manifestation fut sans aucun doute cette table-ronde inédite.
Par
le sujet, d’abord : il est toujours difficile –mais salutaire-
d’essayer de prendre du recul pour mieux comprendre les raisons d’une
polémique. Par sa composition, ensuite : deux chercheurs qui avaient
pris des positions divergentes, une syndicaliste pour tenter de
comprendre le point de vue des enseignants, et une journaliste, auteur
de la meilleure analyse publiée à ce jour sur la genèse de l’affaire…
Laure
Dumont : « honnêtes et compétents ? »auteur
de « Globale ou b.a.-ba ? : que cache la guerre des méthodes
d’apprentissage de la lecture ? » Robert Laffont, Paris, 188 p., 2006,
17 € (publicité gratuite…)
Pour
mieux comprendre le rapport des média aux sujets polémiques, Laure
Dumont demande d’abord de comprendre comment travaillent les
journalistes, sous la pression de la productivité grandissante,
confrontés à l’urgence, aux « services de presse », à ce qui « fait
vendre ». Quand on est, comme elle, journaliste « généraliste », on
utilise son éthique, ses méthodes et son réseau, quel que soit le sujet
traité. Mais le journaliste n’est pas un expert, mais un intermédiaire
entre une source d’information et un public : son rôle n’est pas d’être
trop pointu, au risque que sa trop grand proximité nuise à la qualité
de l’information qu’il délivre. « Compétence n’est pas expertise, mais
l’honnêteté est toujours requise. Une discussion de personnes honnêtes
mais non compétentes donne le café du commerce, entre personnes
compétentes peut risquer de tomber vers l’idéologique. »
Dans
la polémique sur la lecture, elle a été été frappée par la
simplification et la prise de position non-déontologique que
symbolisait le reportage sur la classe de Rachel Boutonnet sur France
2, un des déclencheurs de la polémique. C’est ce qui lui a donné envie
d’aller voir de plus près ce qui s’était passé. Son hypothèse est qu’il
s’agit d’une polémique politicienne. La force de Robien, c’est d’avoir
fait croire qu’il était celui qui avait enfin osé s’attaquer à la «
méthode globale ». L’un des lobbies hostiles à l’Ecole est SOS
Education, groupe de pression qui se dit apolitique tout en faisant
passer pour de « jeunes parents ». « Sur l’école, ils sont
incompétents, mais sur le lobbying, ils sont très forts et représentent
un véritable danger contre la démocratie. Ils sont tout à fait
politisés, revendiquent la séparation de l’Ecole et de l’Etat, la
privatisation de l’Ecole, au sens propre ».
Roland Goigoux : « Oser parler »
Quand
on est un des chercheurs plongé dans la polémique, le rapport aux
journalistes est de deux ordres : certains média veulent un point de
vue noir ou blanc, en 45 secondes, et les journalistes qui cherchent à
se documenter ne peuvent traduire le complexe de la situation : «
l’idée qu’on puisse travailler la phonologie sans être d’accord avec le
ministre leur paraissait incompréhensible »…
S’il
a refusé les plateaux télé parce, c’est parce qu’il considérait que
c’était impossible, et il a vu certains « s’y faire massacrer ». Mais
entre le danger de l’exposition et le silence coupable, il a choisi. «
Certains journalistes ont pu faire ainsi un bout de chemin, et montrer
comment les biographies de certains activistes pouvaient permettre de
comprendre leur haine radicale de la hiérarchie, persuadés qu’elle ne
reconnaît pas leur travail. Ce n’est pas anecdotique quand on fait de
l’analyse du travail enseignant. Mais lorsque c’est le premier vendeur
de manuels « semi-globale » qui attaque les pratiques ds enseignants,
tout en étant expert à l’ONL, ça pose un problème déontologique… »
Franck Ramus : « Moi-même, je connais des
gens qui… »
Parfois cité comme « instrumentalisé
» par le ministre, Franck Ramus précise que s’il a été amené à donner
son avis, «
c’était parce qu’il me semblait que certaines données pertinentes
n’étaient pas évoquées par le ministre, ni par ses détracteurs ».
En quelque sorte, il renvoie dos à dos la malhonnêteté (et
l’incompétence) de De Robien avec la pétition faite signer par les
associations et les syndicats, qui lui «
semblait laisser trop de choses sous silence. Ca masquait la réalité de
ce que faisaient les enseignants dans leur classe. On ne pouvait pas
affirmer que dans 100% des classes on fait de l’enseignement explicite
du code grapho-phono… Moi-même, je connais des gens qui m’ont dit qu’on
passe beaucoup de temps à enseigner les contours des mots…
(…)
Si De Robien a pu mener la campagne qu’il a mené, c’est qu’il y avait
un terrain favorable. ».
La salle
mesure le décalage
entre le propos scientifique du chercheur, dont elle a apprécié
l’honnêteté le matin même, et l’opinion qu’il profère sur les méthodes
pédagogiques utilisées. « C’est là où votre expérience de laboratoire
ne permet pas forcément que vous ayez une représentation précise de ce
qui se passe dans les classes » lui renvoie un intervenante. On voit
bien un des nœuds de la polémique, souligné par R. Goigoux : «
cela pose la question du rapport entre les sciences humaines et les
sciences dures : dans les média, on appelle «scientifiques
uniquement ceux qui viennent des neuro-sciences. »
Nicole
Geneix : « aller au devant des attentes des parents » secrétaire
générale du principal syndicat du premier degré au moment des faits
Nicole
Geneix veut remettre la polémique dans une perspective sociale : «
l’Ecole primaire, tout le monde a un avis dessus, puisqu’il y a été…Et
chacun a un petit compte à régler avec… Ca peut expliquer une partie
des brûlots sur l’Ecole. »
Mais
elle veut aussi intégrer le fait que les attentes peuvent être
disproportionnées envers l’école, à un moment de la société où plus de
parents pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, et où
l’Ecole peine à réduire les inégalités, depuis 30 ans. Pourtant, le
rapport de l’Inspection Générale fait un diagnostic très clair sur les
pratiques des enseignants : ils enseignent le code. Quant aux problèmes
premiers soulevés par les évaluations, nationales ou internationales,
les problèmes essentiels sont sur la compréhension….
Mais
elle convient que pour les syndicalistes comme pour les enseignants, il
est parfois difficile de faire entendre une point de vue clair et
constructif dans les média.
«
D’abord, parce qu’on vient surtout nous voir quand il y a grève, pour
ne retenir de notre parole que le « non ». Mais aussi parce que nous
avons parfois des propos un peu codés, au-delà des connivences de
salles des maîtres. Il faut aussi interroger ce que ça signifie sur ce
qui est encore à gagner dans la professionalité des maîtres, de notre
capacité à aller devant les parents expliquer le pourquoi de ce qu’ils
font… »
La
communication, miroir de l’activité ?
Anne-Marie Chartier,
animatrice de la table-ronde, conclut dans le même sens : pour elle,
l’essentiel est ce qui se joue au plus près de la classe, entre les
parents et l’enseignant. Mais elle sait que ça ne va pas de soi. De
plus en plus, chaque parent se croit informé, et se fait une idée : «
Internet a fait beaucoup pour la confusion entre information et savoir
». Parce que j’ai lu quelque chose sur un site, je pense que c’est
vrai. « Toutes les professions ont intérêt à prendre du recul sur ce
qu’elles font, à mettre des mots pour en parler. Aux journalistes comme
aux parents. »