Le Guide pratique de la rentrée 2006 F. Jarraud La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005 devait assigner au système éducatif des missions renouvelées autour d’un objectif central : assurer la réussite de tous les élèves. Un an et demi après l’adoption de la loi, quels changements observe-t-on dans le système éducatif ? Le décret sur le socle commun « Il s’agit là d’un acte refondateur. Pour la première fois depuis les lois scolaires de Jules Ferry, en 1882, la République va indiquer clairement le contenu impératif de la scolarité obligatoire ». Gilles de Robien a présenté le 10 mai 2006 le projet de décret sur le socle commun des connaissances et compétences. Le socle est une obligation de la loi Fillon et a fait l’objet fin mars de recommandations du Haut Conseil de l’Education. Pour le ministre son décret ouvre une ère nouvelle, fondatrice, puisque le socle « ne décrit pas l’ambition maximale de notre système éducatif ; il décrit ce qu’il a l’obligation absolue de transmettre à tous les adolescents avant 16 ans, quel que soit le parcours de l’élève, y compris l’apprentissage. Et quand je dis obligation, je veux dire obligation de résultat, dont le ministre de l’Education nationale sera directement comptable ! C’est cela, la nouvelle gestion publique ! »
Conformément aux recommandations du HCE, le socle comporte 7 piliers. Le premier concerne « la maîtrise de la langue française » réduite à la lecture, l’apprentissage de l’orthographe et la grammaire, c’est-à-dire aux dictées et à la leçon de grammaire, des procédés dont la performance est contestée. Le pilier mathématique concerne les 4 opérations, le calcul mental, les théorèmes de la géométrie plane, les équations du premier degré. Le troisième pilier concerne « la culture humaniste » : « il s’agit de donner des repères solides. Ce qui suppose évidemment un apprentissage de la chronologie en histoire et de la cartographie en géographie ». Viennent ensuite la langue étrangère, la maîtrise des TIC, des compétences civiques et sociales, enfin, à la demande du HCE, le développement de l’autonomie et l’initiative de l’élève. Pour le ministre, « la définition du socle commun est un acte capital pour l’avenir de notre système éducatif ! Ce socle sera la base culturelle commune à tous les Français, en même temps que la première étape du processus de formation tout au long de la vie. Il engagera très fortement l’Education nationale, à commencer par le ministre. Car il lui imposera une véritable obligation de résultat ». Oui mais comment passer de l’objectif au résultat ? Le ministre annonce des évaluations régulières en Ce1, Cm2 et au brevet. Et une réforme des programmes du collège. Le socle sera atteint par tous les élèves parce que les enseignants pour la première fois seront « responsabilisés ». A croire que les professeurs jusque là ne travaillaient pas. Pourtant, par exemple, les repères en géographie et histoire sont évalués au brevet depuis déjà quelque temps… Autonomie, initiative : comment les promouvoir quand le ministère s’attaque aux IDD et aux TPE ? « Il n’y a pas de lieu pour l’apprentissage de l’autonomie, c’est un principe qui peut se retrouver partout ». Ou bien nulle part s’il n’a pas de place reconnue dans le système éducatif. Le socle permettra-t-il d’assurer un niveau minimum à tous les élèves ? Le Café a demandé au ministre comment il comptait assurer la réussite des apprentis juniors. Ces jeunes de 14 ans, issus de milieu populaire, en échec scolaire, ne disposeront que de 15 heures de cours pendant deux trimestres sur trois durant leur première année de formation. Encore moins l’année suivante. Ils auront deux fois moins de cours que leurs camarades. Comment dans ces conditions rattraper leur retard et atteindre les objectifs du socle ? Le ministre affirme « Oui c’est possible ! » . Il semble que le socle soit simplement incantatoire ou pas si commun. Le socle commun au B.O. Le décret sur le socle commun est publié au B.O. du 20 juillet. Les réactions syndicales Le Sgen, la Fep, la Fcpe, le Se-Unsa, la Ligue de l’enseignement, le Snpden et l’Unsa