Mario Asselin est un précurseur de l’usage des blogs et un animateur de l’utilisation des Tic au Québec. Après avoir dirigé l’Institut Saint Joseph où il a développé l’usage des tice, il est aujourd’hui consultant pour la société Opossum, spécialisée dans les formations ouvertes et à distance, en particulier dans le développement de cyberportfolio. A travers son blog, Mario nous propose un regard pétillant et pertinent sur les usages du web et sur l’éducation. Au cours d’une conversation à bâtons rompus, nous lui avons demandé de raconter ce qui se passait chez nos cousins d’Outre Atlantique, l’état de leurs débats éducatifs. Il a exposé son point de vue en son nom personnel et c’est sans doute l’authenticité de ses réponses, l’absence de langue de bois, qui donnent toute sa saveur à cet entretien. Mais avant de passer à l’entretien en lui-même, un petit rappel des grandes lignes de la réforme paraît nécessaire. La réforme maintenant nommée « renouveau pédagogique « , amorcée depuis 2000 dans le primaire, a commencé son implantation dans le secondaire en 2005. Elle préconise le développement de compétences de deux types : disciplinaires et transversales. Elle stipule un nouveau régime pédagogique à la fois dans le système d’évaluation, dans l’organisation de l’école et des temps de service des enseignants et dans les relations parents/école. Autant de points qui ont soulevé des protestations chez les différents acteurs concernés. MR – Le monde éducatif au Québec semble être en ébullition depuis quelques mois, quelles explications donnez vous à ce remue-ménage ? L’arrivée de la réforme dans le début du secondaire a provoqué une levée de boucliers des associations syndicales, et même un schisme parmi elles. Les négociations sur les conditions de travail des enseignants semblent avoir déclenché les protestations mais elles sont plutôt motivées par la question des changements. Le Ministre Fournier a fait paraître une étude réalisée par le « table de pilotage » qui conclut que dans le peu d’implantation de la réforme, les nouveaux usages ne semblent pas avoir amélioré les résultats des élèves. Les syndicats ont alors proposé un moratoire au ministre. Monsieur Fournier a accentué ensuite son appropriation des idées fortes de la réforme : il la défend, améliore sa communication avec les parents et les enseignants et répond à deux ou trois revendications, en particulier sur les bulletins scolaires. Le 16 octobre dernier s’est produit un événement clé : le Ministre a organisé une conférence autour de retours d’expérience. Il est arrivé une heure avant pour se placer en situation d’écoute et faire le lien. Il est allé répondre aux journalistes, son message étant « on va de l’avant, on tient compte des difficultés ». Nous sommes aujourd’hui dans la perspective de réformer la réforme du renouveau pédagogique en tenant compte des observations de la « Table de pilotage ». Les parents de leur côté ne veulent pas être les « chiens de poche » du ministre ni être à la remorque des syndicats. Au départ, les préjugés pour la réforme étaient plutôt favorables. La FCPQ (Fédération des Comités de Parents du Québec) s’était prononcée dans ce sens. Mais, suite à la grogne des syndicats, il y a eu une tournée de rencontres avec les comités de parents. Les parents se sont plus impliqués en faisant prévaloir que leurs enfants n’étaient pas ceux de l’état ni des profs mais les leurs. Donc aujourd’hui, le ministre défend son projet, les enseignants sont prêts à donner une certaine chance au coureur et les parents s’impliquent dans le débat. MR – En France, nous avons souvent une vision idyllique de la pédagogie québécoise qui nous semble innovante et efficace. Quelles étaient les visées de la réforme ? La réforme du renouveau pédagogique devait répondre à deux problèmes : celui du décrochage scolaire et celui de l’école « fourre-tout ». Elle supprime les cours accessoires de type « économie familiale » ou « initiation à la technologie » pour faire de la place aux savoirs disciplinaires mais dans une approche compétences. Elle pose la question de l’autonomie des enseignants dans leurs choix pédagogiques car elle privilégie la réalisation de projets associant plusieurs disciplines. D’autre part, les enseignants ne semblent pas vouloir évaluer les compétences transversales. Le ministre les a en partie entendu car il a demandé au Conseil Supérieur de l’éducation un avis général sur les compétences transversales. MR – Comment ont évolué les points de vue ? La réforme, malgré le blocage des enseignants conservateurs, correspond à un point de non retour du système éducatif. Au primaire les stratégies pédagogiques sont déjà diversifiées, alors au secondaire, les enseignants sont contraints de le faire aussi. La réforme aura quand même évolué sur les points de blocage. Au départ, il y a eu une certaine opposition puis il y a eu une recherche du consensus, la manière québécoise de trouver un solution aux conflits. Les craintes des enseignants étaient variées : elles pouvaient être dues à des idéologies, à des résistances au changement, à une certaine incompréhension de la réforme, à l’impression de na pas être supportés par le ministère, au fait que le métier devient difficile. Les craintes les plus fortes se sont exprimées dans les quartiers difficiles comme celui de l’Ile de Montréal. MR – Quelles positions politiques observe-t-on par rapport à la réforme ? Aucun parti politique ne promeut aujourd’hui la suppression de la réforme. Nous entrons en période électorale pour le fédéral et le provincial, les trois principaux partis se prononcent pour la continuité. MR – Pensez-vous qu’Internet et ses usages comme l’accès à l’information ou la pratique des blogues, a favorisé l’implication des différents acteurs dans le débat ? On assiste à un véritable dialogue sur l’éducation, à l’émergence d’un débat. Par exemple, les jeunes ont été interviewés lors de la journée du 16 octobre sur les aspects positifs de la réforme. Parmi ceux ci, le désir de savoir dans l’action semble créer une appartenance à l’école. De nouvelles personnes interviennent dans le débat. Cela montre aussi l’intérêt porté à la question de l’éducation. Internet fait partie des médiums et on assiste à une démocratisation de l’information par la construction collective. Deux organes sont nés : « réussir la réforme » et « stoppons la réforme ». Les deux groupes ont leur site Web, mais je ne suis pas sûr qu’on puisse parler de blogues. Il y a un blogue pro-réforme, « jasons réforme ». La discussion sur la réforme se fait aussi, en partie, sur les blogues de certains édublogueurs comme le mien, celui de François Guité, celui de Gilles Jobin, celui du « dernier restaurant avant la fin du monde » et d’autres… MR – Quelle pratique des blogs a-t-on actuellement au Québec ? Par rapport à la France, la pratique des blogs est différente au Québec. Il n’y a pas de « skyblogs ». Une tuerie dans un collège anglophone a été causée par un jeune qui tenait un blogue, ce qui a montré un côté sombre sur lequel peu de gens en général étaient sensibilisés. Parallèlement le journaliste citoyen prend de la place dans le monde des blogues. Les pratiques se développent, dans le domaine des blogues d’information et des blogues d’éducation. Chez Opossum, nous mettons actuellement en place une ferme de blogues dans le nouveau Brunswick pour 23 établissements. Il y aura une page de garde commune qui donnera accès à des blogues de classe ou des blogues d’élèves. L’idée est venue d’enseignants et de mentors (conseillers pédagogiques), Opossum est là pour développer la solution. Aux prochaines rencontres d’Autrans, neuf étudiants, venant de cinq écoles différentes, viendront témoigner sur leurs expériences. Certains ont déjà quatre années de pratique du blogue. Ils réaliseront en même temps des reportages pour les blogues de leurs écoles. Entretien : Monique Royer Le site de la réforme :
Page publiée le 09-12-2006
|
|