Françoise Biichlé, Pascale Billerey, Philippe Lahaini, Khoulfia Léonard, Jean-Jacques Vidal.
L’AIDE : la pression politique veut masquer dans ce domaine les inégalités sociales que l’école pourrait prendre en charge et stigmatiser l’individu et sa famille qui seraient ainsi responsables de son propre échec.
Aider les élèves en difficulté(s) : qui ne serait d’accord ? mais il reste à s’entendre sur ce qu’est aider et sur ce que sont les difficultés des élèves.
Des élèves en difficulté sociale… aux difficultés d’apprentissages des élèves
À la lecture des projets des écoles et des établissements, il apparaît que les difficultés des élèves sont analysées à partir de leur appartenance sociale (pourcentage de Catégories Socio Professionelles “défavorisées”), des conditions de vie et de revenus des familles (pourcentages de familles monoparentales, de foyers désunis, de parents chômeurs et de boursiers), et des nationalités (30 nationalités dans un établissement, 8% des élèves dans un autre, …). A partir de cet état, il ressort des projets: « un bon nombre d’élèves sont en grande difficulté, fragilisés dans leur vie familiale et personnelle. Ces difficultés se manifestent évidemment dans les résultats scolaires et la vie scolaire mais elles peuvent être aussi comportementales”. Les difficultés sont développées au niveau du comportement : “Pas ou peu de motivation ou motivation prioritairement sociale”, “absence de structuration et déficit des repères”, “manque de regard positif sur eux-mêmes”, “difficultés relationnelles liées parfois aux différences culturelles, aux difficultés sociales et familiales (susceptibilités, agressivité, conflits…)”, “recrudescence de l’absentéisme”, “nombre élevé de signalements ou de faits constituant des indicateurs significatifs”…
L’analyse des difficultés porte essentiellement sur les caractéristiques des populations accueillies et des difficultés sociales qui entraîneraient des difficultés d’apprentissage, relationnelles et comportementales. Les difficultés de socialisation sont considérées comme préalables à l’entrée des élèves dans les apprentissages : “Ils ne peuvent pas apprendre, s’ils ne savent pas écouter, se respecter, respecter les autres, les règles…”. Cette conception en entretient une autre, implicite, selon laquelle l’apprentissage, l’appropriation de contenus de savoir, ne seraient pas producteurs d’effets de socialisation. L’analyse des évaluations (nationales et autres), des pratiques pédagogiques et des processus d’apprentissage n’apparait pas ou peu dans les projets. Si les difficultés scolaires sont constatées, “avérées”, elles semblent essentiellement dues aux comportements et aux origines sociales des élèves. Les difficultés d’apprentissage semblent marquées par un double déni : d’un côté, l’école serait toute puissante, tout serait fait, prévu pour résoudre les difficultés des élèves ; de l’autre côté, l’école serait le reflet des difficultés sociales des élèves.
L’un peut expliquer l’absence d’analyse des évaluations et des difficultés auxquelles les élèves ont à faire face au niveau des apprentissages et des savoirs, puisqu’ils ne sont pas en cause, ce sont les élèves qui sont en difficultés. L’autre peut expliquer l’absence d’analyse des pratiques pédagogiques et des processus d’enseignement, puisqu’ils ne sont pas en cause, les difficultés sont comportementales et sociales.
Une analyse des difficultés qui n’est pas sans conséquence sur les aides mises en œuvre
Il semble bien que nous assistions, dans les écoles comme dans les établissements, à une accumulation des dispositifs d’aide mis en place ces dernières décennies sans qu’aucun bilan n’ait été fait, tant au niveau local que national, sur ces différentes actions. Une modalité est souvent déclinée : “la différenciation” qui revient, à partir du “niveau”, des “capacités”, évalué ou supposé des élèves, à organiser, dans une logique de groupes de niveaux, l’aide dans les établissements… alors qu’on connaît, depuis longtemps l’effet Pygmalion qui fait que les élèves admis en groupe d’aide ou de soutien, sur la base de leurs “problèmes”, s’identifient vite eux-mêmes comme “élèves à problèmes”, alors que les élèves ont tôt fait de se conformer au degré d’attentes et d’exigences des propositions de travail qui leur sont fai-tes en terme de “remise à niveau” ou de “consolidation”. Ainsi B. Lahire, dans le domaine de la lecture, constate que l’on propose aux bons lecteurs de travailler sur des textes de façon autonome en visant la compréhension quand, avec les faibles lecteurs, on travaille sur des parties de texte, voire des textes plus accessibles, en vue du déchiffrement, au risque de renforcer les malentendus sur l’activité lecture, en prenant le risque que la différenciation se traduise en simplification.
