Par Lucie Gillet
Quel avenir pour la maternelle ? Le 27 novembre, le Snuipp organisait un colloque sensé faire le point sur les difficultés et l’avenir de l’école maternelle. Un moment rare que le Café souhaite vous faire partager.
8h30 : dans le train, ma pensée vagabonde, je pense au sujet de ce colloque, à l’école où j’enseigne, aux projets en cours, à mes élèves accueillis par leur maîtresse du mardi, à mon petit, 3 ans et demi dont la maîtresse lui a appris : « il ne faut pas dépasser quand on colorie! »….Quel avenir pour eux, pour lui ? Comment, de quoi l’école les aura-t-elle construits, nourris ?
9h15 : arrivée à la MGEN, lieu du colloque. 10h : La salle est bien remplie, plus de 300 personnes réunies… On s’impatiente dans les rangs, pour l’heure la maternelle qui a de l’avenir a un peu de retard. Mais chuttt ça commence!…
Intervention de G. Moindrot (Snuipp)
Gilles Moindrot rappelle que ce colloque a été organisé en peu de temps, ce qui n’a pas pour autant nuit à son succès, ce qui montre la réactivité des collègues de l’école maternelle.
Le maître mot de la journée sera la « lucidité », poser un regard sur notre école, défendre son identité. Or, si l’on se cantonne aux avis ministériels, l’école maternelle va bien, d’ailleurs on constate que ses évolutions principales se sont faites sans effet d’annonce, cependant selon les chiffres mêmes du MEN, la scolarisation des enfants de deux ans est en chute libre (de 1/3 des enfants de cette tranche d’âge à 1/5). Dans la société l’école maternelle semble jouir aussi d’une bonne image, que ce soit sur le plan national ou européen.
Brutalement à la rentrée le rapport du HCE vient perturber cette bonne image…La question est posée de la responsabilité de l’école maternelle dans l’échec scolaire.
Exercer un regard lucide pour le SNUIPP c’est donc proposer une autre vision que celle-ci disparate et partielle, en partant d’abord du constat que tous les élèves y accomplissent des progrès phénoménaux, même si les écarts ne sont pas tous gommés. Est donc replacée au centre du débat la question de lutter contre les inégalités dans le cadre scolaire.
Parallèlement la DEGESCO énumère ses propositions :
* accompagner les professionnels, mais on constate la baisse du nombre de stages de formation continue spécifiques à la maternelle….
* clarifier les programmes pour valoriser cette école, mais ce dont ont besoin les professionnels de n’est pas de simplification des contenus, c’est de véritables outils qui respectent leur métier….
Face à cet impératif de lucidité sur notre école, le SNUIPP nous propose d’utiliser la passion que suscitent les questions autour de la maternelle comme un moyen de communiquer pour donner notre regard. Un regard emprunt d’inquiétudes qui doivent s’exprimer, mais un regard optimiste qui ose le clamer : l’école maternelle a de l’avenir!!!
Être lucide, être formé deux leitmotivs pour s’inscrire dans une vraie identité de professionnel tout au long de la journée.
Intervention de Viviane Bouysse : Quelle identité pour l’école maternelle ?
