Par Françoise Solliec
Mardi 4 décembre, la direction de l’éducation de l’OCDE présentait dans quatre grandes capitales, dont Paris, les résultats de Pisa 2006. Bernard Hugonnier, directeur-adjoint, appelait les lecteurs de l’enquête à contextualiser les résultats français et à se garder d’interprétations catastrophistes : la France reste dans la moyenne des pays de l’OCDE même si ses résultats sont en baisse par rapport à ceux de 2003. A la question du que faire, il répondait en décrivant quelques-unes des attitudes des pays efficaces : différenciation scolaire la plus tardive possible, respect de l’équité dans le système éducatif, diminution des élèves en difficulté grâce à un enseignement et un soutien individualisés.
Les résultats
Initié en 2000, chaque cycle d’enquête Pisa porte tous les trois ans sur les compétences des élèves de 15 à 16 ans dans les trois grands domaines compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences, avec à chaque fois une focalisation sur l’un des domaines. Pisa 2006 portait principalement sur les compétences en sciences et interrogeait près de 400 000 élèves dans 57 pays, dont les 30 de l’OCDE. Environ 4 500 élèves français, scolarisés dans 150 établissements, ont répondu en mars dernier aux questions de l’enquête.
L’enquête 2006, plus encore que ses précédentes, s’attache non seulement à évaluer les connaissances des élèves, ici en sciences, mais aussi la manière dont ils les utilisent et dans quelle mesure ils les intègrent dans l’ensemble de leurs activités et réflexions. On s’intéresse ainsi à la perception des jeunes de « la capacité des sciences à modifier l’environnement matériel, culturel et intellectuel » ou à leur engagement citoyens dans des questions scientifiques.
Entre la Finlande (563 points sur l’échelle des compétences scientifiques) et le Mexique (410), la France (495) se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE. Il est cependant intéressant de noter que le score des élèves français est assez différent en fonction des catégories de compétences. Ainsi, dans la catégorie « utiliser » le score de 511 est nettement plus élevé que ceux des catégories « identifier », 499, et encore plus « expliquer », 481.
Le pourcentage d’élèves français atteignant des compétences de niveau 6, les plus élevées sur l’échelle de Pisa (ils peuvent identifier, expliquer et utiliser des connaissances dans un éventail de situations complexes) est également dans la moyenne OCDE (1%) bien que le pourcentage d’élèves au niveau 5 soit légèrement inférieur (7% contre 8%). Il s’agit ici d’un facteur clé, car le pourcentage des élèves atteignant des compétences de haut niveau (5 et 6) est en fait très corrélé au pourcentage de ceux qui effectueront des études supérieures et entreront dans des emplois liés à la recherche ou l’innovation. A titre de comparaison, ce pourcentage est de 21% en Finlande, 18% en Nouvelle-Zélande et autour de 15% pour les autres pays les plus performants (Japon, Canada, Australie).
A l’inverse, plusieurs de ces pays affichent des pourcentages inférieurs à 10% d’élèves n’atteignant pas le niveau 2 : leurs connaissances très limitées ne peuvent être utilisées (sous le niveau 1) ou sont appliquées dans un très petit nombre de situations familières (niveau 1). La France se situe à ce niveau légèrement en dessous de la moyenne OCDE avec 22% des élèves (19% OCDE), 15% au niveau 1 (14% OCDE) et 7% en dessous (5%OCDE).
En ce qui concerne la compréhension de l’écrit, le score de 488, en régression par rapport à celui de Pisa 2000, positionne la France dans la moyenne des pays de l’OCDE. La légère baisse s’explique par le pourcentage accru d’élèves en difficulté, contrairement au Japon, dont la régression est due à une perte de pourcentage d’élèves atteignant les compétences les plus élevées. Deux pays, Corée (au 1er rang avec un score de 556) et Pologne (508) améliorent significativement leurs résultats sur 6 ans avec des politiques radicalement différentes : augmentation des pourcentages d’élites en Corée, baisse des pourcentages d’élèves en difficulté en Pologne, grâce à une réforme du système éducatif conduisant à une différenciation scolaire beaucoup plus tardive.
En culture mathématique la France se situe légèrement en dessous de la moyenne avec un score de 496 (548 pour la Finlande, 1er pays de l’OCDE), correspondant à une baisse de 15 points entre 2003 et 2006. Là encore, cette régression est due à la baisse des performances des élèves aux niveaux de compétence les plus faibles. L’augmentation de 14 points de la Grèce s’explique par l’amélioration des performances des élèves de niveaux faible et moyen et de celles des filles.
Sur les 4 échelles de culture scientifique, la France occupe respectivement les 19ème, 15ème, 25ème et 12ème rangs. Elle est en 17ème position sur celles de culture mathématique et de compréhension de l’écrit.