De l’individualisation à l’individuation
Au lieu de s’appuyer sur les nombreuses recherches qui explicitent ces phénomènes de différenciation, tous les dispositifs d’aide privilégient de plus en plus l’individualisation des pratiques éducatives. C’est comme si l’on était forcé de rompre avec des pratiques d’aide collective (sans qu’aucun bilan n’ait d’ailleurs été fait) pour une personnalisation de l’aide avec des risques de simplification des problématiques éducatives, de stigmatisation et de catégorisation des personnes visées. La manière dont on transmet les savoirs, leur contenu et leur portée anthropologique et culturelle n’est pas mise en question. On tend plutôt encore à les aseptiser, les formater en exercices répétitifs : mettre en place des situations complexes d’apprentissage est une condition indispensable si on veut que les enfants accèdent à la compréhension du monde pour qu’ils puissent le transformer. Construire son individualité, ce n’est pas se construire seul, c’est se confronter à des univers différents (école, famille, autres groupes d’appartenance), c’est établir ou non une cohérence entre tous ces univers : “une négociation entre les différents univers.”, selon P. Bourdieu. Qui désigne-t-on comme ayant besoin d’aide ? Certains élèves très performants scolairement, mais incapables de travailler avec les autres, ni de les aider, ne sont jamais concernés par ces nouveaux dispositifs : pourquoi ? Les réponses se trouvent-elles du côté de ceux qui réussissent ? Ceux-là même dont on pourrait penser qu’ils n’ont pas besoin des autres pour apprendre…
Bien au contraire, ceux-là ont justement optimisé la part du socio au cours de leurs apprentissages. Si l’aide individuelle se contente de mettre à la marge du groupe en le privant des échanges entre pairs, elle contrarie ce que peut être une véritable genèse des savoirs. On l’empêche de s’affirmer en tant qu’individu, en niant les interactions entre pairs.
Face à la multiplication des dispositifs d’aide, dans l’école et autour de l’école, un groupe de travail d’enseignants du GFEN à Besançon s’est constitué.
Difficultés à apprendre /Difficultés à enseigner : l’aide en question
Réfléchir ensemble autour de nos conceptions de l’aide pour nous permettre de ré-interroger et de transformer les dispositifs qui se mettent partout en place : RASED/PPRE/PRE /Accompagnement à la scolarité/Aide aux devoirs/Soutien… C’est pourquoi, face à ce brouillage idéologique et à la multiplication tous azimuts de dispositifs d’aide, il nous semble important de rappeler, clarifier les principes qui nous permettent de mettre en cohérence nos valeurs d’égalité, de solidarité avec nos pratiques d’aide.
PRINCIPES QUI PEUVENT GUIDER L’AIDE
Premier principe : distinguer remédiation de re-médiation…
Aider nécessite de cerner avec précision sur quoi porte l’aide, à partir d’une analyse des difficultés ou erreurs : non seulement sur les contenus, les notions mal maîtri-sées, mais aussi sur les stratégies, les méthodes de travail inefficaces et non pertinentes, et les attitudes et com-portements (retrait ou agitation, voire refus). Dans certains cas, il s’agira d’une remédiation portant sur les contenus et les méthodes, et dans d’autres d’une re-médiation, dans le sens de re-tisser un rapport à la scolarité, aux apprentissages et au savoir.
Deuxième principe : l’aide, c’est le quotidien de la classe, pas seulement sous forme d’aide méthodologique ou de répétition d’exercices, mais au coeur même des situations d’apprentissage. L’aide est partie intégrante de l’apprentissage. Cela renvoie à notre conception de l’apprentissage : apprendre, est-ce empiler des connaissances, mémoriser ou est-ce comprendre, faire des mises en relation, analyser, agir pour transformer ? Le mode de transmission choisi permet-il ou non une construction des savoirs ?