Viviane Bouysse, chef de bureau à la DESCO, participante au groupe de travail du Ministère sur la maternelle, mais également ancienne instit’, assure le premier quart de la journée. Bon avouons le….un quart qui débordera un peu pour le plus grand plaisir de son auditoire, on savoure quand le discours est aussi précis, rigoureux, quand l’analyse permet de dégager avec limpidité les enjeux de la question. La question, donc, et non des moindres n’est rien que celle de l’identité de l’école maternelle…
On apprend d’abord que l’école maternelle a plus de 100 ans d’histoire, et qu’à l’époque elle est créée pour être l’école du peuple, dans les faits elle se distingue des petits lycées qui constituent une autre filière d’enseignement, pour une autre classe sociale… D’emblée également, l’école maternelle, est prévue pour les enfants de 2 à 6 ans, oui oui 2 à 6 ans, il est bon de le rappeler…
Elle est créée comme une école non obligatoire, gratuite et laïque, ce qui constitue une rupture avec les anciennes salles d’asile, organisées sous l’égide de l’Eglise et des « dames patronnesses ». C’est une école de plein exercice qui bénéficie d’un double héritage, celui des salles d’asiles et celui des écoles élémentaires, même si les premières inspectrices générales réfutent ce double héritage. En effet Pauline Kergomard le clame : « l’école maternelle ne doit pas être une petite caserne, ni une petite Sorbonne ». L’école maternelle, se construit, forge son identité, en s’opposant à ces modèles, c’est bien parce que ces modèles lui préexistaient qu’elle trouve une autre voie, qu’elle prône d’autres valeurs pédagogiques. Que seront ces dernières? Intéressant encore une fois de revisiter le passé….Aux programmes donc de cette école maternelle…..des principes éducatifs fondés sur le jeu et les découvertes sensorielles…programmes en vigueur jusqu’en … 1977 !
On sent la salle frémir, ainsi donc, ces évidences que nous peinons à maintenir sur le devant de la scène pédagogique, cela serait si …..archaïque? Il n’est donc pas question de réinventer l’eau tiède?
Cependant il ne suffit pas de proclamer pour exister, l’école maternelle tarde à se réaliser, jusqu’aux années 50 elle s’est peu développée. C’est après la seconde guerre mondiale qu’elle trouve son essor. Ce saut est du à la conjugaison de plusieurs facteurs, c’est bien sûr une période de relative prospérité économique porteuse d’espoir, de dynamique, une période où se développe le travail féminin salarié ce qui induit la séparation des mères d’avec leurs enfants donc d’avoir recours à des moyens de garde…C’est également la période favorable à la vulgarisation des connaissances sur le monde de l’enfance (essor de la pédiatrie…). Ces éléments contextuels vont avant tout être favorables aux milieux culturellement favorisés qui seront donc le premiers à bénéficier de l’institution École.
Progressivement, l’image de l’école maternelle comme lieu de garde des enfants pauvres disparaît pour accueillir des enfants de milieux différents. Cela est possible parce que conjointement des moyens (en postes) sont rendus disponibles : avec l’entrée en 6ème des élèves au milieu des années 60, se libèrent des postes qui peuvent être redéployés sur la maternelle.
Rappelons donc que c’est la conjonction de phénomènes culturels, sociaux et des moyens investis par l’Institution qui infléchissent l’évolution de l’école maternelle. Tout cela se fait sans qu’on s’en rende vraiment compte à l’époque, sans que cela n’ait été vraiment programmé, mais c’est ce dont il faut se rendre compte pour exercer un regard lucide sur le contexte actuel.
Des années 60-70 date la bonne image de l’école maternelle, c’est le moment où elle se répand, où le renouveau pédagogique des années 70 développe une pédagogie de l’expression, où le jeu est en plein essor. Tout le corps social accepte la nécessité de l’école maternelle, la fréquentation s’est affermie, l’assiduité est effective. C’est également à ce moment là que les statisticiens de l’époque découvrent que la scolarisation en maternelle fait chuter les taux de redoublement au CP. C’est cette découverte « technocratique » qui fait qu’on planifie alors le développement de l’école maternelle, et à la fin des années 80 les objectifs quantitatifs de scolarisation des jeunes enfants sont atteints.
La loi de 1989 est donc promulguée pour obliger l’Institution, au delà des objectifs quantitatifs, à remplir des objectifs qualificatifs, c’est le début de la recherche d’efficacité de l’école maternelle. Avant la maternelle avait sa fonction propre, avec sa temporalité particulière, à présent on lui donne son caractère d’école préparatoire au CP. De cette volonté, naissent des espaces interprétatifs qui créent des malentendus. On assigne à l’école la nécessaire prévention des difficultés, des handicaps, mais gare alors à ne pas passer à l’anticipation de ces difficultés, à ne pas les ancrer parce qu’elles auront été révélées.
