Bernard Devanne Une brochure intitulée Apprendre à lire vient d’être diffusée par le Ministère de l’Education nationale à toutes les écoles primaires. En page 10, sous le titre « Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture », elle reproduit les extraits suivants d’une lettre au Monde de l’éducation de mars 2006. Les recherches se sont plus précisément attachées à comparer l’efficacité des méthodes en fonction de l’importance accordée au déchiffrage (des lettres en sons, ou plus précisément des graphèmes en phonèmes) : le déchiffrage est-il enseigné ou non, de manière systématique ou pas, précocement ou pas ? Les résultats sont les suivants :
du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot).
J’annonçais dans mon « journal de mai » (http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/devanne_i7l.aspx) un courrier aux chercheurs auprès desquels le Ministre trouve une caution scientifique. Ce sont justement les 18 signataires de ce texte :
J’adresse à chacun d’eux le texte suivant :
Madame, Monsieur, Je me permets de vous adresser ce courrier (ainsi qu’aux 17 autres signataires du texte publié dans Le Monde de l’éducation de mars et repris, de façon très sélective, dans la brochure Apprendre à lire récemment diffusée par le Ministère de l’Education nationale) pour vous faire part de mes interrogations au sujet de la liaison entre la grande section de l’école maternelle et le cours préparatoire dans le contexte nouveau de la rentrée 2006. Je m’appuie sur l’exemple d’une classe dont j’ai régulièrement rendu compte des activités de lecture et d’écriture sur le site « Café pédagogique » depuis le mois de janvier 2006, sous le titre Journal d’une grande section en ZEP. Conformément aux programmes de l’école maternelle, ces enfants ont été, dès la petite section, mis quotidiennement en situation de se construire une culture des textes et de la langue écrite, à partir de la littérature de jeunesse, des comptines, des documentaires, etc. D’autre part, ils ont été placés, dès que cela a semblé possible, dans des situations d’écriture crayon en main – « écriture tâtonnée » dont l’importance est opportunément soulignée par un nouveau document d’application des programmes, Le langage à l’école maternelle. Non seulement ces enfants sont parvenus, en cette fin de grande section, au cœur de leurs apprentissages fondamentaux, mais encore certains d’entre eux sont déjà réellement lecteurs, ce que font apparaître des évaluations individuelles conduites ces dernières semaines ainsi que des enregistrements qui les montrent en situations de lecture/écriture. On sait que le jeune enfant est capable d’apprentissages de haute complexité, comme celui de sa langue maternelle, à condition que lui en soient donnés les moyens : c’est ce qu’un dispositif articulant une construction culturelle volontariste et des propositions d’écriture régulières et impliquantes parvient à obtenir, comme cette classe m’a permis de l’apprécier, et cela d’une façon particulièrement démonstrative. Or, au prétexte que l’apprentissage commencerait au CP, et qu’il est scientifiquement établi que commencer par « l’enseignement systématique du déchiffrage » assure les meilleures chances de réussite, ces enfants devraient, en application des directives ministérielles, être immergés tout au long du CP dans un manuel comme Lire avec Léo et Léa… (ou même happés par la Méthode Borel-Maisonny, dont le retour en force traduit éloquemment l’absence de repères des enseignants). Ces enfants ont pour prénoms [en toutes lettres] A., F., H., N., Ö., S., S., Z., Z., etc. Les compétences remarquables de beaucoup d’entre eux, vérifiables sur les documents que je tiens à votre disposition, ont été gagnées par l’écriture individuelle dans des situations porteuses de sens, si bien qu’ils sont maintenant, dès qu’ils arrivent en classe, « en attente d’écriture ». Substituer à ces conduites d’apprentissage de longs moments quotidiens d’enseignement formel leur fait courir un double risque : d’une part, celui de ne pas voir leurs compétences reconnues, activées, confortées ; d’autre part, celui de ne pas comprendre ce qu’on attend d’eux, qui déchiffrent déjà, dans ce dispositif transmissif rendu obligatoire, mais dont la finalité ne peut que leur échapper. Conscient de l’importance de votre jugement dans le contexte actuel, je serais extrêmement sensible à ce que vous preniez en compte l’existence de ces enfants, sans doute nombreux en France, qui, parce qu’ils travaillent avec des enseignants qui ont pris au pied de la lettre l’ambition des programmes, ont, à l’issue de la grande section, depuis longtemps dépassé le stade du commencement. Je vous prie de croire, Madame, Monsieur, en l’expression de mes salutations respectueuses. Le 28 juin 2006 Voici d’autre part les exercices, inspirés de ceux proposés en fin de CP, qui ont servi aux évaluations individuelles réalisées en juin 2006, sur l’ensemble des élèves de grande section de cette école maternelle, répartis en deux classes de « MS-GS », soit 26 élèves de grande section au total. Pour chaque item évalué, le nombre en caractères gras désigne le nombre d’élèves ayant intégralement réussi. 1. Voici une liste de mots ; lis-les en silence : avec bleu éléphant pomme 1. Entoure les mots que dit la maîtresse (6) > 15/26 2. Ecris 2 noms d’animaux de la liste : > 15/26 3. Numérote dans l’ordre les phrases que dit la maîtresse : Le loup mange un petit chaperon rouge. 4. Lis le texte silencieusement. Coche la bonne réponse : Tac est un crocodile. Il est vert. > 16/26 5. Lis la consigne tout seul : 6. Ecris un petit texte répétitif commençant par je veux…
10 élèves sur 26 ont obtenu 100% de réussite. Pour mieux apprécier les réelles compétences de lecteur qu’ils ont développées en grande section, il faudrait pouvoir se reporter aux enregistrements effectués pendant ces deux derniers trimestres (notamment à celui du 19 mai, qui garde trace de l’activité décrite dans le journal de mai). Au vu des directives très pressantes qui arrivent en cette fin juin dans les écoles, la question se pose avec une acuité nouvelle : que vont vivre ces élèves au CP durant les premiers mois de l’année scolaire, alors qu’il s’agit de la seconde année d’un cycle d’apprentissages ? A suivre donc, en espérant que ce ne sera pas avec une immense amertume. Bernard Devanne Voir également : Page publiée le 28-06-2006
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