mesurer l’état des savoirs…
le chercheur, les trente dernières années sont marquées par un triple
mouvement : dans les années 70/80, les idées des chercheurs de l’INRP
semblent majoritaires, mais sont progressivement interrogées par
l’université. Enfin, c’est la formation et la recherche qui produisent
de nouveaux savoirs pour comprendre ce qui se passe dans la classe.
Au
cours de l’histoire récente, le travail de compréhension sur ce qui se
passe à l’Ecole s’est progressivement structuré autour de trois grandes
pistes :
–
les savoirs sur les connaisssances
–
les processus d’acquisition des connaissances
–
les pratiques de classe
Rouchette : les savoirs disciplinaires
En
1971, la commission Rouchette va chercher à comprendre comment adapter
les savoirs à enseigner aux nouveaux publics. Le « plan Rouchette », du
nom de l’inspecteur général qui pilotait les travaux, sera l’objet
d’une polémique mémorable. On distingue alors trois courants
d’influence, qui pèsent toujours :
–
pour certains, « il faut mettre l’accent sur la communication
».
C’est l’apport essentiel du mouvement Freinet, pour réduire l’espace
entre la langue des enfants et la langue écrite.
–
Pour d’autres, il faut tirer les conséquences des recherches
sur
la docimologie : adapter les contenus enseignés aux possibilités
réelles des élèves. Cette orientation va croitre avec le recours
grandissant des évaluations nationales et internationales
–
On constate aussi l’apport de la linguistique structurale.
Les
travaux sont encore balbutiants : Chomsky, les arbres, Genouvrier…
La
commission remet en cause la « pédagogie traditionnelle » qui ne peut
répondre à la démocratisation, répondant par le redoublement aux
difficultés des élèves des milieux populaires. Le plan Rouchette fait
des hypothèses concrètes sur la lecture :
–
nécessité d’apprentissages premiers sur 3 ans (cycle)
–
condamnation du redoublement
précoce au CP
–
articulation
parler/lire/écrire , travail sur le sens et le code
(combinatoire)
–
étayage culturel
par le maître, pour les aider à parler la langue de l’école
–
rôle respectifs de la lecture silencieuse et de la lecture à
heute voix
–
présence de bibliothèques
de classe, accès à la littérature.
On
a donc l’idée d’expérimenter, avec Hélène Romian et l’aide les
enseignants des écoles d’application et des IEN. On veut approfondir
les préssentiments, associer la recherche et les écoles, évaluer. Mais
on ne va pas échapper à l’applicationnisme : puisqu’on connaît l’objet
à enseigner, on veut modifier l’enseignement. On apprend aux
enseignants la phonologie, la syntaxe chomskienne pour la grammaire. Et
on postule que ce qui vaut pour former les connaissances des
enseignants doit se traduire dans les manuels à destination des élèves…
Des
associations, des revues se fondent : « Repères », l’AFEF, « le
français aujourd’hui ». L’objectif est de peser sur le plan Rouchette.
La volonté didactique est d’instaurer la continuité de l’enseignement
du français, de la maternelle à la fin de la scolarité. Apparaît la
question de la « lecture littéraire » qui ne sera reprise que dans les
programmes de 2002.
Beullac
cherche la synthèse
Sept
ans après les instructions de 1972, qui avaient repris certaines des
idées du Plan Rouchette, le ministre Beullac ouvre un nouveau point de
synthèse : on cherche le rapport entre la lecture visuelle et la
combinatoire, on cherche à mesurer les effets entre les méthodes, à
comprendre le rôle des aides par les écritures simplifiées, on
réintroduit la vieille méthode Borel-Maisonny. Plusieurs courant
s’opposent toujours, et Louis Legrand écrit que « par delà des
raffinements des savoirs issus de la recherche, on ne peut qu’être
frappés par les querelles entre les partisans de la méthode globale et
de la méthode syllabique ».
Les
années 80 voient ces idées se répandre dans les pratiques, mais c’est
désormais l’Université qui bouscule les premiers didacticiens de la
lecture. Charmeux, Foucambert, Chauveau… produisent des articles ou des
manuels, mais la recherche se fait ailleurs. L’INRP devient de plus en
plus marginalisée dans la recherche.
De la Villette à la
Conférence de consensus sur la Lecture (2002), plusieurs idées avancent
:
– la
lecture ne passe sans doute pas que par l’œil
–
on se préoccuper de réhabiliter
l’oral ou la lecture à haute voix
–
on interroge la pertinence des activités de fichiers de lecture
silencieuse qui laissent parfois les élèves sans aide
–
la « conscience phonologique
» émerge de plus en plus, notamment sous l’influence des recherches
anglo-saxonnes
– on
fait les premiers retours sur les insuffisances des formations qui
sous-estiment le travail de
bas niveau au motif de l’importance du « complexe » ou de
la « résolution de problème…
– on
réhabilite les manuels
qui sont des outils économiques pour les enseignants
–
on analyse des statégies
de lecture, place des erreurs
dans les apprentissages
– on
comprend de mieux en mieux la nécessité de travailler de front l’écriture, la
lecture, la compréhension, les textes courts et les textes longs, les
supports différenciés…
– bref,
on progresse dans l’idée qu’il faut apprendre aux élèves à comprendre l’implicite,
le système de temps, de personnages, savoir qui est qui, qui fait quoi,
qui parle à qui, pour faire quoi… Et que l’Ecole doit apprendre à
reformuler, débattre pour rendre visible ce qui est invisible, sauf au
lecteur expert : la lecture doit avoir pour objectif l’explicitation
des textes…
Et
aujourd’hui, au-delà des polémiques… le travail de l’enseignant…
«
Aujourd’hui, un consensus n’est-il pas en train de se dessiner autour
de ces points, en dissipant les malentendus et en faisant quelques
éclaircissements : ne fait-il pas différencier les supports pour
apprendre le code et appendre la compréhension, pour éviter la
surcharge cognitive ? » plaide Max Bulten. «
Mais la connaissance de l’objet à enseigner n’est pas suffisante : il
faut connaître les caractéristiques, mais aussi comprendre comment se
fait l’apprentissage, et l’inscrire dans un fonctionnement possible
pour l’enseignant ».
Pour lui, « connaître Gombert et la
didactique ne suffit pas pour penser la classe »
: il faut observer le travail effectif de l’enseignant, voir ses
pratiques, voir comment évoluent les savoirs sur la pratique,
comprendre le «geste professionnel»… Il souligne les apports de la
psychologie ergonomique et de toutes les équipes qui s’appuient
aujourd’hui sur ses bases pour aider les enseignants.
« Mais attention de
ne pas appliquer Yves Clot sans se préoccuper des contenus… » :
en un clin d’œil malicieux à la salle, le formateur sait qu’il faut se
prémunir de voir dans les acquis récents des recherches le remède à
tous les maux, en balayant les savoirs anciens d’un revers de main.
Michel Fayol n’a pas dit grand chose de différent, quelques heures plus
tôt…
…et
celui du chercheur…
Comme
en guise d’un bilan qui n’oublierait pas de balayer devant sa porte,
Max Bulten revient sur les trajectoires de vie qui ont été celles de
nombreux « chercheurs » de l’INRP :
«
Une des seules questions qui vaille est sans doute de différencier le
travail scientifique de l’engagement militant : observer sans
concession les résultats de son action est essentiel pour l’innovateur.
De ce point de vue, la mise en place des évaluations nationales devrait
mobiliser l’ensemble des enseignants, plutôt que de chercher à
travailler avec des équipes choisies…
Mais il faut tenir
toujours plus de choses ensemble… Bon courage… »