C’est la situation problème proposée qui aide.
Vérifier qu’elle met en jeu des composantes identitaires, culturelles, linguistiques et langagières et une posture dynamique de l’apprenant. Derrière tout dispositif, quel choix éthique et « politique» (quelle conception du sujet apprenant ?). Ce choix conditionne certaines pratiques de transmission liées en définitive à des finalités éducatives : le conditionnement, la docilité ou l’esprit critique qui permet d’agir sur le monde.
Troisième principe : Changer de regard
Notre regard au positif implique le refus de la fatalité de l’échec scolaire et un désir de réussite de tous les élèves. L’impact des attentes positives (effet Pygmalion) dans la réussite n’est plus à démontrer. On n’a pas un individu en face de soi, mais des sujets qui inter-agissent entre eux, par l’intermédiaire d’un objet de savoir.
Quatrième principe : Passer de l’aide à l’entraide. Il n’y a pas que le maître qui peut aider.
C’est la situation, la posture du maître, son éthique, ses partis pris et les confrontations entre pairs.Aider, c’est apprendre avec les autres.On sous-estime l’importance des relations entre pairs (travail de groupe, pratiques du débat, atelier philo…) pour apprendre à écouter, se décentrer, élargir ses représentations, ne plus avoir peur du regard de l’autre pour apprendre. Faire de l’apprentissage une aventure
Collective Aller apprendre les autres (hors zone/dézonage) avec eux, par rapport à eux. Apprendre c’est sortir de soi, de l’entre soi.
Cinquième principe : rendre lisible auprès des élèves et des parents les enjeux, le sens de l’école
Mettre en place des pratiques qui permettent aux élèves, aux parents, aux enseignants de dire ce qui aide à apprendre.
Sixième principe : admettre que certaines difficultés ne relèvent pas que de l’école
Analyser finement les difficultés rencontrées pour déceler ce qui relève ou non de l’école.
L’école ne peut rien quant aux difficultés sociales rencontrées par les élèves, par contre, elle peut beaucoup quant aux rapports des élèves (qui sont marqués socialement) à l’école, au savoir, aux apprentissages. Développer des pratiques qui permettent plus de liens entre tous les partenaires éducatifs, (de l’école aux parents en passant par les temps périscolaires le midi, le soir et vacances), tout en gardant à chacun sa spécificité.
Septième principe : Apprendre, c’est comprendre
Aider nécessite de réfléchir à la pertinence des outils pédagogiques à mettre en oeuvre : lesquels sont les plus rentables en terme d’activité intellectuelle qui vont permettre la compréhension ?
Huitième principe : L’aide ne vaut que si l’on a appris à s’en passer…
AIDER OU CHANGER DE PRATIQUES ?
L’aide à l’école ne se limite pas aux différentes actions d’aides qui, en fait, s’inscrivent aux marges de l’activité des établissements. L’activité essentielle, c’est dans les classes que ça se passe. Hors, c’est précisément la partie la plus obscure, celle sur laquelle aucune analyse n’est envisagée, aucun regard n’est porté, aucune perspective n’est tracée. Les actions d’aide devraient interroger, analyser et mettre en perspective ce qui est de nature à orienter le travail ordinaire dans les classes. Si les actions d’aide sont intéressantes, c’est parce qu’elles peuvent permettre de questionner, par les conceptions sousjacentes qu’elles nous donnent à regarder, les pratiques
quotidiennes des classes. Aujourd’hui, il s’agit de recentrer le travail des enseignants sur les savoirs, ce qui ne veut pas dire nier les problèmes sociaux ou les problèmes comportementaux. Il s’agit de repositionner la réflexion et l’action des enseignants du côté des apprentissages, des difficultés de l’apprentissage, qui peuvent être comportementales, mais pas seulement, et des conditions qui permettent, ou non, d’apprendre.
Retrouvez ces thématiques de travail dans la revue du GFEN, Dialogues, notamment le n° 126 « Défis pour l’Education » (octobre 2007)
http://gfen.asso.fr
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