La lecture et l’analyse détaillée de l’enquête PISA 2006, consacrée au niveau des élèves de l’OCDE en matière scientifique, devra se faire sur la durée et de manière minutieuse. Il faudra regarder de très près les résultats, mais aussi la formulation des exercices, la méthode pour calculer et comparer les performances. Il faudra également, avant de faire des comparaisons avec les enquêtes antérieures, s’interroger, point par point, sur la légitimité de ces comparaisons : des épreuves différentes, même référencées dans des « niveaux » identiques, ne peuvent être considérées comme homogènes… Bref, tout un travail scientifique reste à mener et il conviendra d’y associer les professeurs français, en particulier, bien évidemment, les professeurs des disciplines scientifiques en collège.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que toute entreprise de mesure choisit ce qu’elle veut mesurer. Elle sélectionne donc, dans les savoirs, ceux qu’elle privilégie. À cet égard, il faudra se demander, sans aucun tabou, si nous nous reconnaissons ou pas dans les choix de PISA. Il ne serait nullement honteux d’affirmer que certaines exigences de PISA nous paraissent secondaires et qu’en revanche, l’enquête ne s’intéresse pas aux objectifs que l’on considère comme importants, voire essentiels. Pour ma part, par exemple, je considère que PISA ne donne pas assez de place à l’histoire des sciences… Il n’est pas certain – loin de là – que, si cette dimension avait été mieux mesurée, les élèves français auraient été meilleurs, mais cela permet de rappeler cette évidence : toute évaluation est d’abord une évaluation de l’évaluateur qui, par ses items et ses méthodes, dit ce qui, à ses yeux, « a de la valeur ». Plus profondément encore, il faut interroger « la culture de l’évaluation » et ses présupposés idéologiques : n’y a-t-il pas des missions de l’école qui échappent à une évaluation quantitative ? Ne faut-il pas résister au pilotage par les résultats ? Nous fonctionnons trop ici avec des lieux communs, de plus en plus puissants, et qu’il faudrait absolument interroger. Cette interrogation est d’autant plus importante que certains pays qui se trouvent en tête dans l’enquête PISA ne sont nullement, à mes yeux, des modèles sociaux et politiques acceptables…
Cela dit, inutile de nous cacher la vérité : PISA 2006 est mauvaise pour le système éducatif français. Nous régressons dans tous les classements et, dans un domaine dont chacun s’accorde à reconnaître l’importance – la culture scientifique et technique -, nous faisons piètre figure.
Sous réserve d’un étude plus approfondie, on peut déjà tirer quelques enseignements :
1) S’agissant du niveau des jeunes de 15 ans et compte tenu de la nature des questions, il ne peut être question (contrairement à ce qu’on a fait trop souvent) d’incriminer l’école primaire. D’autant plus que les élèves français de 15 ans dont le « niveau » est en baisse par rapport à 2003 avaient déjà quitté l’école primaire à l’époque. C’est donc bien le collège français qui est en cause ici. Un collège qui peine à trouver une identité, qui ne sait pas vraiment travailler de manière active et interdisciplinaire avec les élèves, un collège qui trie quand il faudrait former, impose un parcours du combattant quand il faudrait mobiliser les jeunes sur une culture commune exigeante et attractive, un collège qui évalue trop et de manière négative quand il faudrait promouvoir un suivi personnalisé systématique capable de valoriser et d’accompagner chacun dans la réussite. Nous payons au prix fort le manque de courage politique dans ce domaine, les réformes en trompe l’œil, la désaffection des initiatives comme les Itinéraires de découverte. Depuis longtemps, de nombreux chercheurs considèrent qu’il faut cesser de considérer le collège comme un « petit lycée » et s’engager dans une refonte en profondeur des champs disciplinaires et des méthodes pédagogiques. Il est temps de s’y mettre.
2) Même si l’on peut discuter la manière dont ces objectifs sont évalués par PISA, l’enquête cherche à mesurer la capacité des élèves à « extrapoler », « appliquer des connaissances dans des situations nouvelles », « élaborer des hypothèses et les vérifier », etc. Autant dire qu’elle privilégie, à juste titre, les savoirs transférables, l’autonomie intellectuelle, la compréhension des problèmes plutôt que la restitution des solutions. Le moins qu’il nous faudrait faire serait de nous demander si, en dépit de quelques injonctions dans les programmes, c’est bien ce type de travail qui est développé en France, dans les classes et au quotidien. À cet égard, la fragmentation des disciplines scientifiques au collège, l’organisation du temps et de l’espace d’enseignement, l’équipement des salles de classe, les relations entre l’école et la Cité sont, évidemment, à interroger.
3) Ce qui frappe, dans les résultats de PISA 2006, c’est le fait que la France se caractérise moins par un mauvais nombre de « bons » et « très bons » élèves que par des chiffres très médiocres, voire mauvais, d’ « élèves faibles ». Notre retard est surtout là : nous avons beaucoup plus d’élèves dans les catégories 1, 2 et 3 (catégories qui témoignent de difficultés à expliquer un phénomène, à élaborer un raisonnement) que les autres pays dont l’investissement éducatif, le niveau de vie, le revenu moyen sont comparables au nôtre. Voilà qui confirme encore bien des analyses sur les problèmes de notre pays pour scolariser convenablement les élèves les plus fragiles. Voilà qui devrait nous inciter à reprendre au sérieux la formule qui a présidé à la mise en place des ZEP en 1981 : « Plus et mieux à ceux qui ont moins. » A condition, bien sûr, de s’interroger sérieusement sur ce « plus » et ce « mieux » afin de mettre en œuvre concrètement le droit à l’éducation pour tous.
4) Enfin, et au-delà des différences entre pays, l’enquête PISA pointe des questions essentielles qui nous sont communes sur bien des points : la différenciation des résultats entre filles et garçons, la compréhension de l’écrit dans les disciplines « non strictement linguistiques », le rapport entre la culture scolaire, la « culture jeune », le patrimoine culturel et la culture en construction, la place des médias, les méthodes de traitement de l’information, etc. A cet égard, comme à d’autres, il convient de discuter largement cette enquête et ses résultats. Pas question de la totémiser. Mais pas question de l’ignorer non plus.
Philippe Meirieu