Des élèves en difficulté à la maternelle?
1er malentendu :
Avec cette loi, on a hypertrophié les attentes du registre cognitif alors que selon le décret d’application il s’agissait toujours pour l’école maternelle de pourvoir à l’épanouissement de l’enfant, de lui offrir les meilleures conditions possibles favorisant son bien être scolaire. Viviane Bouysse se permet d’insister : « Rien ne justifie trop tôt et mal des apprentissages qui ne relèvent pas de la maternelle ».
La translation vers l’amont des préoccupations du CP avec sa floraison de bilans partant de l’intention selon laquelle « plus tôt on verra, plus tôt on remédiera », doit nous alerter. Prudence, le souci légitime de prévention (s’assurer que tous les élèves bénéficient des meilleurs moyens de se développer) ne doit pas devenir un souci de formatage, de mise aux normes. En effet ce qu’on voit poindre depuis une dizaine d’années, ce sont des bilans qui par « effet de révélation » mettent en évidence ce qu’on a toujours su – qu’ il y a des différences entres les enfants – en faisant glisser ces différences en difficultés. L’école crée donc de l’élève en difficulté là où il n’y a que différences entres élèves.
Du productivisme à la maternelle?
2ème malentendu : Les espoirs de la loi de 89 ne parlent pas qu’aux professionnels, ils parlent aussi aux journalistes, aux économistes, aux statisticiens, aux parents…. Pour ces derniers, l’école maternelle est un système d’accueil gratuit (ce qui est sa force aussi, imaginez s’il fallait la remplacer…), c’est une chance pour leurs enfants, mais c’est également la première étape de la compétition scolaire…Selon l’adage : « plus on investit tôt, plus on aura de l’avance, avoir de l’avance c’est avoir plus de chances de son côté, plus on va gagner »….L’entrée précoce à l’école maternelle et le travail dès l’école maternelle, c’est un investissement productif.
D’où les attentes qui pèsent, attentes de résultats, résultats lisibles par l’accumulation de traces qui montrent que l’école maternelle, c’est du sérieux, on y travaille….Drôlement rentable pour les marchands de fichiers… On se retrouve à avoir tellement valorisé la fonction de l’école qu’on fait du coup peser le même types d’attentes sur les enfants de 2, 3, 4 et 5 ans….Aberrant… S’il y a du temps à la maternelle, utilisons le au service des caractéristiques et des spécificités de nos élèves.
Rappelons nous notre devoir de lucidité pour voir quelles interrogations suscitent ces malentendus, pour nous doter d’outils professionnels.
–> Utiliser la temporalité dévolue à l’école maternelle….
Jusqu’en 1972 a perduré l’organisation de l’école maternelle avec des circonscriptions spécifiques, des inspectrices spécifiques, avec ses propres institutrices à la formation, la rémunération, le temps de travail spécifiques distincts de ceux des instituteurs/trices de l’élémentaire.
En 1972, la mise en place du concours unique pour les inspecteurs, d’une part fait entrer les hommes dans le monde de la maternelle (sans leur octroyer de formation spécifique), d’autre part dilue la spécificité de la maternelle dans les circonscriptions mixtes, c’est l’époque où l’on promeut d’ailleurs la continuité GS-CP…
Aujourd’hui nous avons à repositionner les formes pédagogiques propres à la maternelle : la scolarité vécue à l’école maternelle est un vrai cursus scolaire dans le sens où l’assiduité généralisée a conduit à une évolution des pratiques pédagogiques. On ne peut proposer à un enfant de lui servir chaque année le même plat en se disant qu’avec l’âge l’appétit grandit…..D’où le nécessaire impératif, parce que nos élèves sont assidus, de se pencher sur des progressions (attention, pas des programmations standardisées) fondées sur l’analyse des caractéristiques, des besoins des élèves accueillis dans nos écoles.
–> Réaffirmer la portée préventive des apprentissages effectués à la maternelle en se gardant de stigmatiser les élèves les plus fragiles.
