: L’Inspection générale appuie sur le frein
»
On ne peut réussir une mutation aussi importante que celle que
représente la mise en place d’une évaluation par les compétences sans
s’en donner le temps… C’est en s’engageant progressivement, en
ciblant les expérimentations, en passant sans doute par des formes
intermédiaires sans viser immédiatement une sorte de pureté
conceptuelle, que l’évolution aura le plus de chance de se concrétiser.
Si l’objectif de changer les démarches, les outils, de clarifier les
fonctions de l’évaluation doit être affirmé avec détermination, la mise
en œuvre doit pouvoir être inscrite dans le temps, non pas pour la
reporter ou la voir se dissoudre dans l’inertie du système, mais pour
lui donner les chances d’une réalisation effective ». Le rapport sur les
livrets de compétences, remis par les inspecteurs généraux Alain
Houchot et Florence Robine, appelle à une mise en place progressive et
prudente.
Pourtant le rapport ne mâche pas
ses mots quand il s’agit de dénoncer les errements des modes
d’évaluation actuels. » La grande majorité des enseignants
désignent en premier lieu les appréciations écrites puis la note
chiffrée comme reflétant le mieux le niveau d’acquisition des élèves. «
Tous s’accordent à dire, que la note, surtout lorsqu’elle est établie à
partir d’un barème, est juste… En fait cette opinion, exprimée par
les enseignants, est en contradiction avec tous les travaux conduits
sur cette question » rappellent les inspecteurs. Ils ont beau jeu de
montrer que les pratiques d’évaluation restent personnelles et de
portée limitée. Résultat, » le silence de l’école est finalement
assourdissant, sur ce qui est pourtant l’une de ses missions : informer
l’institution, les élèves, les familles, sur les acquis des élèves ».
L’inspection montre aussi
que l’évaluation par compétences semble inéluctable. Elle correspond à
l’évolution socio-économique, aux recommandations de l’Ocde
et de l’Union européenne, mais aussi aux développements des
sciences de l’éducation (par exemple lutter contre la fragmentation des
connaissances). Enfin nombre de pays se sont engagés sur cette voie. En
France même, elle est déjà effective dans certaines disciplines (Eps,
Sti, B2i,Svt). Ajoutons qu’elle est indispensable au socle commun de
compétences.
Mais
voilà : l’Inspection est
impressionnée par les difficultés rencontrées en Belgique, en Suisse et
au Québec lors de la mise en place de ces nouvelles formes d’évaluation
particulièrement chez les parents. » Les exemples suisses
montrent que, comme dans le cas québécois, la suppression du mode
traditionnel d’évaluation a suscité des réactions fortes, aussi bien
chez les parents, les enseignants que chez les simples citoyens ;
réactions qui traduisent tout à la fois le sentiment de ne plus
comprendre les objectifs de l’école, de ne plus maîtriser les attentes
de l’institution envers les enfants, et la crainte de voir vaciller un
ensemble qui sert de repère solide à toute une société ».
Finalement évaluer par
compétences » apparaît comme le point d’appui de toute rénovation des
systèmes de formation », » nécessite une révision globale des
programmes, une élucidation des compétences à évaluer, une
clarification des évaluations à mettre en œuvre, une formation
approfondie des enseignants pour leur permettre de changer leurs
pratiques d’enseignement et d’évaluation, une information précise des
familles. Chaque étape
de ce processus est déterminante et peut engendrer des difficultés,
lesquelles peuvent elles-mêmes se transformer en obstacles définitifs,
empêchant de mener la réforme à terme » écrit l’Inspection.
L’Inspection adresse donc 9
recommandations. Elle demande de veiller à la cohérence de la mise en
place du livret de compétences avec les autres dispositifs et
évaluations, de réviser les curricula, de donner des outils aux
enseignants et de « rechercher
l’adhésion de tous les acteurs », parents compris.
La loi Fillon remise en
question ? Ces conditions nécessitent du temps. Or, il faut rappeler
que le livret de compétences a été institué par un décret de Robien
publié le 15 mai 2007 au J.O. Il devait entrer en application dès cette
rentrée à l’école primaire et au collège, au moins à titre
expérimental. Le rapport de l’Inspection laisse donc planer un doute
sur l’application effective du décret à court terme et semble justifier
un aggiornamento de cette mesure.
Ainsi, après la
Suisse et, très récemment le Québec (où le nouveau livret
résulte d’un compromis avec les traditionalistes), la France serait le
troisième pays francophone à buter sur cette réforme. S’il
est effectivement préférable d’accompagner une évolution de cette
ampleur, le rapport est publié après des déclarations sur le collège
unique, après des choix budgétaires drastiques, alors que des
interrogations se sont déjà fait jour sur l’application de la loi
Fillon. Une fois de plus, la preuve que toute réforme doit
nécessairement s’accompagner d’une travail sur le long terme, visant à
convaincre et à former plutôt que d’injoncter comme si sa mise en œuvre
ne posait pas en filigrane une foule de débats professionnels, éthiques
et politiques sur la place de l’Ecole dans la Nation…
Le
rapport
Le
décret
L’arrêté
Des
outils d’évaluation au primaire