Education rappellent qu’elles « revendiquent depuis plusieurs années que soit clairement établi dans notre pays l’ensemble des connaissances et compétences que tous les jeunes doivent impérativement posséder à l’issue de la scolarité obligatoire… (mais) regrettent que le projet de décret définissant le socle commun de connaissances et de compétences ne réponde que très partiellement et imparfaitement à cet objectif ». Pour le Sgen-Cfdt, » le projet de socle commun que vous nous présentez est loin d’être mené à son terme de notre point de vue ». Le Sgen dénonce l’apprentissage à 14 ans » obstacle majeur » au socle, ainsi que » des listes-catalogues de connaissances qui recouvrent en fait les programmes actuels de l’école et du collège, des démarches fondamentalement disciplinaires, des formulations sur le mode injonctif, voire moraliste concernant les attitudes à acquérir, l’absence de fait de la place de l’élève dans ces apprentissages ». Pour le Snuipp-Fsu , « le socle proposé tend en effet à différencier encore plus les élèves entre ceux pour qui l’ambition ne sera que la maîtrise du socle et ceux pour qui le socle permettra d’aller au-delà. Le risque est trop important que l’objectif plancher pour tous les élèves devienne l’objectif plafond pour certains. Limité à certains égards, très élevé pour d’autres, le socle se présente comme un ensemble hétérogène de savoirs et de compétences. Il est parfois confus entre ce qui relève des outils et ce qui relève des objectifs à atteindre comme en témoigne le retour à la dictée. Il est souvent très éloigné des programmes de 2002 et prend peu en compte les compétences transversales. La question de l’échec scolaire est la question majeure posée à l’école aujourd’hui. La seule définition d’un socle de connaissances ne peut transformer l’école en lieu de réussite. Il faut dire comment on fait pour que tous les élèves acquièrent les connaissances jugées nécessaires ». Le Snuipp évoque aussi de « réels dangers » du socle : « sa mise en place implique-t-elle des modifications d’horaires ? ». En perspective : Socle commun : nivellement ou affermissement de l’école républicaine ?
Le Café a demandé à François Dubet et Claude Lelièvre, deux anciens membres de la Commission Thélot, dont les travaux sur l’Ecole sont bien connus, ce qu’ils pensaient du texte ministériel et de la nécessité d’un « socle » dans l’Ecole d’aujourd’hui.
François Dubet : « Le thème de la culture commune procède d’une volonté d’égalité relative ».Vous avez fait partie de la Commission Thélot chargée de définir le socle commun. Pensez-vous que le projet de G. de Robien soit fidèle aux réflexions de la Commission ? Comment expliquer ces glissements ? On entend un peu tout sur l’idée même d’un socle commun. On parle de nivellement par le bas, de poudre aux yeux, d’école au rabais. Pourtant de nombreux pays européens sont engagés dans cette voie, par exemple récemment la Suisse. Comment expliquer cette convergence ? D’autre part, toutes les sociétés européennes sont confrontées à une forte immigration et elles deviennent de plus en plus multi-culturelles. Chaque société est donc tentée de définir plus nettement la culture commune qui est le socle d’une scolarité commune. On observe sur ce plan une convergence entre les pays républicains et centralisés, comme la France, et les pays plus décentralisés et plus « communautaires », comme la Suisse et la Grande Bretagne. Jusque là l’objectif c’était l’école communale et le collège unique pour tous les enfants du pays. Faire passer l’idée d’un « socle commun » n’est ce pas officiellement enterrer cette conception de l’Ecole et accepter l’idée du retour à une école différenciée socialement comme elle l’était dans la première moitié du 20ème siècle ? Aujourd’hui le ministre parle de socle commun à tous les jeunes français. Pensez-vous que les apprentis juniors par exemple aient une chance d’atteindre le niveau du socle ? Au-delà peut-on s’engager à faire réussir tous les élèves ? Dans la perspective actuelle de régression budgétaire n’y a-t-il pas un risque sérieux de voir l’argument du