Le Centre Alain Savary (INRP) organisait deux journées d’étude les 18 et 19 octobre, à destination des professionnels des dispositifs relais, sur la question » Dispositifs relais et familles : quels enjeux pour la réussite des élèves ? ». Entre reconnaissance et hostilité, entre confiance et résistance, les rapports familles – enseignants semble ambigus. La perception finale du dispositif relais par les parents dépend du devenir de leur enfant à la sortie de celui-ci. Depuis 1998, les » dispositifs relais » visent à re-scolariser, avec des modalités adaptées, des collégiens en rupture avec l’Ecole. Ils mettent en relation des professionnels de l’Education Nationale, de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, des collectivités territoriales, des mouvements associatifs. Pierre Périer, universitaire à Rennes II, a centré son propos sur l’évolution du sens donné à » famille populaire « . Si autrefois, la classe populaire était la représentation sociale du monde ouvrier, il existe aujourd’hui une pluralité de familles populaires. Du fait de la baisse de l’emploi, la disqualification sociale et professionnelle ont engendré une invisibilité et une désidentification à ce modèle » famille populaire » pour nombre de familles. Les nouvelles formes d’individualisation ont favorisé le désenclavement des personnes de leur groupe social d’origine. Il n’y a plus d’entre soi. Ces facteurs induisent un phénomène de » désaffiliation « . Le mode de socialisation scolaire est devenu premier pour les jeunes depuis l’allongement de la scolarité. On a pu observer une acculturation des familles à la vie scolaire, c’est-à-dire un nouveau pouvoir de l’école ayant pour conséquence une forme de dépossession éducative des familles. Pierre Périer évoque » l’adolescence scolaire » qui s’étire avec des perspectives bien incertaines pour le jeune quant à l’obtention d’un emploi. Au vu de ces nouvelles donnes, les acteurs de l’école ont bien du mal à faire face. Pierre Périer observe le » différend » entre les familles populaires et l’école selon trois logiques : – la logique de confiance des parents se traduit par leur non sollicitation des enseignants (qui peut être interprétée par ceux-ci comme un silence coupable synonyme de défiance). Les parents se sentent impuissants face aux enjeux scolaires, estiment ne pas maîtriser les règles de l’échange avec l’institution, sont inquiets d’être considérés comme des personnes peu estimables du fait de leur faible compétence scolaire, ont peur d’entrer dans un conflit de légitimité sur les questions éducatives avec des professionnels. Ces parents sont dans une position d’attente vis à vis de l’école, et lorsque celle-ci se manifeste pour décider d’une orientation par défaut, d’un risque de redoublement, il est souvent trop tard. Les parents se sentent alors pris au piège et trahis par une institution dans laquelle ils avaient mis leur confiance, par des enseignants qu’ils jugeaient seuls compétents. – la logique critique consiste à reprocher aux enseignants leur manque d’autorité, la surcharge des devoirs donnés à leurs enfants, à interroger la pertinence de certains savoirs enseignés. Ces parents peuvent accuser l’Ecole de traitements discriminatoires à l’égard de leurs enfants, tant sur le plan social que sur le plan ethnique. – la logique de retrait et de protection identitaire consiste à tenir l’école à distance. Ce sont ces parents qui se protègent et qu’on ne voit jamais … Dans une autre conférence, Daniel Thin, sociologue à Lyon II, a posé une question vive, cherchant à comprendre si nos institutions éducatives, lorsqu’elle déclarent » accompagner » les parents, n’effectuent pas aussi un travail de » normalisation « . : dans l’action de « re-scolarisation » et de « socialisation » l’appui des parents et leur adhésion sont constamment recherchés ; les professionnels sont dans une posture d’alliance avec les familles beaucoup plus prononcée qu’au collège. Ils accordent du temps à cette relation qui repose sur l’écoute et l’appui et permet une requalification des parents et une revalorisation des adolescents. Simultanément, les professionnels procèdent par injonction en encadrant les pratiques éducatives familiales, ils visent la transformation de celles-ci ainsi que la « normalisation « de la situation du collégien. Les familles sont ambivalentes car si elles apprécient le dispositif relais comme une solution à la déscolarisation de leur enfant elles réagissent aussi aux injonctions, à l’ingérence auxquelles elles sont exposées. Ainsi oscillent-elles entre reconnaissance et hostilité, entre confiance et résistance. La perception finale du dispositif relais par les parents dépend du devenir de leur enfant à la sortie de celui-ci. (Voir une note de lecture sur le travail de D. Thin, M. Millet et M. Kherroubi http://www.liens-socio.org/article.php3?id_a[…] ) Françoise Hatchuel, maître de conférence en Sciences de l’Education à Paris X, a privilégié une approche psychanalytique du rapport au savoir. En effet, le rapport au savoir du jeune n’est perceptible à l’éducateur que par ce qu’il met en scène, produisant en retour un » point de vue » de l’adulte. Les premières analyses d’entretiens cliniques montrent la mise en jeu de deux notions essentielles : la fiction de soi, c’est-à-dire la manière dont l’élève a construit une histoire de lui-même (en lien avec ce qu’on a dit de lui) et la place, c’est-à-dire la manière dont l’élève se situe, s’immobilise, se fixe à une certaine place qui peut l’empêcher d’apprendre. Tout l’enjeu du travail éducatif est alors d’offrir la possibilité d’une autre place en permettant à l’adolescent de sortir du face à face avec l’adulte pour le réinstituer comme sujet apprenant. Elisabeth Martin, ex-enseignante de classe-relais, a fait la synthèse des débats et des échanges de ces deux journées. Elle a relevé l’importance des mots : – Faut-il dire parents ou familles ? Les professionnels ne sont pas là pour écouter des « histoires de famille », mais ce qui les intéresse, ce sont les postures de parent…. – Recherche-t-on l’accord ou l’adhésion des parents à la démarche du dispositif relais ? L’accord peut être ponctuel, il n’implique pas l’adhésion qui est le résultat d’un processus à travailler. Quelques principes forts ont émergé des deux journées. Le travail se fait-il « avec » ou « sur » les parents ? Entre accompagnement, alliance, adhésion et injonction, le professionnel ne peut être dans la toute puissance. Les modalités d’action doivent être interrogées : temps d’information, de rencontres, d’entretien, groupes de parole ou repas conviviaux, toutes ces actions se réfèrent à des structures différentes et à des compétences particulières qui peuvent fonder, pour partie, la légitimité du dispositif. Des problèmes récurrents. Le retour de l’élève dans sa classe de collège est un enjeu fondamental : comment passer le relais ? Quel accueil est fait à l’élève ? Comment inscrire dans la durée la relation restaurée avec les parents ? Quelle place, quel temps leur seront accordés ? Finalement, les travaux ont repris les thèses chères à Stéphane Bonnéry sur » normalisation » et » normativité « . S’agit-il de » normaliser » les parents ? Lorsqu’on est confronté à des problèmes de l’ordre de la santé par exemple et que l’on préconise des changements de comportements on est dans du » normatif « . La normalisation, c’est l’imposition d’une catégorie, d’une norme, à un autre, dans un rapport de domination, d’obéissance, de soumission arbitraire socio-institutionnelle. La » normativité « , elle, construit la pensée humaine, ce sont des codes partagés auxquels on se soumet pour pouvoir s’émanciper. Les disciplines scolaires sont des cadres de normativité. Dire la norme n’est pas normaliser. Patrick Picard et Michèle Théodor. A lire : Une critique de lecture de l’ouvrage d’E. Martin et S. Bonnery : Le compte-rendu à venir du colloque ? Page publiée le 24-10-2006
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