La maternelle est l’école du langage. Les chercheurs nous apprennent que c’est dans les usages du langage que s’enracinent la source des différences entre enfants. La portée préventive de l’école maternelle est de mettre tous les élèves en situations d’acquérir, de construire l’usage distancié et réflexif du langage.
Pour cela l’imprégnation ne suffit pas, il faut des interactions particulières, ce sont des actes professionnels précis.
Le travail sur le langage oral est le plus difficile à inscrire dans une conquête progressive, le risque pédagogique est de systématiser les formes les plus facilement didactisables (par exemple, la phonologie), gardons-nous en pour ne pas léser les plus fragiles. Ne jetons pas aux orties le travail sur la conscience phonologique, mais en temps et en heure, en toute petite et petite section nous avons à inventer en termes d’actes professionnels la pédagogie de l’oral. En cela l’intervention de Mireille Brigaudiot sera précieuse.
–> L’efficacité de l’école maternelle? Sa « performance »?
Si l’on veut évaluer l’école maternelle, pointer son efficacité, on peut croiser deux regards. Celui des spécialistes de la petite enfance qui écorche la maternelle sur le fait que ses orientations sont trop « primarisées », qu’elle n’est pas suffisamment attentive aux besoins spécifiques des petits, sans parler de la relation aux parents, particulièrement malmenée….Deuxième regard, celui des spécialistes de la « chose scolaire » qui culpabilisera toujours l’école sur son incapacité à combler les écarts entre enfants.
Alors inefficace l’école maternelle?
Le critère d’efficacité ne peut être le comblement des écarts, celui-ci est une utopie. L’école maternelle n’a jamais été aussi efficace, il n’y a qu’à voir le nombre d’enseignants de CP qui remettent en cause leur enseignement au motif que la plupart des élèves qui leur arrivent savent déjà tant de choses….
L’école maternelle n’a jamais poussé aussi loin tant d’enfants. Certes il y a des écarts, mais ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas compensés que l’école maternelle échoue, et si elle n’existait pas?
En existant, l’école maternelle atténue les effets délétères des inégalités scolaires, même si elle ne comble pas les écarts.
Si l’école maternelle veut progresser dans son efficacité, il lui faut travailler sur sa spécificité, elle n’est pas un équipement « petite enfance » comme un autre où elle perdrait son identité d’école, elle n’est pas « enchaînée » à l’école primaire avec les mêmes obligations (scolarité obligatoire à 3 ans?) ce qui lui ferait perdre sa fonction « maternelle », elle est en soit « passerelle ».
L’école maternelle a ses propres rites, sa propre temporalité, elle permet de construire le « devenir écolier » de part la maîtrise du langage, des attitudes scolaires…Elle fonde les apprentissages scolaires dans des acquisition de l’ordre du symbolique, du culturel (d’où encore une fois la place du jeu), et elle initie progressivement à des activités de plus en plus complexes : résolution de problèmes, investigation, recherche…
Ces apprentissages sont menés, conduits par de vrais professionnels qui ont conscience de ce que vont devenir les acquisitions de ces jeunes enfants en terme d’apprentissages scolaires, tout en s’appuyant sur la spécificité de la temporalité de cette école. Évidemment on ne peut être un vrai professionnel sans un ingrédient essentiel, …..de la formation….
Ouf, la salle jubile, c’est l’ébullition, on applaudit, la satisfaction d’avoir appris, pris du recul, de s’être grandit : on vient de prendre conscience de son histoire, de ses racines et cela nous ouvre des pistes pour faire évoluer ses pratiques pédagogiques en maternelle.
Intervention de Mireille Brigaudiot : Langage des enfants, langage des adultes à l’école maternelle.
Poser un regard lucide encore une fois sur ce que produit l’école maternelle, de par les attitudes, les postures de ses enseignants afin de progresser ensemble et d’entrevoir de nouvelles pratiques à mettre en oeuvre, de nouveaux « gestes professionnels ».