L’équité des systèmes éducatifs
Dans un graphe où l’on distingue 4 blocs pour caractériser le système éducatif: performance faible/faible équité sociale, haute performance/faible équité sociale (éducation élitiste, haute qualité réservée à un petit nombre), haute performance/haute équité sociale, performance faible/haute équité sociale (système équitable mais de qualité moyenne), la France se situe à la moyenne sur les performances, mais a des progrès à faire en termes d’équité sociale. Bien qu’elle ne soit pas très importante, la différence de 10 points concernant les performances en sciences entre élèves autochtones et élèves issus de l’immigration (1ère et 2nde générations) montre que la politique d’immigration menée en France ne se consacre pas assez à l’amélioration des performances de ces élèves.
Le genre, fille ou garçon, n’est pas sans incidence dans les différents résultats. En moyenne, filles et garçons ont des performances assez similaires sur l’échelle combinée de culture scientifique : l’avantage des filles dans l’identification des questions scientifiques est compensé par celui des garçons en matière d’explications. Toute autre est la situation concernant la compréhension de l’écrit où les filles marquent un avantage considérable. L’avantage des garçons en culture mathématique, assez net dans la moyenne OCDE, reste faible en France.
L’efficience
La répartition des pays dans un graphe liant richesse nationale et performance en sciences montre que les pays les plus riches ne sont pas les plus performants, mais que les pays les plus handicapés sont parmi les plus pauvres. Si l’on lie la dépense cumulée par étudiant entre 7 et 15 ans et la performance, on remarque que la Finlande jouit d’une excellente performance avec une dépense juste à la moyenne tandis que la France a une performance moyenne et une dépense un peu supérieure à la moyenne. Sur 10 ans, la dépense d’éducation a augmenté de 40%, mais les performances sont restées similaires.
Comment obtenir de meilleurs résultats ?
Pisa 2006 confirme la prééminence de la Finlande, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et ajoute la Corée. Bien que les résultats de la Finlande et de la Corée soient similaires, ils sont le fruit de deux politiques éducatives très différentes. En Corée, le système très concurrentiel oblige les élèves à travailler énormément et à chercher à l’extérieur un soutien sous forme de petits cours ou de tutorat. En Finlande, c’est le repérage extrêmement rapide de la difficulté et son traitement immédiat à l’intérieur du système scolaire qui garantit le succès.
De manière générale, les systèmes qui obtiennent de bons résultats repoussent la différenciation scolaire au maximum, limitent les redoublements et stabilisent la dépense tout en améliorant l’efficacité du système, pratiquent une grande équité sociale en facilitant l’intégration de tous et ne développent pas l’école privée.
En France, il parait nécessaire de mettre l’accent sur le soutien, au sein de l’école et sur le temps scolaire, d’introduire des évaluations formatives et d’individualiser les apprentissages. Les renseignements donnés par Pisa ou d’autres enquêtes sur le fonctionnement d’autres pays peuvent permettre d’identifier les bonnes pratiques et la direction éducation de l’OCDE se propose d’organiser prochainement en France un séminaire sur le sujet.
Depuis 6 ans, l’intérêt du gouvernement et des médias pour les enquêtes internationales a été croissant. En septembre 2006, dans la revue de l’inspection générale, Bernard Hugonnier et Xavier Darcos analysaient les spécificités du système éducatif français au regard de ses résultats dans Pisa 2000 et 2003. Ils notaient alors le nombre important des « laissés pour compte » estimés à 100 000, légèrement inférieur à celui des 150 000 sorties sans qualification et un nombre identique, mais considéré comme trop faible des élites « qui explique la faiblesse de la France en matière de recherche et d’innovation ainsi que la croissance insuffisante ».
Aujourd’hui pour Bernard Hugonnier, deux réflexions de fond sont à mener de front pour que les performances s’améliorent et que l’éducation publique ne soit pas mise en doute en France.
La première devrait déboucher sur une meilleure utilisation des fonds publics en matière d’éducation. Les redoublements coûtent très chers, les programmes sont trop lourds et beaucoup trop pesants, les horaires sont plus élevés que la moyenne. Il y a là des possibilités de redistribution qui devraient permettre de mieux traiter les élèves en difficulté, sans augmenter la dépense éducative et sans réduire les performances des bons élèves.
La deuxième concerne les modes d’apprentissage et la définition des compétences à acquérir par les élèves. On est toujours sous l’emprise des programmes et des accumulations de connaissances que chaque discipline juge nécessaire à chaque niveau. Il faut se libérer de cette emprise et de cet enfermement, changer les modes d’évaluation, privilégier l’approche par projets interdisciplinaires. De tels changements ne s’effectueront pas immédiatement et il est raisonnable de prévoir un plan sur 10 ans avant d’en mesurer des effets significatifs. De plus ils sont impossibles à réaliser sans mener également en parallèle une réforme profonde des contenus de formation professionnelle des enseignants. Le renouvellement en cours du corps enseignant est une opportunité qu’il ne faut pas manquer.