Pour autant, les craintes du syndicat sont-elles dissipées ? Les campagnes persistantes sur le dénigrement du collège unique, l’amalgame approximatif des chiffres d’élèves en difficulté, les craintes sur la réintroduction d’un examen d’entrée en 6e lui semblent autant de signes inquiétants. « Ni adoration aveugle, ni opprobe injustifiée, les enseignants ont besoin de respect de leur travail et de leur engagement professionnel, d’une évaluation honnête et sérieuse des résultats de l’Ecole » poursuit Gilles Moindrot. Parce que les transformations sont nécessairement lentes, « elles ne s’accomodent pas du rythme des apparitions cathodiques : comment imagine-t-on qu’on mette en chantier une nouvelle réforme des programmes du primaire alors qu’ils ne s’appliquent que depuis quelques années ? »
Ainsi va de la réforme précipitée de la réforme des rythmes scolaires, ni négociée, ni discutée. A l’inverse du discours affiché, « on voudrait remettre en cause l’idée même d’expérimentation qu’on ne s’y prendrait pas autrement ».
Ne se trompant pas de lieu, il termine rapidement son discours d’ouverture. Sans doute parce qu’il sait que la salle est impatiente de passer à ce pour quoi elle venue : «écouter des chercheurs». Avec le souci, effectivement, de nourrir son réel, son métier.
Premier problème : où aller ? Toutes les deux heures, changement d’atelier, et à chaque fois quatre choix difficiles: Rémi Brissiaud ou Laurence Filisetti ? Bernard Devanne ou Bernard Rey ? L’accompagnement scolaire ou les troubles du comportement ? L’enseignement de l’histoire ? Lire au cycle III ? Les arts ou l’EPS ? L’orthographe ? Et la plage qui n’est pas si loin…
Parfois, ça démarre mal, et ça grince lorsque le chercheur semble avoir une vision trop distante de ce qu’on connaît de la classe. Ou qu’on a envie de mettre sur le dos de l’intervenant les insuffisances de moyens du RASED. Ou qu’on souffre trop pour entendre. Ou que l’intervenant est moins bon à l’oral qu’à l’écrit. Ou qu’il pert ses notes. Ou qu’il n’en sort pas. Ou qu’il ose dire aux syndicalistes qu’il déplore les rigidités du système éducatif ou la « forteresse assiégée »… Ou que tout n’est pas inscrit dans le processus de Lisbonne ou dans le libéralisme galopant…
Parfois, comme en classe, l’implicite ne permet pas totalement d’accéder au sens de la recherche que présente l’intervenant.
Et parfois, l’ambiguïté de l’attente surgit : le chercheur ne regarde que son objet d’étude. Et cet objet n’est qu’un regard, un point de vue, une focale, qui ne peut répondre à l’immensité des « questions de métier » qui envahissent l’univers quotidien de la classe. Le chercheur n’est-il qu’une loupe ? On attend en tout cas qu’il donne à voir la vraie vie : la classe.
Qu’il la problématise, la donne à voir, que ce soit par l’activité de l’élève ou celle du maître, et la salle écoute, studieuse, hochant la tête de connivence ou échangeant les sourires. On frise parfois la déférence envers le Chercheur sensé répondre à toutes les inquiétudes. Mais chacun sait au fond de lui même que personne ne peut faire le plus dur à sa propre place : quoi faire de ça dans ma classe, dans mon école ? A quelles « insuffisances » le propos entendu risque de renvoyer à chacun : l’intégration de l’élève handicapé, la séance d’histoire sur l’immigration, la leçon de sciences qu’on ne sait pas trop gérer, les résultats en orthographe…
Mais qu’au contraire il déborde son champ de recherche pour avoir un propos plus totalisant, et plus la salle se clive : les opinions prennent le pas sur le travail exigeant du scientifique. Et pas plus qu’un autre, l’orateur n’est à l’abri des approximations, des raccourcis, des points de vue plus idéologiques que scientifiques.
Michel Defrance (à ne pas confondre avec Bernard…) résume la situation : « Le problème des enfants qui résistent aux apprentissages et à la connaissance, c’est que ça vous met dans la même situation qu’un cuisinier qui verrait revenir les assiettes en cuisine sans que ses clients aient touché aux assiettes. Travail d’équipe, formation, entraide, relation aux familles, et appui sur les ressources existantes dans ou hors l’Ecole, c’est votre meilleure chance de ne pas trop souffrir d’être trop exposé, seul en première ligne, victime expiatoire laissée là par la société … »
Pas sûr que les petits bras du syndicat y suffisent… Mais ce n’est pas une raison pour ne pas continuer… Myriam reviendra l’an prochain. Si elle pouvait, elle s’inscrirait tout de suite. Des fois qu’on lui demande de laisser sa place aux autres. Il est deux heures du matin, après la soirée de fête, mais elle porte toujours son métier chevillé au corps : « Tu comprends, cette respiration, c’est une bouffée d’oxygène… Même si mes collègues me trouvent complètement dingue de prendre deux jours de mes vacances, ça me donne une pêche terrible. Même si je rentre toute tourneboulée. Mais c’est ça qui est bien dans ce travail. Tu te vois, toi, essayer de donner tout ce que tu dois donner aux gamins sans prendre un moment pour toi, pour t’ouvrir, t’informer… ? On ne devrait pas être 400, ici, mais 4000… Ca leur montrerait… »
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