« Lorsque les mots précis manquent aux élèves, c’est le sens qu’ils tentent de donner aumonde qui s’obscurcit« . Le rapport d’Alain Bentolila sur l’acquisition duvocabulaire à l’école élémentaire, remis au ministre le 14 mars, s’ouvre sur cette phrase qui va au coeur de tout amoureux des mots, et par suite tout enseignant. Mais elle ne saurait cacher la question de fond : comment faire acquérir cette aisance langagière et ce vocabulaire ?
Pour A. Bentolila c’est tout simple. Il faut établir des leçons de mots (2 demi-heures par semaine), avec un « cahier de mots » qui suivra l’élève de classe en classe et où il rangera les 365 mots définis chaque année et des « activités à faire le soir ». Il faut en même temps définir de façon rigoureuse et progressive les listes de mots à faire apprendre aux élèves pour chaque classe. Ainsi il entend supprimer l’écart de vocabulaire qui existe entre les enfants. Le ministre a accueilli favorablement ces recommandations et annoncé une circulaire prochainement.
Il se trouve pourtant que ces recommandations sont l’objet de critiques. Ainsi le Snuipp rappelle que les programmes de 2002 entendent « structurer et augmenter le vocabulaire ». Dans le Café, E. Charmeux a rappelé que « depuis pas mal de temps, il est démontré qu’apprendre ne se fait nullement par empilement, mais par mise en relation« . Le fait de tenir un carnet de vocabulaire ne suffit pas à apprendre. Pierre Frackowiak , toujours dans le Café, a relevé que « le vocabulaire ne peut s’apprendre que dans des temps de communication qui ont du sens pour l’enfant et non dans des activités formelles, scolaires au sens le plus péjoratif du terme. Il ne faut pas être expert, savant, linguiste ou ministre pour savoir que l’on peut connaître toutes les définitions des mots, connaître le dictionnaire intégralement par cœur et être incapable de parler, d’écrire, de communiquer ». « Ah, mais l’écart de cinq ans dans les connaissances lexicales entre les élèves d’une classe de CE1, utilisé comme argument suprême par BENTOLILA? » interroge P. Frackowiak. « Il est bien connu de n’importe quel praticien et il est une des principales raisons des premières réformes de l’enseignement du français, fondées sur les travaux de l’INRP, formalisées dans les instructions officielles de 1974, celles-là même qui stipulaient pour la première fois que l’école devait aussi apprendre aux enfants à parler, rompant enfin avec sa tradition de leur appendre à se taire. L’écart entre Simon dont la maman dit posément: « Tu veux du lait. Je vais t’en donner » ou « Je demande à papa de t’en donner. Papa, tu veux bien donner du lait à Simon? Merci. » et Dylan dont la maman dit « tiens! » ne sera jamais réduit par la « leçon de mots ». Bien au contraire! Les enseignants qui galèrent chaque jour depuis des années pour rendre l’école plus intéressante et plus efficace le savent bien ». Car c’est bien cette question qui sépare la vision ministérielle de ses détracteurs. L’échec scolaire pour Gilles de Robien est un échec individuel d’un élève qui n’a pas appris ce qu’il devait apprendre y compris dans le cadre de programme « personnalisé » de remédiation. D’autres y voient d’abord le résultat d’une situation sociale. De lamême façon que le ministre entendait résoudre la fracture numérique avec l’ordinateur à un euro par jour, il envisage de réduire la fracture culturelle avec le mot appris par jour (soit seulement 4380 mots pour 12 ans d’étude !). L’Ecole c’est simple…
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