Le récent rapport du Haut Conseil de
l’Education sur l’Ecole primaire, remis lundi au chef de l’Etat, est-il
un pétard mouillé ou une nouvelle preuve de l’inefficacité de l’action
du ministère ? Les lecteurs du Café se feront leur idée en en lisant
les 26 pages, mais le moins qu’on puisse dire est qu’ils y chercheront
vainement les nouveautés : s’y côtoient quelques truismes largement
connus de tous, et quelques contre-vérités aux relents très
idéologiques.
Du
côté des évidences,
les auteurs exposent doctement que les cycles ne sont pas mis en place,
que le redoublement au primaire n’est pas efficace, que nombre d’élèves
ne maîtrisent pas les exigences de l’entrée en 6e faute de prise en
charge précoce des difficultés, que les enfants de pauvres réussissent
beaucoup moins bien que les enfants de riches, que les outils
d’évaluation ne sont pas assez utilisés, que l’Ecole maternelle peine à
réduire les écarts, que les IEN sont trop loin du terrain du fait de
leurs multiples missions, que le pilotage est insuffisant et que la
mise en œuvre des programmes est plus que laborieuse.
Pourtant, ils pourraient
aussi préciser combien les polémiques de ces derniers mois (discours
démagogiques sur le redoublement au CP pour tous les élèves ne
maîtrisant pas le décodage, attaques répétées contre les programmes de
2002, les documents d’application et les pédagogies centrées sur
l’élève, réduction de la scolarité des plus jeunes enfants,
tripatouillage des évaluations CE1 les déqualifiant au yeux de nombre
d’enseignants, fragilisation des enseignants devant l’opinion
publique…) ont sans doute renforcé grandement la capacité d’action,
d’engagement et d’efficience des enseignants des écoles…
Du côté des contre-vérités,
l’analyse à la serpe du rôle du directeur est un régal : globalement,
tout irait mieux si le directeur d’école avait un vrai statut
hiérarchique, pouvait imposer des modifications pédagogiques à ses
adjoints et piloter son conseil d’administration comme un vrai patron.
On se demande sur quelle étude ce genre de propos peut être étayé :
chacun sait combien, dans le second degré où ces conditions sont
réunies, le chef d’établissement obtient des résultats spectaculaires
sur la mobilisation pédagogique de ses enseignants, unifie les
pratiques au service des élèves à la dérive et met en œuvre la
différenciation pédagogique…
Autre étonnement : selon le
rapport, « la
multiplication des intervenants extérieurs libère un volume d’heure
d’enseignement qui semble très sous-utilisé » ! Les
auteurs ne connaîtraient-ils pas d’exigence des programmes sur la
responsabilité du maître dans toutes les disciplines, ou pensent-ils
que toute la France fonctionne comme à Paris, avec des professeurs
spécialisés en EPS et arts plastiques payés par la ville ?
La
place de la maternelle
est longuement abordée, mais le verdict est sans finesse : « L’ensemble de ces
considérations devraient amener le ministère à étudier le
fonctionnement et l’organisation de l’Ecole maternelle, sur lequel les
analyses précises manquent ». A moins que les auteurs ne
les aient pas lues ? Le Café leur permet de leur signaler, très
respectueusement « Apprendre à l’Ecole, apprendre de l’Ecole », édité
récemment par les chercheurs de Paris VIII sous la houlette d’Elisabeth
Bautier, qui analyse sérieusement les difficultés (réelles) de la
maternelle à réduire les inégalités… Ou à consulter le
site de l’Education Prioritaire…
L’analyse de la formation est aussi
largement approximative : selon le rapport, les enseignants partent en
stage « au bénéfice de
l’ancienneté », le stage est « une récompense plus qu’une
nécessité ». Rappelons aux doctes auteurs que 40% des
enseignants qui sont dans leurs dernières années de métier ont été
recrutés sans qu’on leur fasse suivre une formation initiale (environ
15% du corps, selon une note de la DEP… ), que la plupart des barèmes
de départ en stages départementaux sont du type
ancienneté/nombre de semaines de stage…
Peut-être
auraient-ils pu ajouter que les moyens de remplacement en formation
continue sont grignotés chaque année pour pallier aux insuffisance du
remplacement maladie, que l’essentiel du potentiel restant est aspiré
par les obligations ministérielles (directeurs, néo-titulaires,
formations spécialisées), ramenant à epsilon ce qui reste disponible
pour le tout-venant. Enfin, s’ils ont sans doute raison de souligner
les insuffisances du potentiel de formateurs, peut-être auraient-ils pu
citer les nombreuses pistes explorées dans les IA et les rectorat pour
les liaisons Ecole-collège, les formations filées, souvent réduites à
des expériences non-généralisables faute de moyens… Le récent rapport
de l’inspection générale sur la formation, publié cette année, est
pourtant bourré de bonnes idées…
Gisements
d’emplois cachés ? Le serpent de mer refait surface…
Au
même moment où le ministère annonce 11000 suppression de postes, le
rapport sous-entend une nouvelle fois que des gisements d’emplois
pourraient être trouvés pour «l’aide aux enfants en difficultés » en
remettant au turbin les hordes d’enseignants du primaire qui ne
travaillent pas directement en classe.
Pourtant,
comme le dit pas le rapport, ces enseignants remplacent les enseignants
absents, les temps partiels, les directeurs, les enseignants en stage…
Les «ressources
humaines mal réparties » comme le dit le rapport ? Ce
n’est pas ce que laissent indiquer les statistiques du MEN lui-même
(fac-similé ci-dessous) : le nombre de maîtres « chargés
de classe » est inchangé depuis 25 ans (82%), les moyens de
remplacements formation ont baissé, les postes de soutien AIS (RASED et
autres) représentent moins de 4% des emplois, et l’animation
pédagogique (conseillers et animateurs) moins de 2% des emplois.
Bref, beaucoup de soutiers isolés, et
peu d’encadrement et d’aide pour d’animer le travail de terrain, le
seul qui compte… Quelle entreprise privée fonctionnerait avec aussi
peu de cadres intermédiaires ?
« Il est urgent d’agir »
dit le rapport… Continuons d’entasser les rapports pertinents (le site
de l’Inspection Générale en est plein), et occupons le populo avec des
diagnostics à la serpe, pour faire la Une des journaux télévisés.
Parce
que franchement, si le gouvernement français décidait de s’occuper
prioritairement des enfants qui ont du mal à réussir à l’Ecole, on
devrait s’en apercevoir…
Un
dernier chiffre ? Chaque année, un étudiant de formation paramédicale
coûte en moyenne 2000 Euros, un étudiant en formation sociale environ
7500, un élève-ingénieur 10 000 et un élève de grande école 30 000. No
comment.
Faites vous votre idée par
vous-même, téléchargez
le rapport…