Le casse-tête du chef d’établissement
Entretien avec Bernard Durix Bernard Durix dirige le collège André Brouillet. L’établissement est situé à Couhé, un petit bourg rural (1889 habitants) du département de la Vienne, au cœur d’une région agricole.
FJ – Les IDD ont été conçus pour mobiliser les élèves en difficulté des quartiers difficiles. Quel public alimente votre collège ? BD – Notre collège est un petit établissement de 280 élèves dont 40% sont de milieu plutôt défavorisé notamment sur le plan culturel. FJ – Les IDD vous paraissent-ils pertinents pour ce public ? BD – Oui, je le pense personnellement et depuis longtemps de nombreux collègues conduisent des actions pluridisciplinaires qui n’ont pas la forme des IDD. Ainsi, dans les parcours diversifiés qui ont lieu depuis trois ans au collège, les professeurs ont souvent pratiqué de l’ouverture extérieure. Par exemple, depuis deux ans, en cinquième, l’étude de l’eau débouche sur un travail sur les circuits de l’eau dans la ville (eau potable, eau usée) avec visite des sites (station d’épuration, château d’eau…) De même un parcours sur la diététique débouche sur la confection des menus d’une semaine pour tout le collège avec participation du personnel de l’intendance et respect de toutes les contraintes (équilibre alimentaire, budget…). En fait, le travail pluridisciplinaire au sens des itinéraires, nous l’avons expérimenté dans les projets culturels et des classes à PAC. Par exemple un travail sur l’imaginaire du conte en sixième débouche sur une activité qui associe technologie, français, arts plastiques. Chaque élève élabore un conte sur « La Bête du collège » imaginée, écrite, décorée par les élèves et mise en scène avec des comédiens. FJ – Comment s’est fait la mise en place au collège André Brouillet ? BD – Une journée collective de réflexion a été organisée le 14 décembre Elle a réuni les équipes de quatre collèges ruraux afin de permettre une grande diversité de réflexion, d’échanges, de références d’actions. FJ – Pensez vous que cette journée a été positive sur le plan de l’information des enseignants, de la remontée des besoins ? BD – Oui pour l’information et l’échange d’idées. Cela a donné lieu à un rapport qui a contribué à la synthèse départementale. Je crois que l’effet de cette journée était plutôt positif même si des problèmes sont apparus après. FJ – Comment les enseignants ont-ils accueilli les IDD ? BD – D’abord avec une grande méfiance devant l’énième réforme qui de plus, semblait réduire les horaires disciplinaires. Puis une période d’intérêt pendant laquelle les projets semblaient pouvoir se construire. Enfin après la prise de position négative de certains syndicats et les changements politiques, un grand attentisme et peu d’investissement. FJ – De nombreux collègues se plaignent de la réduction des horaires disciplinaires. Qu’en est-il réellement à Couhé ? BD – C’est à la fois vrai et faux. Vrai en 6ème car il y a une baisse en français d’une heure mais pour être juste, il faut aussi dire que des dédoublements apparaissent en technologie et SVT. Vrai ou faux au cycle central (5ème – 4ème) suivant les établissements. En effet il existait des « fourchettes » horaires applicables et chaque établissement était doté d’une petite marge d’intervention qu’il utilisait suivant les besoins locaux. Par exemple, dans mon collège la physique, l’histoire et les parcours diversifiés en bénéficiaient. Lorsque les horaires deviennent fixes « au plancher » et que la marge disponible est nécessaire aux itinéraires, les professeurs ont l’impression d’une réduction horaire. Mais elle est variable d’un établissement à l’autre, elle peut même être inexistante. FJ – Comment expliquez vous ces difficultés ? BD – Il est difficile, d’abord, de constituer des équipes pluridisciplinaires. Dans un petit collège, il y a peu de « combinatoire » possible pour constituer des équipes volontaires. Pour donner des exemples, le prof d’art plastique est très dynamique et très demandé, il est de tous les projets. Je peux difficilement lui en demander plus. Il ne faut pas « épuiser » les plus actifs. Pour les thèmes plutôt scientifiques (nature et corps humain ou créations et techniques) je dispose de professeurs uniques en sciences-naturelles et sciences physiques. Ce sont de jeunes femmes avec de petits enfants qui ne souhaitent pas faire d’heures supplémentaires. Leur service est complet avec les heures réglementaires hors itinéraires. Dans ces conditions, comment préparer deux parcours, un thème « nature et corps humain » sur deux ans en cinquième et quatrième sans la participation à un titre ou un autre du prof de sciences ? Ensuite, la gestion des barrettes notamment dans les périodes de concertation crée une pression ingérable sur la vie scolaire. Le schéma officiel préconise des plages de 3 semaines de concertation. Si les enseignants se concertent les élèves sont libres et, dans les zones rurales soumises aux transports scolaires comme la notre, ils restent à l’école. Résultat ils sont en études sous la responsabilité des surveillants en plus des études régulières prévues à l’emploi du temps. Cela augmente considérablement les effectifs en étude. Cette possibilité de concertation crée de la pression sur la vie scolaire qu’il faut alors réorganiser… si l’on peut ! Par ailleurs le travail en autonomie est nécessaire pour que les enfants produisent car les élèves, en cinquième, sont encore souvent très lents. Mais l’autonomie est difficile à organiser à cet âge et l’encadrement fait défaut. Ajoutez que le dispositif suppose souvent le recours aux heures supplémentaires qu’on ne peut imposer qu’en nombre limité. FJ – Pensez-vous qu’il aurait fallu réduire les groupes à la moitié des classes ? BD – La taille du groupe doit-être en fonction du projet. Quelque fois une demi-classe c’est pratique et facilement gérable mais ce n’est pas une nécessité. FJ – L’organisation des IDD pose-t-elle des problèmes pour les emplois du temps ? Arrivez-vous à faire tous les thèmes imposés ? BD – Faire tous les thèmes doit-être réalisable mais cela nécessite un investissement et une collaboration de tous les enseignants. Condition qui n’est pas réalisée dans mon établissement notamment dans les matières scientifiques où une discipline est représentée par un seul enseignant. FJ – Et du côté du CDI ? BD – Le CDI serait insuffisant pour les besoins d’un niveau de classe notamment pour l’accès informatique. Alors à fortiori pour deux niveaux… Nous aurons à utiliser la salle informatique ce qui posera le problème de l’encadrement. Quant aux activités externes, il n’en est pas question de façon autonome en collège sauf disposition d’encadrement très exceptionnelle. FJ – Le collège est-il aidé matériellement pour la mise en place ? BD – Non FJ – Mais souhaiteriez-vous qu’il le soit ? Qu’est ce qui manque à cette réforme pour qu’elle rencontre du succès ? On met toujours en avant la question matérielle. N’y a t-il pas aussi d’autres difficultés, par exemple liées à la culture des enseignants ? BD – La « culture disciplinaire » se traduit souvent pour une enseignante à la fois par le souhait que sa matière soit reconnue par un horaire important et aussi par la hantise du programme à « boucler ». Ce n’est pas critiquable. Il y a dans certaines matières une réelle difficulté à boucler ce fichu programme. Par conséquent il faudrait que les corps d’inspection s’impliquent pour travailler les points suivants : FJ – Malgré tout, pensez-vous que cela va « marcher » ? BD – A moyen terme peut-être, je le souhaite. Mais il nous faut surmonter réticences et réelles difficultés d’organisation et d’encadrement posé. Le site du collège A. Brouillet de Couhé :
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