Formation : que disent les spécialistes ?
Philippe PerrenoudPhilippe Perrenoud, dont la production est toujours prolifique, a mis en ligne plusieurs textes intéressants sur les compétences à développer en formation d’enseignants. A partir des 7 savoirs fondamentaux d’Edgar Morin, il développe les compétences qui lui semblent essentielles à développer chez les enseignants : médiateur culturel, animateur, garant de la loi, passeur culturel, intellectuel… mais aussi résolument constructiviste et gestionnaire de l’hétérogénéité. Du coup, il en déduit une foule de priorités pour la formation : transposition didactique, formation organisée autour du référentiel de compétence de l’enseignant, démarche clinique, organisation différentiée, partenariats… Quelle formation pour les enseignants du XXIe siècle ? Mais au-delà de ses exigences en matière didactique et professionnelle, Perrenoud enregistre le résultats des travaux issus de la psychologie ergonomique qui, derrière Yves Clot, insistent sur l’importance d’axer la formation sur le travail réel de l’enseignant, à la fois comme outil de transposition didactique et comme démarche de formation efficace, suscitant l’adhésion des stagiaires : A noter cependant qu’on ne peut s’empêcher, en relisant ces textes, de penser à la situation actuelle de la Suisse genevoise, dont un récent vote de la population vient de décider la mise à l’index de nombre des démarches pédagogiques prônées par Perrenoud. Sans minimiser l’importance du débat politique et idéologique sur l’Ecole et ses objectifs, qui traverse également la France, il faut sans doute y lire la difficulté pour les théoriciens qui tentent de penser l’organisation de l’Ecole et de la formation, à former des formateurs-relais efficaces : ceux qui sont concrètement responsables, dans les écoles professionnelles et dans les classes, de la mise en musique des objectifs. L’analyse du travail : Clot, Saujat, Mayen…Puisqu’on en est à l’analyse du travail enseignant, signalons l’important et fructueux travail réalisé par plusieurs laboratoires universitaires qui travaillent sur ce thème, dans la lignée des travaux d’Yves Clot au CNAM, de Marc Durand (désormais à Genève) e René Amigues, de Daniel Faïta et Frédéric Saujat à Marseille (équipe ERGAPE) Pour ces chercheurs, qui regardent le travail enseignant de la même manière qu’ils regardent d’autres professions (conducteurs de trains ou ouvrières d’usine), il y a toujours un écart entre le travail prescrit et le travail réalisé, et c’est dans les collectifs de travail qu’il est possible de prendre conscience de ce qui est commun entre tous les agents (le genre, ce qui fait qu’on » est du métier « ) et ce qui est propre à chacun (le style, ce qui fait qu’on » a du métier « ). Dès lors, ils envisagent l’accompagnement des équipes en formations comme le moyen de faire émerger, par des techniques d’auto-confrontations entre pairs, le métier réel, la difficulté professionnelle, pour en chercher les solutions au lieu de se comporter en prescripteur de changement… Très efficaces en formation, mais difficile à diffuser faute de formation adéquate de formation, ces manières de voir sont relativement opposées aux discours dominants dans la formation, plus souvent » formatantes » que » formatrices « . Dans le même esprit, mais avec une démarche spécifique, on peut aussi citer le développement de la didactique professionnelle, avec l’entrée développée par Patrick Mayen à l’ENESAD de Dijon, qui pilote un DESS » ingénierie des apprentissages en formation professionnelle » Toutes ces démarches et leurs références théoriques sont rassemblée sur le site des psychologues-ergonomes (qui ne parlent pas que des enseignants…) Les sources sur le site du CNAM sont très importantes. La revue Education Permanente à publié deux excellents numéros de synthèse sur la question de l’analyse du travail en formation (N° 165 et 166, 2005 et 2006). Un séminaire organisé par l’INRP sur le travail enseignant, avec des comptes-rendus de conférences en audio : L’analyse de pratiques à l’IUFM : Anne-Marie Chartier et Marguerite AltetAnne-Marie Chartier, un des meilleurs spécialistes de l’Ecole primaire et de la formation, questionne Marguerite Altet, une pionnière de l’analyse des pratiques en France. Nommée » professeur de psychopédagogie » en Ecole Normale alors qu’elle était jeune professeur de philo, elle a eu besoin de comprendre quelles étaient les pratiques enseignants des instituteurs, puisqu’elle devait les former ! Elle explique comment, partant du courant behaviouriste, la recherche française s’est développée sur le sujet, à partir des apports de Mialaret et de Landsheere. Roland Goigoux, Sylvie Cèbe, Aline Robert Et Marie-Laure