« La Grande Lessive repose sur le détournement d’une pratique familiale commune et incontournable. Le dispositif propose ainsi une version accessible de l’exposition, mais aussi de la pratique artistique. Il s’agit le jour venu d’étendre le matin une feuille de format A4 à l’aide de pinces à linges sur un fil tendu dans un lieu convenu. Un dessin, une photographie, un collage, une peinture… réalisés pour l’occasion de préférence hors de l’école seront accrochés par leur auteur qui signera au dos de la réalisation. Le soir, chacun reprendra ce qui portera désormais trace du regard porté par d’autres ». Voulu par Joëlle Gonthier, ce projet un peu fou a séduit le Café. Le pari c’était que nos écoles, nos salles des profs, nos cours de récréation se couvrent le 25 janvier de dessins, de photos, de collages, simplement accrochés à une ficelle par une modeste pince à linge. Plus de 30 000 personnes ont répondu à cet appel à la fois artistique et qui vise à créer du lien social. En voici quelques témoignages. Le jour de lessive c’est aujourd’hui ! Joëlle Gonthier : « La Grande lessive a créé un appel d’air » Joëlle, quel bilan faites-vous de l’événement ? La Grande lessive a remporté un grand succès. Les témoignages montrent qu’au-delà de la participation numérique très importante, ce moment partagé à l’école et dans d’autres lieux a été vécu avec une intensité particulière. Des mots reviennent souvent dans les messages : » émotion « , » rencontre « , » plaisir « , » échange « , » magie « , » poésie « … Beaucoup soulignent également le » sérieux » et la » concentration » de ceux qui ont choisi de préparer l’accrochage en participant à des ateliers sans pour autant être spécialistes de l’art. Faire exister une idée ne présente jamais d’évidence. Le dispositif de La Grande lessive, à première vue si simple et si facile à mettre en œuvre, avait besoin de faire la preuve de son efficacité pédagogique, artistique et sociale. C’est chose faite au vu des témoignages reçus. Dans certains lieux (Toulouse, quartier d’Empalot et Saint-Michel…) ce fut un événement. Pourtant la météo a parfois été défavorable. Par moins dix degrés, il eut cependant près de quatre cents participants (issus d’associations, de centres sociaux, d’écoles…) à Torcy en Saône et Loire ! Le ramassage scolaire a été parfois interrompu et des établissements fermés. La Grande lessive a ainsi parfois été reportée comme à Bordeaux, mais pas annulée (elle aura lieu le 6 février). En quoi ça a permis de faire avancer l’Ecole ? Moins d’un mois et demi après son lancement, près de deux cents établissements scolaires ont pris une part active à La Grande lessive. De la petite enfance à l’âge adulte, tous les lieux de formation ont identifié dans ce projet quelque chose qui les concernait. Je ne sais pas si cela » a fait avancer l’école « . Je sais seulement que des enseignants, des élèves, des parents… se sont mobilisés très rapidement autour de ce projet et souhaitent lui donner une suite. Là où La Grande lessive a été mise en place, elle a créé un appel d’air : elle correspond au désir de transformer des pratiques et invite à devenir de plus en plus créatif dans la manière d’enseigner. La Grande lessive se situe à l’opposé d’une pratique élitiste. Elle cherche à créer du lien, pas de l’exclusion. Elle invite à l’art en sachant très bien que le plus difficile est souvent de s’engager sur le chemin qui y mène. Quels prolongements envisagez-vous ? La deuxième édition qui aura lieu le 27 septembre prochain en constitue le prolongement logique. Les inscriptions arrivent déjà en nombre. Des réseaux entre établissements scolaires du premier et deuxième degré, et entre écoles et quartiers s’instaurent. Nous aurons ensemble plus de temps et aussi plus d’expérience pour préparer cet événement de début d’année scolaire qui constitue l’un des moyens de renouer ou de développer des relations avec une pratique artistique. Mon souhait est que les réflexions issues de la première édition permettent à chacun de modifier des pratiques en classe et au-dehors. La neige, le vent, le froid ont été des obstacles à affronter dans l’édition hivernale, mais c’est le quotidien : si nous attendions tous le soleil de juin et des conditions idéales, nous ne ferions rien ni en pédagogie ni en art, ni individuellement ni collectivement. Le site de La Grande lessive va essayer d’accompagner cette préparation du 27 septembre et ce cheminement vers une version donnée à l’art. Montrer ce qui est fait, échanger, se dégager de la classe et du seul rapport enseignant/élève me paraît indispensable pour l’enseignant et pour l’élève, comme pour la construction du savoir. La Grande lessive dispose désormais de quelques partenaires très actifs hors de l’école : municipalités, associations, centres de loisirs, maisons des jeunes, bibliothèques, crèches, ludothèques, foyers d’étudiants, centre des soins, hôpitaux… Développer la pratique artistique hors de l’école m’apparaît être l’un des conditions du renouvellement du rapport à l’art et de la compréhension