Des actes professionnels précis, réclamait Viviane Bouysse? , Alors accrochez vous, à vitesse grand V, sans hésiter à faire un détour par la théorie, parce qu’il ne faut pas avoir peur de la théorie mais au contraire la revendiquer, Mireille Brigaudiot nous fait un show sur comment il faut parler avec et aux enfants. Grandiose.
Illustrant son propos à partir de corpus empruntés à Agnès Florin, Mireille Brigaudiot nous montre d’abord ce qu’est une situation langagière…..stérile, qui ne fonctionne pas puisque les élèves sont, comme bien souvent dans nos classes, placés en position de jouer au jeu de « Devine ce que j’ai (moi l’adulte) dans la tête… ». Une situation de langage des plus anodines, mais qui dérape parce que les savoirs en jeu sont non partagés à 100%, le point de départ et celui d’arrivée n’appartiennent qu’à l’adulte d’où une situation métaphysique pour l’enfant : face à l’enseignant qui attend des réponses précises, l’enfant cherche à faire plaisir à l’adulte en trouvant à tout prix quoi répondre, ou ne dit rien parce qu’il n’a pas conscience de ce que peut attendre l’enseignant.
Attention un grand moment de vérité : « Non, il ne faut pas faire parler les enfants ! » assène Mireille Brigaudiot, on nous l’a toujours dit, alors on le fait, mais de grâce repensons l’importance de la communication, des échanges, en somme cessons de vouloir les faire parler pour ne rien dire…
Détour théorique donc, avec présentation de schémas illustrant une situation de communication : là encore l’humour est au rendez vous, c’est le schéma de Shannon, technicien du téléphone qui conçoit la communication comme un va et vient entre un émetteur et un récepteur. Ici nulle place pour la pensée, l’implicite, on ne s’en tient qu’au contenu strict du message, des mots bruts…Or accéder à une portée réflexive du langage ce n’est pas ça…
On passe donc au schéma de la co-énonciation, celui où la pensée de l’énonciateur contient, prévoit, conçoit la pensée du récepteur : les échanges sont possibles parce qu’il y a un minimum de savoirs partagés.
Dans une situation de dialogue en co-énonciation, le locuteur et l’interlocuteur qu’ils soient dans une relation de consensualité ou de discordance sur leur sujet, ont un accord minimal à propos de ce dont ils parlent, leurs pensées s’accordent : ils désignent par les mêmes termes les mêmes choses. Même si leurs avis diffèrent ils appellent un chat un chat …Dans une situation de monologue où il y a rupture entre le locuteur et l’interlocuteur, le premier dit seul, prend en charge son énonciation.
Mireille Brigaudiot nous révèle alors un nouveau malentendu de l’école : « les maîtres ne s’autorisent plus à être en monologue », ben oui ils ne font que poser des questions…. « Non, les enfants ne doivent pas tout construire tout seul, cela serait même dangereux ». Cessons donc de vouloir à tout prix tout de suite le dialogue, cela n’est pas possible, ce qui est normal parce que le dialogue, c’est ce que viennent apprendre nos élèves dans nos classes, ce que nous allons leur permettre de construire….Alors, retour en classe, comment on fait?
Pour qu’une situation de dialogue puisse émerger en classe il faut que les représentations du sujet dont on parle soient partagées : là oui on peut se permettre de poser des questions, parce que préexiste un vécu commun. Il est là le secret, dans le vécu commun…
Alors, surtout, ne jamais montrer un album non connu en clamant « Qu’est ce que ça raconte? »…que va-t-on construire avec ça? On va repérer les élèves qui cherchent à nous faire plaisir, mais l’élève qui n’a aucune idée de ce qu’il pourrait bien répondre, que va-t-on lui apprendre?
Dans une situation que l’on veut propice aux échanges, à l’émergence du langage chez les enfants pour lesquels ont doit porter une attention prioritaire (souvenez-vous l’école du peuple décrite par Viviane Bouysse…), on partira dorénavant toujours sur du vécu commun, rappeler ce qu’on a fait, ce qu’on va faire. « On » ce sont les enfants et l’enseignant, ensemble dans le vécu partagé.
