François Jarraud
Les valeurs au sommaire de Vie pédagogique
« Au retour de la récréation, durant la période de relaxation, Julianne se promène entre les tapis disposés un peu partout sur le plancher de la classe. Chaque élève est couché sur son tapis personnalisé. Ce groupe de huit élèves de deuxième cycle du primaire – des enfants qui souffrent de troubles envahissants du développement – est assez agité depuis le retour des vacances de Noël. Benoît est particulièrement nerveux depuis quelques semaines, alors que son nouveau beau-père habite maintenant à la maison. Julianne réalise soudainement que Benoît se masturbe. Les autres ne le voient pas. Elle ne sait pas quoi faire. Devrait-elle intervenir maintenant ? » La question des valeurs se décline souvent de façon inattendue et urgente en classe. La revue québécoise Vie pédagogique y consacre son numéro 143.
La question est d’importance. A cela plusieurs raisons. D’abord, rappelle Camille Marchand, « l’école, au centre de la sphère publique, lieu des premières expériences de socialisation, est un espace privilégié pour traiter des valeurs; ne pas aborder la question, c’est en parler. Ne pas toucher les valeurs avec les élèves, c’est nier que l’enfant est toujours en train de négocier entre les messages reçus à la maison et ceux qui sont véhiculés par l’école, et cela est très difficile à vivre pour certains ». Ce qui n’empêche pas l’école québécoise de veiller à ne pas dresser les valeurs de l’école contre celles de la maison. « L’école, dans cet effort de clarification de valeurs, doit également donner la possibilité aux parents de s’exprimer en proposant des espaces où ils se sentent entendus sur cette question ».
Le numéro aborde donc les valeurs sous l’angle pédagogique. Ainsi Britt-Mari Barth montre l’importance des valeurs portées par le maître dans la réussite des élèves. « L’élève meurtri doit être le premier à sentir la confiance qu’on a en lui. Il doit sentir que l’enseignant cherche à le comprendre. C’est risqué de faire confiance quand on n’est pas sûr de la réciprocité; il faut d’abord avoir des assurances. Si l’élève remarque que l’enseignant cherche avant tout à mettre ses connaissances à son service pour l’aider à réussir, il se crée ainsi un climat de confiance. Le cognitif est imbriqué à l’affectif, l’un ne fonctionne pas sans l’autre. L’enseignant doit se donner tous les moyens pour favoriser l’établissement de ce lien de confiance. C’est ce que j’appelle « le contrat d’intersubjectivité » : entrer dans une compréhension mutuelle des attentes; de part et d’autre, clarifier les attentes. L’élève doit sentir qu’une personne qui croit en lui est là pour l’aider ».
Mais la question des valeurs au Québec se pose également dans le contexte de la laïcisation du système éducatif. C’est seulement en 2005 qu’a été décidé l’abolition de l’enseignement confessionnel à l’école. En 2008 les nouveaux programmes d’éthique et de culture religieuse remplaceront les anciens programmes catholiques, protestants et d’enseignement moral. Ils feront la place belle à l’héritage religieux du Québec. Une situation qui peut être curieuse vue de France (où se pose quand même la question de l’enseignement du fait religieux) mais qui témoigne du lien particulier entre l’Ecole et la communauté québécoise.
Les valeurs, Vie Pédagogique n°143, mai 2007.
http://www.viepedagogique.gouv.qc.ca/numeros/143/numero143.asp