des enjeux de l’enseignement artistique au sein du système scolaire. C’est pourquoi je vais m’employer à réaliser un travail de fond avec tous ceux qui partagent de telles convictions. Ouvrir ce qui existe et initier de nouvelles pratiques m’importe. Toutefois, cette action sur le terrain qui influe sur le social, ne doit pas faire oublier la dimension artistique du projet. Ce qui s’est passé a aussi constitué une écriture faite de fils, de feuilles, de couleurs et de formes, soutenue par une humanité qui s’est exprimée de diverses manières. Le changement d’échelle qui a fait abandonner les murs d’une galerie ou ceux d’une école, la diversité des productions et le nombre des acteurs ne doit pas occulter le fait que c’est aussi une certaine idée de l’art qui a ainsi pris corps. Nous avons à considérer ensemble » ce que cela donne « . Qu’en pense l’institution scolaire ? Il me semble que c’est à l’institution scolaire et non à moi que s’adresse cette question. Je peux dire simplement que, de leur propre initiative, des inspecteurs et des conseillers pédagogiques de l’enseignement primaire ou encore des CRDP et des sites académiques ont relayé La Grande lessive. Cette réactivité est à mes yeux porteuse d’ouverture. Je l’interprète comme le désir de favoriser des pratiques qui tissent des liens avec la cité et comme le projet d’introduire l’art et l’événement dans l’école. Il s’agirait ainsi non seulement de valoriser l’enseignement artistique -ce qui est une urgence et une nécessité-, mais aussi de faire agir ce qui est de l’ordre de l’artistique afin de transformer les relations dans l’école. La mobilisation autour de La Grande lessive m’incite à penser que ces objectifs sont beaucoup plus partagés que les clichés qui encombrent les rapports à l’art dans le système scolaire ne le laissent supposer. Qui aurait dit avant le 25 janvier que tant de parents se joindraient aux enfants pour pratiquer les arts plastiques ? Qui aurait dit aussi qu’autant d’enseignants initieraient aussi vite un projet d’une telle ampleur dans leur établissement, leur quartier, leur cité ? La Grande Lessive en action le 25 janvier A Dijon, à la maternelle Ouest, Raphaël Jacquin a découvert l’existence de La Grande lessive en lisant son Expresso du matin. Un peu circonspect, il a fait confiance au Café : si c’est dans l’Expresso, c’est que ça été déjà validé… Il en a donc parlé à ses deux collègues, et ils se sont lancés. » Ce qui m’a plu, c’est que c’était très facile à mettre en œuvre, éphémère, avec un côté intergénérationnel. Même les ATSEM ont joué le jeu et y sont allées de leur œuvre « . Il a suivi les consignes à la lettre : de grands fils tendus dans la cour malgré la température glaciale et la neige qui a recouvert la ville, des formats A4, et des pinces à linge. La seule entorse : des productions ont été faites en classe, pour ne pas pénaliser les élèves pour lesquels le projet n’a pas eu l’accueil favorable à la maison. Les réactions des élèves ? » Pas facile à mesurer. Nos petits citadins ne connaissent guère le fil à linge. Ils nous ont surtout demandé pourquoi on affichait dehors… « Le projet sera-t-il poursuivi les années à venir ? Pour Raphaël Jacquin, ça n’est pas le problème. Il est de ceux qui aiment » cette futilité qui nous permet un peu de douceur dans ce monde de brutes « . Il s’est lancé, en a même parlé en réunion avec ses collègues directeurs de la ville. C’est alors qu’il a découvert qu’une autre école jouait aussi le jeu. » C’est bien souvent ça qui nous manque… Mutualiser, se parler… Tous les prétextes sont bons. Celui-là en est un… « A Moissy-Cramayel, ville nouvelle cosmopolite de Seine-et-Marne, c’est une adjointe qui a trouvé l’info dans (Fenêtres sur cours) et en a parlé à Valérie Le Moing, la directrice. Cinq des six collègues ont dit banco : » Un projet en arts plastiques, qui ne demande pas trop de moyens, on était partantes tout de suite « . C’est sur le parvis de l’Ecole qu’a été installé le fil magique. Les délégués de parents d’élèves ont relayé l’info du cahier de liaison, avec l’invitation à venir signer le livre d’or à la sortie des classes. Le contrat de La Grande lessive a été respecté à la lettre, et chacun a eu à coeur de faire preuve d’imagination : ici, on a détourné des photocopies de sacs plastiques, là on a plutôt réinvesti des techniques déjà travaillées dans les classes. Fiers de montrer leurs productions aux grands, les enfants ont pris beaucoup de plaisir. Bien que les parents aient été » un peu timides » pour accrocher à leur tour leurs œuvres, les témoignages écrits ont été laudatifs : » Que de beaux dessins ! Belle expo ! Bien travaillé ! « . Une seule question des enseignantes de Moissy-Cramayel : » Et ailleurs ? Que s’est-il passé ? Les primaires se sont-ils aussi lancés dans le jeu ? En tout cas, nous, on est partantes pour la prochaine édition ! « Si vous aussi, vous avez été acteurs de La Grande lessive, faites nous part de vos expériences…
Page publiée le 25-01-2007 |
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