Le rapport annuel du Haut Conseil de l’Education (HCE) a déjà suscité des réactions diverses sur le site du Café. Il a exaspéré une partie des enseignants qui se sont sentis mis en accusation. Il a été accueilli favorablement par d’autres qui y ont vu un levier pour faire changer l’école. Sans doute manquait-il le commentaire du HCE. Bruno Racine, président du HCE, a bien voulu répondre à nos questions. Allant au-delà des réactions et des explications sur le rapport, il invite la communauté éducative à réfléchir sur l’école maternelle, moment-clé du creusement des inégalités.
Le rapport du HCE a fait beaucoup de bruit et, paraissant à la rentrée, rédigé en termes assez vifs, il a suscité des réactions de rejet chez une partie des enseignants. Pensez-vous avoir tenu compte aussi des progrès du système éducatif ?
Nous avons simplement interprété la loi qui nous demande de faire un bilan annuel, un état des lieux à un moment donné. On ne nous demande pas de faire un historique. Donc on s’est appuyé sur les données que le ministère produit et sur des études confiées à des chercheurs. Ce qui fait que les évolutions sont moins visibles.
En terme de priorité il était important de signaler que globalement la France se résigne à un taux d’échec grave en primaire, que personne ne souhaite mais qui n’est pas acceptable. D’autant que certains pays ont l’ont réduit. Il est fortement corrélé aux inégalités sociales et il n’y a pas de progrès sensible depuis 15 ans au moins sur ce point.
On a voulu éviter aussi bien le catastrophisme que l’auto satisfaction. Le système éducatif français n’est pas le plus mauvais du monde. Pour la majorité des élèves il atteint ses objectifs mais il ne le fait pas pour 15% des élèves. Et pour un quart d’entre eux, à la fin du primaire, les acquis sont si fragiles que l’échec au collège est prévisible.
C’est choquant de découvrir qu’on peut prévoir le destin scolaire d’un élève dès qu’il entre au CP. Ceci amène à poser des questions, pas des jugements, sur l’école maternelle et son rôle et sur l’efficacité de l’école primaire. A quoi servent toutes ces années d’école si elles ne réduisent pas les inégalités de départ ?
Alors finalement comment jugez-vous les réactions à votre rapport ?
Elles ne sont pas étonnantes car le rapport est entré en collision avec la rentrée et avec tous ces pamphlets contre l’Ecole. Pourtant, dans notre formulation, on a pris soin d’exclure toute condamnation des enseignants et de leur travail. Et je comprends que chez les enseignants le tableau soit ressenti douloureusement.
Mais si on lit bien le rapport, on pointe des constats, par exemple les déficiences de pilotage ou de fourniture d’outils d’évaluation, qui ne sont pas imputables aux maîtres. D’autre part il y a un contraste dans la perception des difficultés entre les maîtres et le HCE. Vu du maître, si dans une classe de 25 élèves on en a 3 qui sont en difficulté ce n’est pas beaucoup. Mais sur toutes les classes de France cela forme de gros bataillons.
Aussi le HCE ne met pas en accusation les enseignants. Il établit un constat déjà partagé par les chercheurs. A partir de là c’est aux responsables politiques et syndicaux de s’en emparer.
Justement on peut prendre un exemple précis. Celui du redoublement. Les chercheurs ont prouvé sa nocivité au primaire. Il coûte cher. Et pourtant il n’est pas remis en question. Comment expliquez vous cela ?
Notons quand même que les redoublements ont tendance à diminuer. Mais, c’est vrai, le redoublement est en effet au mieux inutile et probablement nocif. Enfin il est absurde par rapport à la logique des cycles. Mais peut-on de manière autoritaire l’interdire ? On en a débattu. Finalement on pense que si on interdit le redoublement mais qu’on ne met pas en place une pédagogie différenciée, on arrive à une impasse. Le redoublement a vocation à disparaître mais cette disparition doit être accompagnée d’une montée en puissance d’outils pédagogiques adaptés. Et justement on remarque que depuis 10 ans le nombre d’élèves a diminué et celui des enseignants augmenté : il y a donc une marge de manœuvre potentielle.
Le rapport dénonce les enseignants qui ne sont pas devant des élèves. Et c’est un peu énervant parce que nous savons qu’ils ne font pas rien : ils sont formateurs, ils travaillent dans les Rased etc. Alors n’y –a-t-il pas une contradiction dans votre rapport entre demander une évolution de l’Ecole et lui en refuser les moyens humains ?
Globalement on pense que c’est l’émiettement de l’école qui fait obstacle au travail collectif et au changement. C’est davantage un problème d’organisation, entre le niveau de la classe et de l’I.A., que de moyens. Les inspecteurs sont trop peu nombreux et trop sollicités par ailleurs pour que l’accompagnement pédagogique soit efficace. Il faut donc un échelon intermédiaire. Et il nous semble que le directeur peut être cet échelon à condition d’en redéfinir le rôle. Actuellement l’émiettement des écoles et leur isolement sont un problème.
Et puis il y a la question de la formation. Il faut revoir la place du concours et la durée de la formation initiale et favoriser la formation continue.
Certains chercheurs pensent que si l’on veut lutter contre les inégalités sociales il peut être plus efficace de le faire en dehors de l’école. Je pense par exemple à Marie Duru-Bellat. Pensez-vous que l’école suffise à les résoudre ?
L’école ne peut pas répondre à tous les problèmes de la société. Pour autant elle a sa responsabilité propre et j’observe qu’ailleurs elle obtient des résultats dans la réduction des inégalités sociales. Ce qui nous frappe c’est la stagnation sur cette question, comme si l’école se résignait. Or la loi de 2005 a fixé des objectifs clairs avec la maîtrise du socle commun. Elle ne doit pas accepter la situation actuelle.
Alors sur quels leviers appuyer pour lancer ce changement ?
Nous n’avons pas vraiment la réponse. Mais on suggère de s’intéresser à l’école maternelle. Quel doit être son rôle? On voit bien que souvent elle décalque précocement la grande école. On y voit les inégalités se cristalliser. Mais les analystes du ministère, les chercheurs n’y voient pas très clair pour expliquer ce qui s’y passe. Il y a là quelque chose là qui reste à analyser et qui, par bonheur, n’est pas un sujet de polémique. Il se joue à l’école maternelle quelque chose d’important. Les inégalités y apparaissent. Alors profitons du fait qu’elle n’est pas sujet à polémique pour poser la question de ce qui peut y faire baisser les inégalités sociales.
Pour vous c’est lié au débat sur la scolarisation à deux ans ?
Je ne sais pas. Il faut déjà observer ce qui se passe avant d’avoir un avis.
Entretien : François Jarraud