Enseignement agricole : la formation des enseignants entre innovation et baisse des moyensMonique Royer Former aux » métiers du vivant » nécessite une actualisation fréquente des connaissances des personnels de l’enseignement agricole public. Les orientations nationales, les souhaits, et les obligations, des 7 600 enseignants et conseillers principaux d’éducation se heurtent à la baisse des moyens affectés et parfois aux difficultés d’organisation. Dans ce paysage plutôt morose, des initiatives de formation innovantes voient le jour. Marquent elles une nouvelle voie pour actualiser les compétences des enseignants ? La formation des enseignants : principes et réalitésLe cadre légal place la formation continue comme un droit s’appliquant à tous les agents, titulaires ou contractuels. Au niveau de l’établissement, le plan local de formation prend en compte les besoins individuels des agents et ceux de la structure. Au niveau régional, un plan est également élaboré à partir des orientations nationales, des plans locaux de formation des établissements de la région et des besoins induits par le projet régional de l’enseignement agricole. Enfin, le plan national de formation de la Dger (Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche) définit les orientations et les priorités stratégiques à mettre en œuvre en matière de formation des personnels dans l’ensemble des régions et des établissements. Les orientations définies pour 2007 concernent trois grands domaines : l’accompagnement à la prise de fonction, la mise en œuvre des diplômes rénovés et enfin, l’encadrement des chantiers pédagogiques, des stages en milieu professionnel et l’utilisation des machines dangereuses. Toutefois, les restrictions budgétaires écornent quelque peu les ambitions affichées. Beaucoup de formations sont annulées faute de financement ou faute de participants découragés par des annulations antérieures. Une baisse significative des crédits alloués à la formation continue est constatée depuis cinq ans puisqu’ils sont passés, selon le Snetap de 3 294 118 euros en 2000 à 1 250 582 euros en 2005. Les agents de l’enseignement technique agricole public ont suivi en moyenne 0,7 jours de formation, faible durée au regard de l’objectif des 3 jours fixé par le dernier accord triennal. Malgré cette baisse, les besoins de formation émergent, liés à un nouveau diplôme (le bac technologique Stav, sciences et technologie de l’agronomie et du vivant) ou à la prise en compte des évolutions sociales, réglementaires et économiques dans les référentiels et les pratiques (le fait alimentaire ou la formation tout au long de la vie). Quelques dispositifs de formation innovants ont vu le jour comme une contribution pour y répondre. Tutofop : le développement des compétences par la formation ouverte et à distanceTutofop propose des parcours de formation individualisés et à distance aux personnels des Cfa (Centre de Formation d’Apprentis) et Cfppa (Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole) de l’enseignement agricole public. Les thèmes de parcours proposés touchent à la conception, à la conduite et à l’évaluation des formations et se modulent à partir d’une analyse de la demande, en fonction du profil du demandeur et de son contexte de travail. Ils écartent l’aspect didactique, traité par d’autres dispositifs de l’enseignement agricole, pour s’intéresser à l’évolution des compétences liée au développement des formations individualisées dans les Cfa et les Cfppa. La réalisation des parcours, d’une durée moyenne de 31 heures, s’appuie sur l’utilisation d’une plateforme de formation et un accompagnement par un référent. Pour les parcours longs, des regroupements sont organisés. L’approche compétences est sans doute la grande force de Tutofop. Pour définir ses besoins de formation, le demandeur effectue un diagnostic à l’aide de See-K, outil accessible en ligne, respectant les principes de construction des arbres de connaissances. Il construit son arbre en choisissant les compétences qu’il estime maîtriser dans une base construite collectivement par des formateurs de l’enseignement agricole encadrés par des experts. C’est la visualisation des écarts entre le portrait constitué et le profil visé qui orientera la construction du parcours de formation . Le premier bilan établi fin 2004, faisait état de 233 parcours prescrits. Aujourd’hui, au vu du succès de la formule, la question d’un accès à Tutofop pour les intervenants en enseignement par voie scolaire se pose. Il nécessitera sans doute des aménagements. Une approche pluridisciplinaire du fait alimentaireEn 2005, est lancé le cours supérieur sur la nutrition et l’alimentation humaine pour favoriser une approche pluridisciplinaire du » fait alimentaire « , intégrer les questions liées à l’aliment, de sa production à sa consommation, dans différentes disciplines telles que l’histoire, l’économie, la biochimie, la biologie, le génie alimentaire, l’éducation socio-culturelle et l’agronomie, et placer ainsi l’enseignement agricole au cœur des questions actuelles. Six modules de trois jours sont animés par des professeurs de cinq écoles de l’enseignement supérieur agronomique. Pour faciliter l’organisation et les déplacements, une transmission télévisuelle interactive est assurée. Entre chaque module, des échanges de pratiques pédagogiques sont animés par le biais d’un forum et outillés par un portail. Ils permettent de rendre compte et d’accompagner des initiatives réalisées par les enseignants à partir des apports des modules. Ils favorisent aussi la démultiplication de la démarche dans les établissements. 180 enseignants étaient inscrits au départ, sur trois ans, avec un rythme de deux modules par an. Mais, là aussi, les difficultés budgétaires ont entaché les premières impressions favorables et les retours encourageants : devant les craintes de non remboursement de frais de déplacement, certains inscrits se sont désisté et le dynamisme du portail Qualissa, support de l’animation intersessions souffre visiblement du manque de financement.
D’autres expériences innovantes ont vu le jour pour les enseignants en formation initiale, du côté de l’enfa (école nationale de formation agronomique) à Toulouse. Les nouveaux titulaires » chargé d’ingénierie de la formation professionnelle » ont bénéficié d’une formation ouverte et à distance basée sur des travaux collaboratifs liés à leurs pratiques professionnelles ; les professeurs de Technologies Informatiques et Multimédia utilisent un portfolio pour valoriser leurs acquis. Ces exemples montrent une certaine prise de conscience du nécessaire maintien de l’accès à la formation et à sa valorisation. D’autant que de plus en plus d’enseignants recherchent par eux mêmes des voies pour se former. Stages en milieu professionnel, actions de formation proposées par les collectivités territoriales constituent des recours pour continuer à se professionnaliser malgré les embûches budgétaires … au risque de fragiliser le système institutionnel de formation, garant aussi d’une certaine cohésion identitaire. Et si les actions innovantes tracent de nouvelles perspectives, témoignent d’un certain dynamisme, elles ne délestent pas pour autant le système d’un recours obligatoire au porte-monnaie pour les pérenniser. Monique Royer
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