=cache:SWzaEPE3PYYJ:slam[…]
Article de novembre 2007 : réflexion sur le succès du slam « Nouveau phénomène de société ou retour à la source de la langue française ? »
http://slam-tribu.over-blog.com/article-13525222-6.html
Témoignage d’un professeur de français et entretien du 1er février 2007 avec « Vers Saint Rhétorique » de la S.L.A.M
http://www.e-torpedo.net/article.php3?id_article=1459
Entretien du 13/03/2007 de Lille on Line avec Julien Delmaire, Professeur Slam
http://lilleonline2007.esj-lille.fr/spip.php?article196
Expériences pédagogiques et ateliers d’écriture Slam :
Exemple d’exploitation du Slam au lycée
http://www.ensemble-scolaire-niortais.com/spip.php?article1055
Exemple d’ateliers Slam au Collège Jean Moulin – Le Pecq
http://www.ac-versailles.fr/etabliss/clg-moulin-lepecq[…]
Exemple d’une expérience Slam et spectacle dans un lycée
http://www.lyc-sarcey-dourdan.ac-versailles.fr/adm[…]
Exemple d’ateliers d’écriture Slam, gratuits, organisés par la bibliothèque municipale
http://www.ville-saint-germain-les-arpajon.fr/Ateliers-[…]
Exemple d’ateliers d’écriture Slam, organisés par un théâtre à Marseille
http://www.dinoutoo.com/marseille/agenda-expositio[…]
Exemple d’animations scolaires autour du Slam : Méli-Mélo