pas ce qu’on croit ! »
Rebondissant
sur la polysémie du mot «méthode », Anne-Marie Chartier entend le
prendre «au sens où il est utilisé par le terrain », celui de manuels
d’apprentissage de la lecture.
Lorsqu’elle
regarde les outils utilisés dans les familles au cours de l’histoire,
en 1810, elle se rend compte que de nombreux élèves des milieux
populaires de cette époque ont appris à lire avec des abécédaires de
quelques pages. Les familles plus riches, qui peuvent accéder à des
ouvrages plus conséquents, utilisent des ouvrages sans texte, mais avec
les déclinaisons de toutes les syllabes possibles.
Les
premiers manuels scolaires, sous Guizot (1931), font place aux «
exercices », mais gardent la même organisation : lettres, syllabes,
textes syllabés, puis textes ordinaires.
Dans
la même période, le « Peigné » utilise déjà une autre manière de faire,
qui va durer près de 100 ans. Il y est explicitement écrit ce que doit
faire le maître (ou le « moniteur »), et montre sur des doubles pages
des associations de lettres et des textes syllabés. On fait des «
révisions » en revenant sur ce qui a été travaillé dans les séances
précédentes.
La
révolution technologique
Le
premier « livre » de 1883 fait une place remarquable au i, au n, au u,
au m, lettres faciles à graphier depuis qu’on a inventé les plumes
métalliques, les ardoises, les crayons, les craies… On couple la
lecture et l’écriture, en présentant simultanément la cursive et
l’imprimerie. Apparaissent aussi les vignettes (le n de nid), les
cahiers d’écritures où on copie des syllabes, des mots réguliers ou
irréguliers…
Les premières méthodes analytiques
arrivent : on part de papa pour décomposer les syllabes, puis les
lettres.
La
méthode « Boscher (1907) sera rééditée jusqu’à nos jours au nom du fait
qu’elle serait une vraie « méthode syllabique », mais utilise comme
premier texte « La petite poule rousse », conte de randonnée dont la
lecture est surtout globale (voir plus bas)…
Les
premières méthodes « globales » sont publiées (1924) en écriture
cursive, puisqu’on apprend l’analytique en écrivant. Le passage aux
caractères d’imprimerie se fait seulement en fin d’ouvrage. Elle n’aura
aucun succès, la seule méthode utilisée en France étant la méthode «
naturelle » de Freinet.
«
Rémi et Colette » est la première méthode qu’on pourrait qualifier de «
mixte », comme dans son rival « Papa fume la pipe ». La page de gauche
est divisée (petit texte en haut, analyse en bas, texte et exercices
sur la page de droite).
Comment a-t-on pu apprendre à lire avec
les abécédaires ?
Anne-Marie
Chartier ose une hypothèse qui décoiffe : elle pense que c’est parce
que les élèves de l’époque pouvaient s’entraîner sur des textes (Pater
Noster), qu’ils pouvaient réciter dans leur tête à leur guise. « On est
dans une procédure d’analyse progressive d’un texte connu par cœur ».
La question du « sens » est paradoxalement déjà présente : le texte
doit être connu littéralement pour permettre d’entrer dans la
syllabation.
Mais
dans les manuels des enfants de milieu cultivé, on a l’idée
qu’on
ne peut s’appuyer que sur le « hasard » des syllabes présentes dans le
texte rencontré. On doit « savoir tout lire » : c’est ce qui explique,
dans la méthode utilisée par les plus fortunés, ces dizaines de pages
de syllabes de plus en plus compliquées qui recensent tous les cas
possibles dans la langue.
«
Mais l’enquête historique que j’ai faite me prouve que c’est le
couplage lecture/écriture simultané qui donne de grands résultats,
notamment en permettant d’accélerer l’apprentissage ». Les
républicains de 1882 ont engrangé les avancées didactiques du Second
Empire, et commencé à pensé que la lecture pouvait devenir le moyen
d’accéder au savoir dans les autres disciplines. Mais c’est une autre
histoire : celle du collège. C’est aussi le début d’un nouvel échec
scolaire : les difficultés de l’accès à la production d’écrit.« N’oublions
jamais que les « crises de la lecture » sont la marque des progrès :
Victor Duruy, 40 ans après la diffusion à un million d’exemplaires du
manuel de Guizot, affirmait que 40% des élèves sortaient analphabètes
de l’Ecole… »