Il devient très simple de mobiliser la pensée des enfants : « De quoi vous vous souvenez », : l’enseignant tient le souvenir, il est là l’acte professionnel.
Un autre extrait de situation langagière (réussie celle-ci parce que l’enseignante est préoccupée par le partage autour de ce vécu commun) est présenté, c’est un modèle, parce qu’en plus de cette attention au souvenir, l’enseignante introduit du monologue dans le discours. Le monologue ce ne peut être que quelques mots, une phrase simple, mais une phrase d’explication destinées à ces fameux enfants nécessitant une attention prioritaire.
Le monologue, c’est une prise de parole pour expliciter un savoir non partagé. Et ce monologue l’initiative en revient au maître, c’est encore un acte professionnel. Chaque matin, dans les classes on peut entendre : «Quel jour on est? », et fusent toutes les réponses possibles, alors que c’est tellement beau se délecte Mireille Brigaudiot, de chuchoter aux enfants : « je vais vous dire un truc, je suis sûre que personne ne vous l’a dit, mais…,… aujourd’hui, on est mardi, mar-di, hé oui, et vous savez quoi mardi, ça vient toujours après lundi, toujours, toujours toujours, …..vous allez vous en souvenir ? : le mardi, toujours après le lundi… »
La salle est subjuguée, l’exemple illustre à merveille qu’il faut exposer de nouveaux savoirs en prenant le point de vue des enfants qui sont le moins à l’aise sur le plan du langage, et ne pas poser de questions quand il s’agit de savoir référentiels non partagés…
Du concret ?
Puisqu’il est question d’une maîtrise de la portée réflexive à acquérir en fin de GS : que les enfants puissent adapter leur discours à leur interlocuteur par exemple, le but des activités langagières à la maternelle est de permettre aux enfants d’être le plus à l’aise possible dans le dialogue.
En PS, ce qui prime c’est d’instaurer la confiance, partager le plus possibles de choses avec les enfants, parler, parler et encore parler de ce qu’on fait là, à l’école.
Partager avec eux sur deux registres : – parler du souvenir commun ;
-parler de ce qu’on a là, sous les yeux, en regardant ensemble un album par exemple. Être en situation d’attente conjointe, c’est à dire adapter pour cela sa gestuelle, sa posture même : à côté, derrière l’enfant pour lui montrer de quoi on parle.
En somme il s’agit de retrouver une attitude……maternelle, c’est comme cela que les mères apprennent à parler à leurs enfants…
Les situations de rupture que sont les monologues et que l’on s’autorisera dorénavant porteront sur les « savoirs du monde », en somme la culture, que l’on construit en la disant.
De la PS à la GS, on se préoccupera de basculer de situations langagières empruntes de beaucoup de partage et tout petits moments de rupture à de plus grands moments de rupture attachés à de plus petits moments de partage.
L’échange est fort et intense, une vraie situation de partage et de communication, en retour le remerciement de l’intervenante pour avoir oser dire, pour oser la remise en question, accepter la lucidité et se remettre à travailler.
Intervention de Thierry Vasse : École maternelle-familles, enjeux d’une professionnalisation des enseignants.
Thierry Vasse est un « pédago », parcours complet : instit, directeur, IMF puis conseiller pédagogique, à présent IEN dans une circonscription de Vendée. Cette expérience de terrain lui permet de poser un regard précis sur cette relation indissociable de l’école maternelle : les enseignants et les familles des élèves…
Encore une fois il s’agit de regarder « avec lucidité » ces relations, il faut bien voir qu’à la base le partenariat est déséquilibré : les attentes des parents et des enseignants ne sont pas les mêmes, mais pour l’heure il s’agit de construire l’avenir de l’école en prenant en compte cette question. Alors autant la prendre en compte sans faux-semblant.