socle utilisé simplement pour diminuer les dépenses ? Avec le socle commun, arrive l’idée d’un pilotage du système éducatif par des évaluations : évaluation des établissements selon leurs résultats, évaluation régulière des élèves par rapport au socle. Est-ce une façon efficace de diriger l’Ecole ? Ne risque-t-on pas, pour les élèves, de voir les évaluations se transformer en examens de passage et de se retrouver avec un taux d’échec encore supérieur ? Je voudrais dire enfin que, même si je n’ai pas la plus grande confiance dans le ministère actuel, toutes ces objections s’apparentent à des refus obstinés du changement, comme s’il s’agissait de défendre un système que chacun s’accorde à reconnaître comme injuste et guère efficace, sauf pour une partie de la population ayant un accès privilégié au système. François Dubet Derniers livres de François Dubet Claude Lelièvre : « les craintes de la définition d’un socle commun « au rabais » ou de l’acceptation d’un socle commun non maîtrisé en réalité par certains »
Claude Lelièvre, vous avez fait partie de la Commission Thélot chargée de définir le socle commun. Pensez-vous que le projet de G. de Robien soit fidèle aux réflexions de la Commission ? Le projet du ministère qui avait été remis en novembre 2005 au Haut Conseil, était à mon sens très éloigné du Rapport Thélot. Les recommandations du Haut-Conseil, elles, ont été beaucoup plus proches. Comme, dans une certaine mesure, le projet de décret a tenu compte de certaines de ces recommandations, le texte du décret n’est pas très éloigné parfois de l’esprit des réflexions de la Commission Thélot, mais sans être pour autant vraiment dans sa ligne dominante. Comment expliquer ces glissements ? Dans la perspective actuelle de régression budgétaire n’y a-t-il pas un risque sérieux de voir l’argument du socle utilisée simplement pour diminuer les dépenses ? Jusque là l’objectif c’était l’école communale et le collège unique pour tous les enfants du pays. Faire passer l’idée d’un « socle commun » n’est ce pas officiellement enterrer cette conception de l’Ecole et accepter l’idée du retour à une école différenciée socialement comme elle l’était dans la première moitié du 20ème siècle ? Si les enseignants font chacun leur cuisine dans leur coin ce n’est pas par hasard. Que faudrait-il pour avoir un réel travail d’équipe et une interdisciplinarité ? Aujourd’hui le ministre parle de socle commun à tous les jeunes français. Pensez-vous que les apprentis juniors par exemple aient une chance d’atteindre le niveau du socle ? Avec le socle commun, arrive l’idée d’un pilotage du système éducatif par des évaluations : évaluation des établissements selon leurs résultats, évaluation régulière des élèves par rapport au socle. Est-ce une façon efficace de diriger l’Ecole ? Ne risque-t-on pas, pour les élèves, de voir les évaluations se transformer en examens de passage et de se retrouver avec un taux d’échec encore supérieur ? En soi, et là je m’adresse à l’historien de l’Ecole, cette idée d’un « retour aux fondamentaux » qui accompagne l’idée du socle, n’est-elle pas un indice d’une certaine peur de l’avenir, d’un regard plus nostalgique que prospectif ? Quand on lit les recommandations du HCE, celles de la Commission Thélot, les rapports de l’Inspection et les déclarations du ministre on a souvent l’impression qu’elles ne renvoient pas à un projet commun et cohérent pour l’Ecole. Tout se passe comme si des conceptions opposées de l’Ecole s’affrontaient. Est-ce un phénomène unique dans l’histoire de l’Ecole ? Par ailleurs, l’existence même du Haut Conseil (le mode de nomination de ses membres en faisant un organisme effectivement indépendant du ministère) est une nouveauté sans précédent depuis Napoléon Ier, même si l’originalité de cette institution est en retrait par rapport à la proposition initiale de la Commission Thélot. Et tout cela contribue – comme nous le souhaitions – à ce que le ministère soit moins libre de son jeu… Claude Lelièvre Derniers ouvrages de C. Lelièvre : Sur le site du Café : |
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