Roland Goigoux
Quelques jours avant les congés de Noël, un slogan a fleuri dans les écoles primaires : « La syllabique, c’est pas automatique ; parlez-en à votre instit ! » Un slogan qui traduit la colère grandissante des enseignants de l’école primaire devant le mépris affiché à leur égard. Quand une campagne de santé publique est lancée, sur les antibiotiques par exemple, le premier interlocuteur proposé aux français est le médecin généraliste. Quand il s’agit de lecture, on minimise le rôle de l’instituteur, on décide à sa place ou l’on caricature son action. Pire, on le suspecte d’être le complice de ceux qui depuis trente ans s’acharneraient à empêcher les enfants d’apprendre à lire. Au mieux, on le plaint d’être victime de la tyrannie de sa hiérarchie ou des lubies de la recherche pédagogique. Le syndrome du mammouth est encore présent dans les esprits et chacun connaît les dangers d’une campagne visant à dresser l’opinion publique contre les enseignants. Aussi le ministre a-t-il désigné des boucs émissaires pour adoucir ses accusations : après les IUFM et les inspecteurs de l’éducation nationale, ce sont dorénavant les éditeurs scolaires, incapables de concevoir autre chose que des » méthodes semi-globales « , qui sont livrés à la vindicte populaire. Mais qui peut se laisser abuser ? La grande majorité de nos concitoyens savent bien que ce sont les instituteurs qui choisissent leurs manuels, que ce sont eux qui décident de l’organisation de leurs activités d’enseignement et que la visite d’un inspecteur tous les quatre ans ne bouleverse pas leurs choix pédagogiques. C’est lorsque le ministre exonère les enseignants de toute responsabilité qu’il les méprise le plus. Si les instituteurs n’étaient pas responsables de leurs pratiques pédagogiques, de quoi seraient-ils responsables ? Leur métier est-il si peu qualifié que n’importe quel père de famille ou spécialiste du cerveau peut décider à leur place de ce qu’il est bon de faire avec leurs élèves ? Si, comme l’affirme le ministre, une simple circulaire, rédigée à la va-vite et portant sur le seul cours préparatoire, avait le pouvoir de faire baisser de manière significative le pourcentage d’illettrés dans notre pays, c’est que le travail actuel des instituteurs serait d’une grande médiocrité. L’ignorance du ministre sur la réalité des pratiques pédagogiques est un autre signe du manque de considération pour le métier des enseignants. Comment faire confiance à quelqu’un qui croit que les méthodes dominantes ont « un départ global très long » alors que Ratus et Gafi, les manuels les plus vendus et les plus utilisés au cours préparatoire, organisent l’étude des correspondances entre les lettres et les phonèmes dès le premier jour de la rentrée des classes ? Comment faire confiance à un ministre qui s’apprête à obliger tous les instituteurs à procéder de manière identique, quels que soient leur expérience et leurs savoir-faire ? Un ministre qui remet en cause leur responsabilité pédagogique et prétend imposer à tous une méthode syllabique en parfaite contradiction avec les programmes actuels … qu’il a lui-même préfacés ! Une telle ignorance du métier ne peut être qu’un déni du métier. « Parlez-en à votre instit ! » Ce slogan doit être compris comme une revendication professionnelle : il faut faire confiance aux instituteurs et renoncer à instaurer le couvre-feu pédagogique. Roland Goigoux
Page publiée le 04-01-2006 |