Par Françoise Solliec
Il y a plus de deux mois, Gabriel Cohn-Bendit lançait par l’intermédiaire du Café pédagogique un appel à constituer des équipes de volontaires prêts à s’engager dans un projet innovant pour redynamiser les collèges de banlieue menacés, avec la disparition de la carte scolaire, de perdre une grande partie de leurs effectifs. En réponse à cet appel, plus de trois cents personnes se sont mobilisées, des rencontres se sont effectuées, des propositions se dessinent tandis que les initiateurs du projet sont en liaison continue avec les services du ministère pour en définir le cadre administratif.
Les avancées du projet : entretien avec Gabriel Cohn-Bendit
Gabriel Cohn-Bendit, en 2002, vous adressiez à Luc Ferry une lettre ouverte sur la disparition du conseil de l’innovation dont vous étiez membre, mettant en cause Xavier Darcos, alors ministre délégué à l’enseignement scolaire. Qu’est ce qui vous a poussé 5 ans plus tard à lui proposer de mettre en place des collèges innovants ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer Xavier Darcos en 2003 sur le plateau de l’émission le bateau-livre lors de la sortie de l’ouvrage co-écrit avec Philippe Meirieu, Deux voix pour une école. Il m’a alors affirmé, ce que j’avais découvert entre-temps, qu’il n’était pour rien dans la disparition du conseil ou plutôt sa mise sous tutelle par la Desco, ajoutant que ce conseil lui paraissait « une respiration nécessaire » pour le ministère. Je n’ai donc eu aucun état d’âme à solliciter en septembre une entrevue pour lui proposer un projet qui visait à faire de collèges en grande difficulté des lieux où les élèves trouveraient sens et plaisir à leurs apprentissages.
Je pense qu’il est important d’agir pour que les enfants s’en sortent mieux et je crois que cette forme de pédagogie, utilisant des pratiques actives et ouvertes, les motive réellement. Ces pratiques ne sont plus expérimentales depuis longtemps, on sait bien que les principes de l’école Freinet, ça marche.
Il y aura sans doute un risque de dérive, ces établissements seront peut-être catalogués « réservés aux élèves difficiles », mais il y a là une opportunité, de plus localisée là où les enfants en ont le plus besoin. Si cela fonctionne bien, si les élèves viennent dans ces établissements et y obtiennent des résultats, cela donnera des arguments pour alimenter la discussion sur le développement de ces pratiques.
Quels sont les points qui vous paraissent essentiels pour que les équipes puissent atteindre leurs objectifs et faire réussir les élèves dans les collèges qui leur seront proposés ?
Il me semble qu’il est fondamental de considérer l’acte éducatif de manière globale. Dans une telle équipe, on n’est plus seulement enseignant dans sa discipline, on est professeur éducateur. Il faut s’intéresser aux élèves dans toutes leurs activités, se demander ce qui les motive, en suivre plus particulièrement certains sur les quatre années, qui ne seront pas nécessairement dans ses classes. Il faut accepter de passer du temps avec les élèves aussi en dehors des classes, dans la cour par exemple ou dans des fonctions de tutorat, avec les parents, avec les représentants du milieu local et aussi dans les réunions d’équipe avec les collègues. Il faudra accepter d’être davantage dans l’établissement, mais par expérience, je sais qu’il y aura des gratifications et que ce ne sera pas forcément un sacrifice.
Il faut partir de ce qui fait sens pour l’élève, s’avoir s’affranchir des entrées imposées par le programme. Le but c’est d’arriver à ce que les élèves possèdent les compétences du socle commun. Un travail sur l’écrit est indispensable et tous les enseignants doivent s’y impliquer. Il existe nombre de réalisations remarquables, dans les journaux scolaires ou les productions des élèves, tels ces petits livres de l’école Garcia Lorca de Vaulx en Velin. Dans d’autres domaines, les ressources Internet comme Google Earth, des sites d’enseignants, certains logiciels peuvent fournir des pistes de travail concret, relié au vécu des enfants. Avec le statut expérimentation, les équipes auront toute latitude de bousculer les horaires et les programmes. Je n’ai guère d’inquiétude sur le mise en place du projet pédagogique : de nombreux documents sont déjà proposés à la discussion et divers groupes, je pense au CRAP, à l’ICEM, etc. ont élaboré des modèles et des scénarios. Il faudra cependant se garder de toute sectarisation.
