les langues anciennes et l’egalité, du college aux C.P.G.E
Marie Fontana-Viala, François Gadeyne
La réforme des classes préparatoires littéraires s’appliquera dès la rentrée 2007. Cette réforme met en place une hypokhâgne « indéterminante » – c’est-à-dire une organisation commune entre les classes qui préparent leurs étudiants à l’ENS de Paris, et celles qui préparent à l’ENS « Lettres et sciences humaines » de Lyon, et un rapprochement des deux concours. Au cœur de ce dispositif, se trouvent une heure de « culture antique », et deux heures de langue ancienne – latin ou grec, au choix. Ces cours, inscrits dans le tronc commun, ont donc un caractère obligatoire. Loin d’être une régression, cette modification du tronc commun de l’hypokhâgne atteste une conception renouvelée de la culture classique, résolument ouverte sur l’histoire littéraire et l’histoire des idées, et, plus largement, sur le présent, et sur la diversité culturelle. Selon l’inspection générale de Lettres, il s’agit d’une véritable « renaissance des humanités » – à condition que les professeurs de Lettres et de langues anciennes se saisissent de cette occasion pour « illustrer » leur discipline et faire la preuve de son intérêt pour des étudiants littéraires aux profils de plus en plus variés.
Les objectifs de formation en 1ère année de classe préparatoire littéraire sont redéfinis. Ce texte de cadrage destiné aux classes préparatoires n’est pas inintéressant à consulter au-delà de ce public, notamment pour les enseignants de lycée. L’annexe II concerne les langues anciennes et affirme que celles-ci ne doivent pas être réservées à des spécialistes.
« L’enseignement des langues et culture de l’Antiquité en classe préparatoire de lettres première année a pour objectif de donner accès à un ensemble de références à travers la lecture de textes anciens et de légitimer le rôle mémoriel, culturel, fédérateur des langues anciennes pour les pratiquer, les décrire et les inscrire dans le présent de notre culture. L’enjeu est de faire en sorte que les étudiants s’approprient une culture qui ne doit pas être réservée à des spécialistes. »
Enfin, les cours de culture antique et de langues anciennes suivront désormais un programme, renouvelable. Pour l’année 2007-2008, le thème sera « Eros, philia, amor, amicitia : amour et amitié dans la société, le mythe, la littérature et la philosophie ».
En même temps, dans le cadre de l’aménagement de la carte scolaire, et de la mise en concurrence des établissements les uns avec les autres, le recteur de l’académie de Créteil propose, pour prévenir les risques d’inégalité croissante entre les établissements, « la mise en place d’options attractives, de projets pédagogiques innovants, et de partenariats avec des universités et des grandes écoles ». D’après le Parisien, Jean-Michel Blanquer proposerait « la création d’options rares, telles que les langues anciennes, et le développement de domaines d’excellence pour « rendre attractifs les établissements qui seraient délaissés » ».
Pour devenir réellement des « options attractives », les langues et cultures de l’Antiquité doivent être au rendez-vous, comme elles ont été au rendez-vous de la réforme des classes préparatoires. Ne devraient-elles pas être le fer de lance de l’égalité, conçue comme l’accès du plus grande nombre aux fondements de la culture humaniste – celle-ci étant conçue comme la synthèse des idées, des représentations, des mythes et des « fictions » (au sens étymologique du terme), des créations qui s’attachent à l’Antiquité dans les cultures contemporaines ? Dans le labyrinthe de la diversité culturelle, aujourd’hui unanimement reconnue comme une nécessité, le latin et le grec déroulent, à n’en pas douter, le fil d’Ariane.
A l’appui de ces réflexions, voici quelques titres récents, dont la lecture nous paraît indispensable pour envisager le tournant que notre enseignement est appelé à prendre.
– H. Wismann, P. Judet de la Combe, L’Avenir des langues : repenser les humanités, Cerf, coll. Passages, 2004.
– Patrick Voisin, Il Faut reconstruire Carthage. Méditerranée plurielle et langues anciennes, L’Harmattan, coll. Kubaba, 2007.
– Paul Veyne, L’Empire gréco-romain, Seuil, coll. des travaux, 2005
– Survivances et métamorphoses, Textes rassemblés par Hervé Duchêne, Dijon, EUD, 2007 (cf. rubrique « Parutions » dans ce même numéro du Café pédagogique).
– Pierre Vidal-Naquet, La Démocratie grecque vue d’ailleurs, Flammarion, coll. Champs, 1990.
Bulletin officiel de l’Education nationale du 10 mai 2007 (« Rénovation de la filière littéraire des CPGE »).
Bulletin officiel de l’Education nationale du 7 juin 2007 (« Objectifs de formation de la première année des classes préparatoires de lettres »)
Articles du Monde et du Parisien sur les déclarations du recteur Jean-Michel Blanquer :