Est-on déjà dans la pensée unique ? Fait rarissime dans une démocratie, le pays respire au rythme des désirs d’un seul homme. Il y a ce qu’il écrit, comme par exemple la « Lettre aux éducateurs ». Et, comme, parfois, c’est assez confus, il y a, gravitant autour du Prince, les exégètes qui courent après ses mots. Certains sont ministres… Et nous-mêmes au Café, puisque toute la République tient apparemment dans un seul homme, nous voilà bien obligés de décrypter la prose présidentielle, celle de la « Lettre ».
La difficulté est dans les contradictions d’un texte. D’un côté le président écrit » Nous ne referons pas l’école de la IIIème République, ni celle de nos parents, ni même la nôtre… Si je souhaite réformer le collège unique, c’est pour que chacun puisse y trouver sa place, pour que les différences de rythmes, de sensibilités, de caractères, de formes d’intelligence soient mieux prises en compte de façon à donner à chacun une plus grande chance de réussir ». De l’autre, il ajoute, ou plutôt il conclue par : » il nous faut élever progressivement le niveau d’exigence à l’école primaire, puis au collège et au lycée. Nul ne doit entrer en 6e s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du collège. Nul ne doit entrer en seconde s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du lycée et le baccalauréat doit prouver la capacité à suivre un enseignement supérieur ». Cette dernière phrase introduit le risque d’examens d’entrée et donc de reconstitution de filières séparées d’enseignement. Et nous voilà confrontés à la question, disons-le très mal posée, du collège unique.
Supprimer le tronc commun est inefficace. Or c’est probablement ce que demande une partie de l’électorat de l’UMP pour qui l’hétérogénéité empêcherait la création, ou plutôt la reproduction, des élites. Pourtant l’efficacité scolaire du tronc commun est démontrée. Dans son nouvel ouvrage, Nathalie Mons s’est attachée à la calculer. Ecoutons-la. » Le collège unique souffre d’une image négative en France, les enseignants et parents pensent que les résultats seraient meilleurs dans un système qui présenterait des classes voire des filières scolairement plus homogènes. Or, c’est le contraire. Il y a désormais un quasi-consensus sur le sujet dans la recherche, et mon étude va dans ce sens. Ce sont les systèmes qui, dans l’enseignement obligatoire, mixent le plus possible les élèves de niveaux scolaires et de conditions sociales différents qui sont les plus efficaces… Les dispositifs qui tendent à raccourcir le tronc commun – par exemple en France le module Découverte professionnelle de 6 heures qui exclut du collège les élèves les plus faibles dès la fin de la 4ème -, ce type de dispositifs est contre-productif en termes de performances scolaires… Les systèmes précocement sélectifs ne sont pas associés à des élites numériquement plus nombreuses. L’école unique n’aboutit donc pas à un sacrifice des élites ». Son ouvrage montre nettement la différence entre les pays à filières séparées (comme l’Allemagne) et ceux à tronc commun (comme les pays scandinaves ou le Japon) : ceux-ci ont un niveau scolaire moyen meilleur, moins d’élèves faibles et davantage d’élites. Le tronc commun permet à tous de progresser.
Vers la suppression de la loi Fillon ? La remise en cause du collège unique est d’autant plus surprenante que la loi Fillon a conçu un socle commun qui définit pour la première fois un bagage commun de connaissances et de compétences pour tous les jeunes Français. Remettre en question le collège unique c’est en fait revenir sur le socle commun. Robien l’avait fait avec l’instauration de l’apprentissage junior. La condamnation du collège unique serait le second signe d’abandon de la loi Fillon par la nouvelle équipe. Le premier signe est peut-être dans le budget : on voit mal comment il pourrait dégager les postes nécessaires au déploiement des PPRE et de l’enseignement des langues, deux mesures de cette loi.
Il est important que le pouvoir affiche des objectifs clairs au système éducatif. La Lettre de Nicolas Sarkozy n’est pas que confuse. Elle se garde, à la différence de la loi Fillon sur l’école de définir des objectifs chiffrés. L’école future que veut construire le président, on ne sait pas si elle permettra à 80% d’une génération d’atteindre le bac et à un jeune sur deux d’accéder à l’enseignement supérieur. Fixer des objectifs ce serait lever les ambiguïtés. Ce serait aussi afficher un projet pour l’Ecole qui semble actuellement ne plus être qu’une tirelire à vider.
François Jarraud
Sur le collège unique
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