Après il restera quand même le point difficile de faire vivre les équipes. Il y aura obligatoirement des conflits, il faudra apprendre à les gérer.
Les enseignants s’inquiètent parfois de la présence de chefs d’établissement ou d’équipe vie scolaire dans les collèges qui les accueilleront. En fait toute structure expérimentale, même auto-gérée, est rattachée à une structure avec chef d’établissement. Pour l’équipe de vie scolaire, il va falloir redéfinir son rôle et les collaborations à mettre en place, dans la mesure où les enseignants interviendront nécessairement dans ce domaine.
Et maintenant, comment cela va-t-il se concrétiser au niveau du ministère et des rectorats ?
Nous avons eu plusieurs réunions de travail très encourageantes avec le ministère. Un travail s’effectue avec la Dgesco et nous rencontrons la DRH mercredi prochain. Je voudrais quand même insister pour que les équipes comprennent bien qu’elles n’auront pas le choix des établissements, même si elles peuvent faire des propositions au rectorat (par l’intermédiaire des pôles académiques de soutien à l’innovation et à l’expérimentation). C’est en effet au niveau des recteurs que tout va se jouer, comme cela s’est passé pour la mise en place du lycée auto-géré de Saint-Nazaire. Je ne sais cependant pas si le ministre a effectivement déjà informé les recteurs. Le calendrier actuel prévoit que les établissements soient définis fin janvier ou début février, ce qui permettra aux équipes de postuler à une mutation intra-académique. S’il n’est pas tenu, il n’y aura pas de possibilité d’ouvertures à la rentrée 2008.
Actuellement, les enseignants ont été tenus informés et se sont mobilisés par l’intermédiaire du Café pédagogique, mais il faudra d’autres canaux, notamment une information publique de l’institution qui entraînera d’autres réponses.
Les avancées du projet : points de vue en Rhône Alpes
Professeurs de lettres et de sciences physiques dans le privé, Caroline Colas-Meunier et son mari ont tout de suite souhaité répondre à l’appel de Gabriel Cohn-Bendit qui leur est apparu comme une possibilité de rompre avec « l’enfermement des pratiques » et de satisfaire « le besoin d’un lien entre la recherche et une pédagogie active ». Pourtant, ajoute-t-elle « je suis objectivement dans une bonne situation, dans un établissement agréable » où elle tente de fonctionner par projet et de décloisonner les disciplines. Mais, malgré le travail réalisé par exemple avec un professeur d’EPS dans le cadre du B2i, où il s’agissait d’amener les élèves à étudier le rôle de l’entraînement physique dans les milieux de la chevalerie au Moyen Age et de le comparer à la représentation du sport à notre époque, elle juge que « ce n’est possible qu’au coup par coup. Il y a des barrières énormes à faire tomber pour arriver à une vraie interdisciplinarité ».
« Au début, j’ai rêvé que ce projet serait pour nous » explique-t-elle « et je me suis retrouvée un peu locomotive dans le groupe qui s’est constitué ». En fait, la participation des enseignants du privé sera très difficile, car il n’y a pas de possibilité statutaire de mutation vers un établissement public, mais Caroline Colas-Meunier continue à y consacrer beaucoup d’énergie.
Les quelque vingt-cinq personnes qui forment le groupe de volontaires Rhône-Alpes proviennent en fait des trois académies Lyon, Grenoble et Dijon. D’âges et d’expériences variés, ils se sont tous retrouvés là, dans une attente de changement qui correspondait à un tournant de leur vie professionnelle. Leurs compétences sont diverses et complémentaires : infirmière, psychologue, éducatrice de SEGPA, enseignants de sciences dures ou de sciences humaines. Certains sont plutôt pragmatiques, d’autres plus idéalistes, mais ils sont tous soucieux d’une véritable équité de l’éducation.
A la suite de la première réunion, des groupes de travail ont été constitués : rythmes scolaires, espace de travail, architecture et EDD, et motivation et évaluation des élèves. L’aspect EDD, porté par quelques membres du groupe, a plu à tous car il permettra une approche globale et une implication participative des élèves.
