La dyslexie, origine
cognitives, cérébrales et génétiques
de venir présenter son point de vue devant un public qu’il sait partagé
sur ses thèses, Franck Ramus annonce clairement la couleur dès de début
de son propos:
«
L’illettrisme et la dyslexie, ce n’est pas la même chose. Il y a des
dizaines de raisons d’échouer dans l’apprentissage de la lecture :
biologiques, comportementales, environnementales, pédagogiques,
familiales… Mais 3 à 5% des élèves ont des difficultés « inattendues et
spécifiques » pour apprendre à lire. Aucun enseignant ne peut se
permettre de l’ignorer. »
Mais
de son point de vue, le comportement d’un sujet est piloté par la
cognition. C’est donc vers ce champ qu’il a été regarder les
fonctionnements cérébraux pour comprendre pourquoi certains enfants ont
des difficultés, « ce qui nous amène forcément vers un problème
génétique ».
Il
fait l’hypothèse que le déficit de conscience phonologique est une
explication possible. «
Peut-être que les unités de la parole sont moins bien identifiées dans
le cerveau, perturbent les premiers apprentissages… ».
Il montre que dès quatre ans, un enfant sait détecter un intrus
phonologique, et que les enfants dyslexiques ont des faiblesses dans
ces activités, comme dans celles qui font appel à la mémoire à court
terme (répéter des suites de chiffres ou de pseudo-mots) ou qui
demandent de nommer rapidement des mots.
Mais,
prévient-il encore, ces trois faibles compétences ne sont-elles pas le
résultat de mauvais apprentissages ? Sa réponse est nette : non, si on
les compare avec des enfants plus jeunes qui ont des compétences
comparables en lecture, ou si on fait des études longitudinales sur le
suivi de familles à risque, qui montrent que le risque d’être
dyslexique dans une famille dyslexique est de l’ordre de 50%.
Cependant, il module le propos sur la source exclusivement phonologique
de la dyslexie : « on ne
peut pas
oublier que certains dyslexiques peuvent avoir des troubles
visuo-attentionnels, liés à des dysfonctionnements cérébraux».
L’origine des troubles phonologiques chez
les dyslexiques ?
En
regardant fonctionner le cerveau des élèves dyslexiques grâce à
l’imagerie médicale, Franck Ramus voit des différences visibles : le
volume de l’épaisseur de la matière grise dans certaines zones, la
connectivité plus faible de la matière blanche dans l’aire
temporo-pariétale… Mais là encore,
« on ne peut affirmer qu’il s’agit d’une cause ultime, car ces
propriétés peuvent augmenter avec l’entraînement ». C’est,
dit-il, la condition sine-qua-non de l’idée de capacité d’évolution des
cerveaux. « On pourrait
d’ailleurs prendre le parti que ces écarts sont le conséquences de
difficultés d’apprentissages ».
Il
y a vingt ans, certains chercheurs ont publié des études, critiquées,
selon lesquelles, lors de la migration neuronale (entre 12 et 24
semaines de gestation), lorsque les neurones migrent vers le cortex en
s’appuyant sur les cellules gliales, certains perturbations (ectopies)
peuvent apparaître, plus ou moins graves, parfois minuscules. Mais nous
en avons tous, sans que ça ait forcément de conséquences
fonctionnelles. Mais quand elles sont là, on ne peut plus les bouger
facilement. Quand on observe ces anomalies chez des animaux, on observe
des troubles de mémoire de travail, d’apprentissage, d’orientation
spatiale… Mais ces études n’ont jamais été confirmés, et sont à prendre
avec des pincettes. L’imagerie cérébrale ne permet pas de les voir.
La piste des ectopies…
Il
y a trois ans, les neurobiologistes ont eu accès des données génétiques
qui leur ont amené des points d’appui pour une hypothèse de données
génétiques sur la dyslexie :
–
certaines familles ont une personne sur deux dyslexique. Mais
on
peut aussi opposer qu’ils partagent aussi de l’environnement qui peut
être négatif…
–
les jumeaux monozygotes dyslexiques présentent des profils
plus
concordants que les hétérozygotes, ce qui est un argument en faveur de
l’origine génétique du trouble.
–
on arrive maintenant, grâce au séquençage du génôme, à voir
plusieurs « régions chromosomiques » sur lesquelles ont a repéré des
régions liées avec la dyslexie,
–
un gène spécifique,
DYX1C1, a un rôle qu’on a expérimenté chez l’animal, au moment de la
migration neuronale : des chercheurs américains ont montré qu’en
agissant sur ce gène, on bloquait la migration neuronale. « C’est une
découverte très importante ».
Mais
prenant à nouveau des précautions qui ne sont pas que de circonstances,
Franck Ramus veut préciser son point de vue : « les gênes associés à la
dyslexie ne sont pas les gènes de la dyslexie ou de la lecture.
C’est
une expression trompeuse pour faire des raccourcis entre généticiens.
Ce qu’on peut dire, c’est qu’il peuvent contribuer à perturber le
développement du cerveau, et rendre plus difficile certaines opérations
cérébrales engagées dans les processus d’apprentissage.
Et
evidemment, les facteurs environnementaux jouent, à tous les étages ».
« Chercher
des origines génétiques ne signifie pas qu’on n’a pas de pouvoir
d’agir ».
Il
répète à son auditoire que l’environnement langagier, l’orthographe de
la langue, les méthodes pédagogiques peuvent nous donner des
possibilités d’intervention. «
Génétique ne veut pas dire déterminé et immuable. Le phénotype est une
confluence de facteurs, et l’Ecole a tout son rôle à jouer »…
Mais ce n’est pas le
travail de l’Ecole, que de chercher le dépsitage ou le diagnostic de la
dyslexie. «
Son rôle est de repérer les élèves en difficulté de lecture. On ne peut
pas demander aux enseignants de les rééduquer, mais d’enseigner, à tous
les enfants, y compris à ceux qui sont en difficulté, sans préjuger sur
les causes de leurs difficultés : tous les enfants qui ont un faible
vocabulaire, un déficit phonologique ont un « facteur de risque » sur
lequel on doit être vigilant. Et au deuxième trimestre, pour tous ceux
qui n’ont pas appris les bases du décodage, les fondamentaux de la
lecture, toujours sans préjuger de leur trouble, l’enseignant doit
continuer encore plus intensivement et explicitement à enseigner les
relations graphèmes/phonèmes et l’accès au sens… Et ça doit s’évaluer. »
Si
ça ne fonctionne pas, c’est ensuite avec d’autres professionnels qu’il
faut travailler en réseau.
Et
en tout état de cause, conclut le chercheur, « l’Ecole doit autoriser
les aménagements pour permettre aux élèves de ne pas être handicapés
par leurs difficultés dans les autres apprentissages, lorsque l’outil
lecture/écriture est utilisé pour apprendre des contenus dans les
autres disciplines ».
La
synthèse de l’INSERM sur laquelle F. Ramus appuie son propos :
http://ist.inserm.fr/basisrapports/dyslexie.html