Par François Jarraud
Pression sans précédent ou simple exercice de bonne gestion ? Après plusieurs années d’austérité, le nouveau gouvernement a annoncé sa décision de supprimer 10 000 postes d’enseignants en 2008. S’il n’est pas illégitime pour un gouvernement de faire des économies, il n’est pas interdit de poser la question de l’opportunité de cette politique.
Une politique qui vient de loin. La rentrée 2006 s’est opérée avec près de 5000 postes en moins : c’est dire que la politique actuelle ne fait que continuer, en l’accentuant celle de G. de Robien. C’est sous le gouvernement Raffarin qu’ont été initiés les rapports d’audit de « modernisation » de l’éducation nationale qui ont étudié les mesures qui entrent maintenant en application. Rappelons qu’ils recommandent de réduire de 20% le nombre d’enseignants en diminuant les horaires d’enseignement, en annualisant le temps de travail et en regroupant plusieurs classes pour certains enseignements. Des propositions que l’on retrouve dans les propos de X. Darcos.
Ainsi l’audit sur le collège recommandait une réorganisation profonde des enseignements. « Dès la rentrée 2007, l’assouplissement des obligations horaires est amorcé, dans la limite de 20% de la dotation… Dans un second temps et après évaluation, sont abrogées pour l’ensemble des années au collège les grilles horaires hebdomadaires au profit d’un référentiel qui fixerait pour chaque enseignement une base horaire par cycle. Cette base est inférieure à la dotation actuelle, car elle est appelée à être complétée à hauteur de 20% par des moyens non fléchés ». Entendez des heures d’études dirigées. Ces propositions ont par exemple été reprises telles quelles par X. Darcos dans le rapport rédigé pour le futur président en mars 2007. (cf. plus bas).
Un argument démographique biaisé. Le gouvernement utilise plusieurs arguments pour justifier ses décisions. Le premier concerne la baisse démographique. Elle permettrait de dégager des emplois. Or, si elle est réelle dans le secondaire (- 50 000 élèves), les suppressions de postes sont démesurées par rapport à cette évolution (-10 000 postes pour -50 000 élèves !). Enfin la France a la particularité d’avoir une croissance naturelle forte qui inversera la tendance dans le secondaire dès 2009. C’est dire que cette baisse est temporaire.
Quel gisement d’emploi ? Un autre argument revient régulièrement dans les propos ministériels : 32 000 enseignants ne sont pas devant des élèves, selon le rapport de la Cour des comptes de 2003. Ils ne sont pas pour autant sans emploi. Ils sont formateurs en IUFM, conseillers pédagogiques, remplaçants : des fonctions dont l’Ecole a besoin. Il reste un surnombre d’enseignants, évalué par l’administration à 3 000 enseignants. Si l’on en croit le Rapport de performance 2006, « ces surnombres n’ont pas entraîné une majoration de la masse salariale, les services académiques ayant mobilisé ce sureffectif enseignant pour les remplacements des absences et le soutien scolaire ». On ne peut pas en même temps vouloir le déploiement des PPRE et la suppression de ces emplois…
Peut-on opposer financement des universités et de l’enseignement scolaire ? » La rénovation de l’université française est une priorité absolue de mon Gouvernement » a déclaré F. Fillon devant l’Assemblée. « Je vous proposerai d’y consacrer 5 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2012 ». Si effectivement les universités françaises souffrent d’un financement insuffisant et le pays d’un taux d’étudiants faible pour un pays développé, on peut s’étonner du raisonnement tenu par le gouvernement qui consiste à opposer enseignement scolaire et supérieur (« Nous sommes dans un pays qui consacre énormément d’argent à l’enseignement secondaire, pas assez à l’enseignement supérieur et pas assez à l’enseignement primaire. Et bien il faut que les choses changent » F. Fillon sur TF1).En effet le succès universitaire a ses racines dans l’enseignement scolaire et même préscolaire. Si l’on veut augmenter le taux d’accès en université il faut concrètement hisser scolairement les enfants des milieux défavorisés, ce qui veut dire commencer par diminuer le taux d’échec scolaire. Et pour cela renforcer l’école pré-élémentaire et élémentaire. Ce raisonnement est tenu par les autres pays développés (par exemple le Royaume-Uni) qui investissent davantage dans l’éducation scolaire alors que, contrairement à nous, leur nombre d’élèves est en déclin.
Réforme et austérité sont-ils compatibles ? Un dernier argument concerne la conception même de l’Ecole. F. Fillon souhaite « un meilleur équilibre éducatif, laissant plus de place aux pratiques périscolaires, sportives et culturelles ». Le gouvernement avance aussi l’idée d’une mise à jour du service des enseignants, inchangé depuis 1950. Mais en prélevant sur le budget de l’éducation, le gouvernement bloque les possibilités d’évolution de l’Ecole. D’une part il démobilise le personnel en aggravant au quotidien ses conditions de travail et en diminuant son salaire réel (en baisse de plus de 2% en 2005 selon l’Insee). D’autre part, il se prive des marges qui permettraient une réelle réflexion sur le choix scolaire, le partage des rôles entre Etat et collectivités locales, la différenciation scolaire. Car la politique engagée contredit les réformes envisagées. Comment supprimer des postes et promettre le libre choix des familles qui implique des transferts d’élèves ? Comment susciter l’autonomie des établissements sans moyens et accompagnement ? Comment individualiser les enseignements quand on réduit filières et options ? Comment décentraliser quand on utilise les collectivités locales pour transférer des charges ?
Réduire n’est pas transformer. Une réelle transformation de l’Ecole ne pourrait se faire que dans une situation budgétaire propice. Ainsi nos voisins peuvent utiliser les marges dégagées par le déclin démographique pour des réformes de structure. Les prélèvements opérés sur l’éducation nationale remettent maintenant en question le financement des mesures inscrites dans la loi Fillon de 2005. Où trouver les 22 000 postes nécessaires aux PPRE et au plan Langues ? Comment rendre les PPRE efficaces sans effort de formation et d’accompagnement ? Peut-on continuer à promettre à la fois austérité et efficacité sans tromper ?
Audit sur les lycées
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/index181006_Le[…]
La déclaration politique du gouvernement
http://www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/interventions_premier_minis[…]
Rapport de performance 2006
http://www.performance-publique.gouv.fr/performance/politique/pdf[…]