Par un bref exposé historique, Thierry Vasse nous rappelle qu’au fil de l’histoire on est passé de la notion d’éducation par la famille à l’avènement de la co-éducation :
– Dans notre état républicain, l’éducation des enfants est avant tout une affaire publique.
* Mais au 19ème siècle, l’Etat construit la famille nucléaire pour lui transférer cette responsabilité éducative ;
* au 20ème siècle l’éducation revient dans l’espace public, celle-ci devient une affaire sociale et professionnelle, on assiste à un processus de dé-familisation de l’éducation pour tendre à une notion de coopération.
C’est l’explosion des institutions liées à l’enfance. Et….en contrepoint du professionnalisme des institutionnels, l’émergence de la prétendue incompétence des parents.
* Avec les années 70, on re-familise l’éducation, la loi sur l’autorité parentale replace la famille comme une cellule de base.
* Aujourd’hui notre défi est donc de construire la co-éducation. Il y a nécessité à soutenir les parents, s’impose le fait de devoir dépasser les impasses éducatives, les droits des familles sont d’ailleurs affirmés depuis un B.O de 2006.
Construire la co-éducation?
C’est à dire partager les responsabilités éducatives entre la famille et les autres institutions. Le jeune enfant est donc placé au centre du processus éducatif. C’est utiliser le cadre législatif au service de cette co-éducation, en particulier le recours à la communauté éducative. Cela impose de chacun des membres de cette dernière d’assumer sa part de responsabilité.
Pour cela des principes éducatifs fondamentaux sont à partager et à garantir dans chaque institution, en particulier la non propriété de l’enfant, sa protection, sa promotion : l’accompagner vers son autonomie, accepter de perdre son pouvoir sur l’éduqué.
Les conditions nécessaires à cette co-éducation se trouvent dans la nécessité d’une acceptation de la complémentarité des rôles de chacun.
Dans un deuxième temps, l’exposé nous invite à prendre conscience de ce qui se joue à l’école maternelle : de l’enfant on construit l’élève, et du parent on construit le parent d’élève…
En cela il y a une importante responsabilité portée par l’école maternelle : elle est le premier contact avec l’école, alors gare à nos représentations des familles et aux dérives que nous contribuons à construire. C’est en partie notre regard qui fait le parent d’élève. C’est à nous qu’il incombe en premier de confronter la famille à la difficulté, si elle existe, de son enfant…
Alors efforçons-nous d’accueillir chacun avec ce qu’il est en renonçant à toute forme de jugement, ne nous permettons pas de « conflit de loyauté » qui inciterait fatalement l’enfant à faire un choix, celui de se retourner uniquement dans le camp parental.
Construisons une communication sereine, passons d’une présomption d’incompétence des parents à une présomption de confiance…Soucions-nous de communiquer aux familles, de leur transmettre avant de se soucier de leur aptitude à recevoir. Nous avons nécessité à cohabiter, alors acceptons d’emblée la communication, c’est ce qui permettra une reconnaissance mutuelle, ce qui facilitera les choses si il y a à intervenir dans une situation complexe.
Traiter chacun à égalité, on retrouve tout simplement là un principe de base des valeurs du service public…Loin du sempiternel « avec les parents qu’il a aussi, comment veux-tu?…. »
Comment s’y prendre alors pour « Construire »le parent d’élève en gardant en ligne de mire droits et devoirs? : Se souvenir qu’on s’adresse toujours au parent d’élève, pas au parent d’enfant, avoir pour principe de rester factuel, ne pas tomber dans l’interprétation.
En faisant un petit détour par la typologie des parents d’élèves selon une classification de Dubet, Thierry Vasse émaille son propos d’exemples sur nos attitudes de professionnels. On sent le public réactif, et si on appuyait un peu là où ça fait mal? Encore une fois, soyons lucide….