Oria Aouili, professeur de lettres classiques, a depuis longtemps participé aux travaux sur les établissements innovants et a espéré que le conseil national de l’innovation lui fournirait l’occasion d’y exercer. Mais aucun établissement n’ayant été ouvert dans la Drôme et n’ayant pas réussi à rassembler une équipe suffisamment solide, elle a demandé un détachement et travaillé cinq ans dans plusieurs associations, dont les CEMEA et une association de soutien à la parentalité. Cette expérience lui a donné le recul nécessaire pour mieux analyser les difficultés du service public aujourd’hui « J’ai mieux compris qu’on subissait des choix néo-libéraux et que notre tâche de réussir la massification se faisait avec des moyens et une organisation totalement inadaptés à notre public ».
Ecologiste convaincue, elle a naturellement soutenu la prise en compte d’une approche EDD très marquée dans le projet « Un projet de ce genre, je l’attends depuis longtemps. Dans le groupe nous sommes tous très malheureux de voir à quel point on répond peu aux besoins fondamentaux des enfants ». Dans le projet, elle imagine valoriser le rôle des parents, ne pas s’en tenir aux seules évaluations d’intelligence linguistique ou mathématique actuellement en vigueur, favoriser l’épanouissement des enfants en les mettant en contact avec la nature.
Malgré sa charge de travail cette année, Oria Aouili a accepté de se charger des démarches en direction du rectorat « il n’y avait personne d’autre et mon parcours personnel me rendait peut-être la tâche plus aisée». Elle estime que le groupe est fort bien accompagné par le CIE et se propose de transmettre très prochainement un courrier fondé sur la lettre type au recteur et au responsable du pôle innovation. Elle est cependant d’une grande prudence en ce qui concerne le résultat concret des démarches, ainsi que nombre des participants au groupe qui ont déjà vécu ou entendu parler de situations similaires.
« Tout le monde est conscient du contexte politique, » conclut Caroline Colas-Meunier « il faut être rigoureux, attentif et ambitieux ». Si le projet n’aboutissait pas du tout, ce serait un vrai désappointement, mais il est fort possible que, lorsque les établissements d’accueil seront connus, le groupe soit amené à éclater, car c’est bien individuellement que chacun devra prendre sa décision.
La communauté Collèges expérimentaux sur le site du Café pédagogique
Actuellement, c’est le lieu de centralisation de l’avancement du projet. C’est aussi le reflet d’une mobilisation active et l’expression d’une forte attente d’une meilleure prise en compte de pratiques pédagogiques innovantes par le système éducatif.
Depuis l’appel initial, y sont déposés systématiquement les écrits du collectif d’initiatives pédagogiques, CIE, qui pilote le projet : comptes-rendus des entretiens avec les services du ministère, cahier des charges, notes de réflexion, compte rendus de rencontres avec les volontaires. Dans l’espace d’accompagnement, on trouve les documents d’aide : propositions de scénarios, exemples de projets, lettre type aux recteurs, etc.
Dans les 25 forums ouverts, les quelque 300 personnes intéressées par le projet ont échangé des messages très divers, expressions d’intérêt ou de motivation, interrogations sur les conditions de réalisation du projet et les possibilités d’y participer, recherches d’autres volontaires géographiquement proches.
Les 15 forums consacrés à des régions spécifiques ont permis de constituer des groupes d’appartenance géographique plus ou moins large. Les groupes les plus avancés y ont déposé le compte-rendu de réunions organisées en novembre (Lyon, Nantes et Paris) ou l’annonce de réunions en décembre pour affiner les projets (Paris, Lyon, Nantes et Amiens). Rappelons que les membres du CIE sont à disposition des groupes pour participer à ces réunions.
Plusieurs groupes expriment la nécessité d’échanges mail directs ou de listes de discussion sur d’autres medias. Tant que d’autres relais, notamment institutionnels, ne seront pas pris, il serait bon, pour l’information de tous les participants, de continuer à donner des points de situation réguliers sur la communauté Collèges expérimentaux du Café pédagogique ou de les poster sur ses listes de discussion.