Par Françoise Solliec
Le 16 octobre, la presse était conviée à entendre l’intervention de Philippe Guittet, secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale, SNPDEN, en préliminaire à une réunion du bureau national, élargie aux secrétaires académiques et départementaux. Le Café était présent.
On a une vraie bataille à mener.
Malgré sa position dominante au sein des personnels de direction et la reconnaissance dont il jouit à tous les niveaux de la hiérarchie politique, concrétisée par une récente série d’entretiens (cabinet du premier ministre, ministre de l’éducation nationale, doyen de l’inspection générale, directrice de l’encadrement, etc.), le SNPDEN exprime par la voix de Philippe Guittet une inquiétude forte par rapport à la modernisation annoncée de la fonction publique et à ses conséquences quant à la physionomie future du service public d’éducation. Citant à plusieurs reprises l’article « Un management des carrières proche de celui du privé », publié dans le Monde Economie du 16/10/2007, et s’appuyant sur les déclarations de Nicolas Sarkozy et François Fillon, Philippe Guittet estime qu’il est grand temps pour les organisations syndicales de réagir si elles ne veulent pas voir disparaître les modalités de gestion et de suivi collectifs, quelles qu’en soient les lourdeurs et les modifications souhaitables, au profit d’une individualisation des carrières et des rémunérations.
Pour lui, il ne s’agit pas du tout de refuser les réformes ou la modernisation en bloc, elles sont nécessaires. Il constate cependant que tous les changements annoncés vont dans le même sens : possibilité de travailler pour l’Etat sous contrat privé, mobilité facilitée vers le secteur privé « avec pécule », mise en place de la LOLF avec ses indicateurs de performance et ses contrats d’objectifs, prise en compte accrue « du mérite » et surtout la réduction de moitié du nombre des fonctionnaires, qui obligera à la fois à « assurer les mêmes missions avec moins d’agents et moins d’argent » et à définir d’autres transferts vers les collectivités terrritoriales ou le privé.
La grille d’analyse des politiques publiques, utilisée en ce moment par les équipes d’audit qui se déplacent dans 14 ministères n’est pas moins éclairante : Quel est le service rendu ? Faut-il maintenir cette politique ? Qui doit financer ou cofinancer ? Comment faire mieux et moins cher ? etc.
Le calendrier de travail n’est pas fait non plus pour rassurer, puisque le conseil de la modernisation des politiques publiques, réuni autour de Nicolas Sarkozy, doit examiner mi-novembre les scénarios présentés par les équipes d’audit et définir les premières orientations, avant de décider en mai 2008 des principales réorganisations, qui se traduiront dans la programmation budgétaire 2009 – 2011.
En parallèle, quatre conférences sociales se tiennent sur la fonction publique, réunissant employeurs (l’Etat), syndicats et grands témoins (la Poste, EDF, …). Elles abordent « les valeurs, les missions et les métiers, « le pouvoir d’achat », « les parcours professionnels » et « la rénovation du dialogue social ». Menées à vive allure, avec un temps minimal de préparation, elles ne permettent guère aux organisations syndicales de s’y exprimer dans les meilleures conditions. Cela sera-t-il davantage possible dans le débat public participatif qui suivra jusqu’en mars 2008 ?
Et pour l’éducation, comment cela risque-t-il de se traduire ? Philippe Guittet note tout d’abord que pour l’instant le paradigme individuel n’est pas massivement rejeté, comme le montrent les différentes réactions aux attributions d’heures supplémentaires pour les personnels de l’éducation nationale.
Plusieurs textes réglementaires ne sont toujours pas parus, malgré des décisions prises il y a près de 9 mois. Le texte sur les réseaux ambition réussite, « en cours de parution », ferait possiblement mention pour le chef d’établissement d’une indemnité modulable selon ses performances. Le SNPDEN prendra certainement partie contre ce critère de modulation, puisque les performances de l’établissement dépendent en fait beaucoup de facteurs externes à celui-ci (décisions de dérogation de l’IA entre autres). Les décrets d’application sur les carrières et sur la charte de pilotage des établissements sont également attendus rapidement et des modalités d’action seront envisagées s’ils ne sont pas parus lors du congrès syndical de novembre.
Le SNPDEN s’étonne que l’on parle si peu du socle commun, dont la mise en place constituerait pourtant un vecteur important d’innovation pédagogique. Interrogé sur l’ouverture possible de collèges expérimentaux, Philippe Guittet rappelle que l’expérimentation est inscrite dans la loi Fillon et que le SNPDEN y est favorable, mais que cela ne saurait être une réponse massive.
En ce qui concerne la carte scolaire, le SNDPEN n’est pas opposé à son assouplissement. Il regrette néanmoins qu’il n’y ait pas eu de véritable analyse de l’existant et insiste sur la nécessité d’une régulation qui doit aller de pair avec un élargissement de la carte.
Mais ce qui inquiète le plus aujourd’hui, ce sont les rumeurs concernant le devenir des EPLE. Dans une perspective managériale orientée par le souci économique, poussera-t-on à aller vers des établissements de plus grande taille, susceptibles de recruter eux-mêmes leurs enseignants et dont le conseil d’administration serait présidé par une personnalité apte à faire respecter les notions de productivité et d’efficacité ? L’arrivée de la LOLF a permis aux secrétaires généraux d’académie de conforter une vision comptable du système. Le SNDPEN veut se battre pour que plus d’autonomie pour l’établissement ne se traduise pas par plus de concurrence entre établissements, pour que les indicateurs de performances reflètent une dimension locale, pour que l’élève ne soit pas vu que comme un usager. Il a une vraie bataille à mener.