En premier, viennent les parents partenaires, vous et moi quoi, les parents enseignants en somme, ceux pour qui sont construits tous nos outils de communication pour les familles, rires narquois dans la salle…
En second les parents « faussements indifférents », ceux dont les codes culturels diffèrent tellement de ceux de l’école, qu’ils nous donnent l’impression de refuser d’y entrer. En vérité, ce n’est pas une démission, un désintérêt qu’ils trahissent mais une confiance aveugle, une sur-valorisation de notre travail, ils se reposent sur nous, ils ne vont quand même pas oser nous envahir nous qui sommes les professionnels…
En dernier lieu, les parents « trop concernés » ou « intrusifs », les consommateurs cyniques et exigeants…Pour eux s’impose de poser les limites, d’arrêter la toute puissance de la famille, et de se poser la question de jusqu’où doit-on construire la relation école-familles.
Pour ces parents envahissants, ne pas hésiter à recourir au secours des IEN nous enjoint Thierry Vasse, alors là ce ne sont plus des murmures mais des sourires bien plus qu’esquissés qui s’affirment dans les rangs. Le public est dubitatif, c’est le moins qu’on puisse dire, perturbé peut être?
Après les constats, la lucidité de rigueur, vient donc le moment de s’atteler à la tâche : rechercher des pistes de réflexion pour une relation école/familles professionnalisée, donc plus efficiente. Il s’agit de nouveau d’acquérir des gestes professionnels.
Pour ce faire, d’une part affichons la lisibilité, la transparence et le professionnalisme de l’école maternelle : allons vers les parents, soyons pro-actif, sans jargon institutionnel. Montrons, expliquons, rendons lisibles et valorisons les réussites, dédramatisons…
Attention à ne pas rendre responsables les familles de nos propres difficultés professionnelles avec certains enfants, ayons le souci de ne pas porter de discours violent à l’encontre de leurs familles (en particulier dans nos écrits), évacuons les suspicions en nous affichant comme professionnels.
D’autre part, construisons la cohérence des actions de l’ensemble des professionnels de l’école: rendons lisibles les rôles de chacun des professionnels de l’école, partageons ensemble un sentiment d’appartenance à l’école, soyons cohérents entre nos discours et nos actes afin d’être crédibles, impliquons-nous chacun dans les axes définis par le projet d’école, ce sont les attitudes professionnelles à adopter.
Ces attitudes qui nous exposent nécessitent en parallèle de se protéger par d’autres gestes professionnels : penser à conserver le vouvoiement avec les familles, en d’autres mots et autres circonstances, restons chacun à sa place et pensons à nous appuyer sur d’autres professionnels si besoin, désamorçons les tensions le plus tôt possible afin de ne pas générer de malentendus, sachons reconnaître nos erreurs quand elles ont lieu…
oups là le public réagit, on sent les effets de balancier dans la salle, à la fois le public est d’accord de se remettre en question, il vient même pour ça, mais faudrait pas pousser le bouchon trop loin non plus et se culpabiliser à outrance.
Il doit être 15h30 et mine de rien ça fait un bout de temps que les cerveaux cogitent, cette intervention là, on sent bien qu’il faut la digérer, Thierry Vasse avait un parti-pris, celui de ne pas caresser son auditoire dans le sens du poil…sans l’agresser il l’a ébranlé, titillé, tout en prenant garde à lui donner des ressources pour se sécuriser..
Portrait choisi
Pour clore nos impressions, ce vécu du public, les réactions à chaud et dans l’urgence d’un train à prendre, d’une participante au colloque, sa spécificité? Elle est Belge : Christine Caffieaux est chercheur à l’Université Libre de Belgique en Sciences de l’éducation, auteur d’une thèse sur les pratiques de classe à l’école maternelle. Elle témoigne avoir trouvé dans cette journée de la distanciation, de la réflexivité c’est à dire plus qu’une réflexion sur ses pratiques, une volonté d’apprendre sur soi, d’améliorer sa pratique. Christine Caffieaux rend hommage à ses collègues français pour cette introspective, selon elle peu de lieux de débats similaires existent en Belgique, ou alors ils sont moins largement diffusés et ne concernent qu’un public d’éminents spécialistes.
Ici ce sont les praticiens de la classe qui se sont retrouvés pour affronter ces problématiques.