Au collège des Courlis, à Nevers, l’aide aux élèves en difficulté est une préoccupation quotidienne. Comme dans nombre de collèges ZEP, dernière présence publique dans un univers chaotique. Au plein cœur d’un quartier sensible, on n’a pas le choix : les élèves accueillis viennent au collège avec le poids de leur vie quotidienne dans le cartable. Pour bien des élèves, la planète scolaire est bien loin de l’univers du quartier, fait de pauvreté, d’exclusion et de dislocation de la structure familiale. Quelques élèves seulement sont proches de la rupture : une dizaine d’absentéistes chroniques, une poignée qui « font bande » et cherchent à en imposer, provocateurs « ethniques » du quotidien.
Une équipe de pilotage qui s’engage
Pourtant, le collège « tient » : Marie-Claire Rérole, principale en poste depuis quatre ans, fait bloc avec son adjointe, la CPE, l’infirmière et la co-psy. « Il faut sans arrêt les talonner, aller au domicile, chercher à établir un contact avec les parents, même quand on sort un peu de sa fonction… ». Chaque semaine, on évoque ensemble les cas difficiles : cette semaine, c’est le tour de Kevin, tous les jours en retard, qui s’endort en cours, totalement livré à lui même chaque nuit à la maison, prêt à pousser un scooter volé pour 50 euros, rétif à toute idée de stage en entreprise quand il peut « faire le business » pour acheter ses Nike à 200 Euros. On parle aussi d’Hassan, qui se sent agressé par les remarques du prof sur sa « vie privée », incapable de gérer l’image que lui renvoient ses parents qui se battent à la maison….
Mais aux Courlis, les faits de violence ou les vols restent exceptionnels dans l’établissement, les exclusions de cours ont baissé de moitié, parce qu’on cherche à chaque fois des réponses mesurées. « On refait faire les devoirs en cas d’absence, on ne baisse pas les bras, ça fait partie du contrat annoncé à chacun ».
L’aide à la difficulté scolaire : des dispositifs sur mesure, mais tâtonnants
La plupart des enseignants, chevronnés, s’engagent dans les actions organisées pour l’aide au travail scolaire. On cherche, on tâtonne. L’an passé, une « 3e 1 » un peu spéciale avait été créée, à la fois pour libérer les cours des élèves les plus dérangeants, les plus en difficulté, les plus démobilisés, et leur permettre une aide spécifique dans une division à l’effectif allégé. Au bout d’un an, il a fallu tirer les premières leçons : certes, la paix sociale dans les autres classes est meilleure, mais l’image négative qu’ont certains élèves de la classe tire le groupe vers le bas, et certains parents refusaient que leur enfant soit stigmatisé.
Cette année, on a affiné le projet. On accueille un public différent : un redoublant en panne de projet individuel, un élève particulièrement perturbateur, mais surtout des élèves de 4e en difficulté, « pas complètement perdus, qui ont besoin d’être « cocoonés ». Quitte à laisser des élèves plus en difficulté dans les classes ordinaires. Les 3e 1 passeront le brevet technologique, avec un travail collectif spécifique pour les enseignants concernés. On a fait un travail avec les familles, et il y a désormais plus de volontaires que de places.
Pour l’ensemble du collège, on a mis en place depuis plusieurs années des dispositifs d’aide. Une « classe d’accueil » fonctionnait en extrayant temporairement certains élèves de leurs cours, à certaines heures, pour faire des remédiations en maths, en français, en anglais, quand ça paraissait urgent. Mais le projet entraînait de nouvelles difficultés : l’absence des élèves de certains cours « ordinaires », mais aussi les difficultés pour les assistants d’éducation à mettre en œuvre les « remédiations » demandées par les enseignants, à faire les corrections d’exercices… Là aussi, on tente de faire mieux cette année : d’abord, on a banalisé trois plages horaires « en barrette » où personne n’a cours, et les professeurs se recentrent sur les objectifs prioritaires du trimestre, en fonction de ce qui va être au programme. Pendant ce temps là, les autres élèves sont en étude ou à la maison.
L’accompagnement scolaire, un nouveau challenge
Alors que la mécanique de ce nouveau dispositif commençait à peine à se huiler, est arrivée la nouvelle circulaire sur « l’accompagnement scolaire » : sports, ateliers culturels ou soutien scolaire. Il a fallu remettre l’ouvrage sur le métier, en quelques semaines de réflexion. Et s’organiser :
« Sur le culturel et le sportif, les familles vont avoir le choix d’inscrire ou pas. Mais sur le soutien, on va être plus prescriptifs, explique Mme Rerole, avec une incitation ferme envers les parents ».
L’équipe a concocté un dispositif sur mesure qui va démarrer :
– une aide aux devoirs et aux leçons, fait par des étudiants de l’école d’ingénieurs voisine, pour les élèves « ordinaires »,
– des plages d’approfondissement ou de soutien, encadrés par les professeurs du collège ou des établissements voisins volontaires, avec la manne d’heures supplémentaires qui vient d’arriver au collège,
– et un dispositif tout en souplesse pour les plus déscolarisés, avec l’enseignant de la classe-relais sur un programme sur le travail cognitif, un psychologue libéral qui viendra travailler sur l’estime de soi, et la conseillère d’orientation pour travailler à imaginer un avenir. On va essayer de trouver des terrains de stage pour susciter des envies…
Avec le quartier, on essaie de tuiler les dispositifs : l’aide qui était proposée par le centre social voisin va être recentrée sur les élèves de troisième, en insistant sur l’apprentissage de l’autonomie, avec l’objectif du lycée, et la liberté pour les élèves d’y aller seulement quand ils en ressentent le besoin. Le collège va aussi payer les vacations d’une anglophone qui viendra proposer, dans les locaux du centre social, des moments de conversation en anglais.
Parce que l’objectif du collège, c’est bien l’avenir de ses élèves : dans un quartier où on cherche surtout à se rapprocher de ce qui vous ressemble, partir loin est inenvisageable. « Au delà de Géant Casino, ils sont à l’étranger… On a du mal sur les BEP avec des élèves qui refusent leur cursus de logistique au bout d’un mois. Ils cherchent à ne pas s’éloigner du quartier, à retrouver les copains… Faire dix kilomètres ou aller en internat, c’est impossible. »
Le trou noir de l’activité en classe
Malgré toute cette mobilisation, certains sont sans doute tentés de baisser les bras, d’en rabattre sur les exigences. Mais il faut dire que la prise en charge collective par l’équipe de ce qui se passe dans la classe est très complexe, et chacun se retrouve face à soi-même, à ses manières de faire.
« Tout le monde pense qu’il fait son boulot, et après tout il ne saurait être question de modéliser une manière de faire. Mais entre l’aspiration à la «liberté pédagogique » et le « chacun fait comme il peut, l’écart est ténu. »
Est-il possible de travailler ensemble sur les questions posées par la demande institutionnelle de différenciation ou d’individualisation ? Existe-il des « techniques » qui permettent de favoriser la « motivation » des élèves ? Existe-t-il différents modes d’apprentissage ? Peut-on les aider à savoir pourquoi ils travaillent ? Comment leur faire profiter de l’aide ? Comment passer de leur culture du « tout, tout de suite » à l’acceptation de l’effort, de l’entraînement, du travail à long terme ? Comment passer de « ils ont vu… » à « ils savent »… ? Peut-on affronter tant d’hétérogénéité ? Leur «apprendre à écrire» ? Leur redonner de l’appétence à apprendre ? A quel prix ?
Autant de questions lourdes, pour lequel un nouveau chantier est à ouvrir. Cette année ?