Elalouf(Extraits de l’Édition du Café Pédagogique du 18-01-2005 (rubrique Analyses du N° 58) Améliorer la formation initiale des enseignants (…) La formation des enseignants doit être conçue comme une formation en alternance entre le terrain professionnel et l’institut universitaire. Cette conception s’oppose à deux autres que nous rejetons : l’applicationnisme, véhiculant l’illusion d’une simple mise en oeuvre sur le terrain scolaire de savoirs fondamentaux élaborés dans les laboratoires universitaires, et la transmission mimétique, reposant sur le seul compagnonnage professionnel dans le cadre d’une vision étroitement artisanale du métier d’enseignant. La pertinence d’une formation en alternance réside dans l’association progressive de trois composantes : l’action professionnelle (c’est pourquoi les stages sont indispensables très tôt dans le parcours de formation), la réussite de l’action (c’est pourquoi ces stages doivent être fortement encadrés par différents tuteurs), la compréhension de l’action et des conditions de sa réussite (c’est pourquoi l’institut de formation doit donner aux stagiaires les moyens de redécrire leurs expériences sans que pèse l’urgence de l’action quotidienne). On ne peut faire l’économie d’aucune de ces trois composantes : un débutant, par exemple, ne peut vraiment comprendre que ce qu’il a préalablement réussi, au moins partiellement. Les dispositifs de formation qui consacrent trop de temps, trop tôt et trop vite, à l’analyse de pratiques insuffisamment maîtrisées sont inefficaces, comme ceux qui placent prématurément les jeunes lauréats aux concours de recrutement en pleine responsabilité d’une classe en primaire ou de plusieurs classes dans le second degré. (…) Pris par l’urgence de la situation et absorbés par les exigences des préparations et des réalisations quotidiennes, ils ne peuvent pas trouver le temps de suspension qui permet le recul nécessaire. Ils ne parviennent pas à » penser la classe « , justement parce qu’ils la font trop ! Dans ce cas, ils n’attendent plus de la formation que des conseils immédiatement utilisables, délaissant les nécessaires détours requis par des apprentissages professionnels plus complexes, plus structurés et plus fondamentaux. (…) Assumer la fonction de transmission et disposer d’une description, même partielle, du développement des compétences professionnelles Une des premières fonctions d’une formation professionnelle est de transmettre aux jeunes enseignants les fondements des pratiques ordinaires de leurs aînés expérimentés. On ne doit pas avoir peur de présenter aux débutants des pratiques de référence et de mettre à leur portée des savoir-faire efficients et rôdés, ni de valoriser les outils professionnels existants : manuels, logiciels, guides didactiques, etc. Rejeter tout cela sous prétexte de complexité et de diversité des situations d’enseignement, railler les demandes de » recettes » conduit invariablement à l’effet inverse de celui recherché : les novices imitent leurs aînés sans aucune distance critique. (…) Accroître les connaissances portant sur les apprentissages disciplinaires (…) Bien connaître une discipline ne suffit pas au professeur pour que tous ses élèves acquièrent les compétences attendues. Ne disposer que de ses propres souvenirs scolaires dans certains domaines le place dans une situation d’insécurité plus préjudiciable encore aux apprentissages. (…) La formation professionnelle doit donc également porter sur les conditions didactiques de construction des connaissances scolaires. La simple accumulation des savoirs académiques est inopérante, de même qu’est illusoire la stricte application des savoirs issus de la recherche dans le domaine de l’enseignement. Les formateurs d’enseignants doivent réaliser un travail de transposition et de recomposition de ces savoirs qui exige d’eux une double compétence académique et professionnelle. Sur ce point aussi, les projets ministériels qui nient le professionnalisme des formateurs sont dangereux. (…) Disposer d’un noyau permanent et stable de formateurs compétents (…) Une amélioration de la formation des enseignants ne peut être sérieusement envisagée sans un effort considérable en direction de la formation des formateurs. La création de nouveaux masters professionnels, financés par l’employeur, pourrait permettre à un nombre croissant d’enseignants de terrain d’être associés dignement à la formation et d’éviter la multiplication prévisible d’intermittents de la formation ou de personnels au statut précaire. Texte intégral à D’autres contributions au débat publiées par le Café pédagogique : Des points de vue publiés sur le blog du Café : Patrick Picard
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