Que penser du programme Sarkozy sur l’Ecole ? Trois propositions du candidat sont décryptées et lues au regard des expérimentations et des observations des spécialistes.
1- Evaluer les enseignants selon les résultats : juste politique ou chimère ?
L’idée de la rémunération des enseignants au mérite est-elle en train de s’imposer ? Nicolas Sarkozy l’a officiellement mise dans son programme. « Je veux que souffle sur lui (l’enseignant) un vent de liberté et d’évaluation. Liberté pédagogique des enseignants…. Mais évaluation des enseignants selon les résultats des élèves ». Cette proposition en rejoint directement une autre. Cette semaine, aux Etats-Unis, le Teacher Leaders Network, une association qui regroupe un certain nombre de professeurs récompensés pour leurs qualités pédagogiques, demande lui aussi une paie différenciée. L’affaire fait grand bruit outre-Atlantique. Ces enseignants demandent que soient mieux payés les professeurs qui font progresser les résultats de leurs élèves ou qui obtiennent de nouveaux diplômes ou encore qui acceptent d’aller en zep, à condition qu’ils soient qualifiés. Le Teacher Leaders Network promeut l’avancement selon la réussite plutôt qu’à l’ancienneté. En France, d’ailleurs, il faut le reconnaître, tous les professeurs sont capables de désigner des collègues plus efficaces que d’autres.
Sont-ils pour autant capables de s’entendre sur les critères de cette efficacité ? Ecartons d’abord l’idée simpliste de graduer l’efficacité sur le taux de réussite aux examens. L’erreur est souvent commise par les parents or, si on le faisait, on récompenserait les enseignants des établissements de centre-ville par rapport à ceux de banlieue.
Alors quels critères retenir ? L’enseignant efficace n’est ce pas aussi celui qui aide les élèves à construire une bonne estime de soi ? C’est sans doute celui dont les élèves ont des acquis supérieurs à ceux de classes comparables. Mais dans ce cas comment faire la part des relations entre les élèves dans ces progrès et celle du maître ? Ces acquis profitent-ils à tous les élèves de façon égale ou le maître n’est-il pas plus efficace avec certains ? Plusieurs études ont pu montrer que, selon les représentations qu’ils se font de leurs élèves, les enseignants sont meilleurs avec certains qu’avec d’autres. On mesure alors la complexité de ces interactions.
Dans « Enseigner » (éditions des PUF), Pascal Bressoux conclue une réflexion sur l’efficacité des enseignants en disant qu’elle « apparaît donc moins comme une caractéristique intrinsèque de l’enseignant que comme le résultat d’une interaction avec la situation d’enseignement et les élèves ». La façon la plus simple d’avoir de meilleurs enseignants c’est peut-être de changer l’économie de l’Ecole et les représentations qui y ont cours. On tient là la limite du raisonnement sur l’évaluation de l’enseignant.
Teachers Leaders
http://www.teacherleaders.org/teachersolutions/index.php
Sur l’ouvrage « Enseigner »
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/82EnseignerRechercheChemin.aspx
2- L’éducation prioritaire : un bon point à Sarkozy ?
Nicolas Sarkozy est-il à même d’apporter une aide efficace aux établissements et aux élèves en difficulté ? On sait ce qu’il a promis pour les Zep. « Dans les quartiers où s’accumulent tous les problèmes de l’exclusion et du chômage, je propose de créer des classes de quinze élèves dans les collèges et les lycées…. »
Cette proposition est doublement osée. Elle est directement inspirée d’une étude de Thomas Piketty, un conseiller de S. Royal. Elle se démarque très clairement du plan Ambition Réussite mis en place par Robien. Celui-ci avait d’ailleurs censuré les travaux de Piketty… Que dit Piketty ? Il établit que « la légère politique de ciblage des moyens actuellement en vigueur en ZEP (taille moyenne des classes de 21,9 en zep contre 23,3 hors zep) permet de réduire d’environ 10% l’écart de réussite.. Cet écart pourrait être réduit de 40% si l’on mettait en place un ciblage fort avec une taille de classe moyenne de 18 en Zep et 24,2 hors zep ». Car la baisse des effectifs, pour T. Piketty, n’a de sens que pour les zep : elle affecte beaucoup moins la réussite des enfants favorisés. Aussi avait-il mis en accusation la politique gouvernementale jusqu’à ce que N. Sarkozy reprenne l’idée et aille un plus loin pour le secondaire (17 élèves au collège et au lycée). Mais il oublie l’élémentaire et le pré-élémentaire alors que c’est là que se creusent les difficultés… D’autres études confirment cet effet des effectifs, par exemple le programme américain Star.
Suffit-il de baisser les effectifs pour répondre aux besoins de l’éducation prioritaire ? La question fait débat et elle sera d’ailleurs au coeur de la Journée de l’Observatoire des Zep (OZP) le 12 mai. Pour l’OZP, » La gestion des ressources humaines est au centre de la politique d’éducation prioritaire ». L’Observatoire précise que « la ressource rare, encore plus nécessaire que les postes et les crédits, ce sont ces équipes capables de réussir dans des conditions difficiles… C’est la présence de telles équipes qui doit être assurée, en renforçant et en renouvelant les personnels en place. Les nouvelles équipes seraient formées sur la base de l’adhésion à une définition du métier d’enseignant associant le travail en équipe, dans le cadre d’un projet, la recherche de pratiques enseignantes susceptibles de mener les élèves à la réussite et l’acceptation d’un rôle d’éducateur. Le choix d’équipes de direction renforcées est stratégique, ainsi que le soutien et le pilotage de la hiérarchie de l’Education nationale pour assurer la pérennité du dispositif ». Ainsi les crédits ne suffiraient pas. Le pilotage aurait aussi son importance.
C’est aussi ce que nous dit une expérience réussie, celle du programme anglais « Excellence en ville » (EV). Lancé en 1999, ce programme a réussi à diminuer l’absentéisme et à améliorer les résultats aux examens. Il met en place des tuteurs d’apprentissage qui aident les élèves ne difficulté. Des groupes de soutien sont également disponibles pour les élèves en danger d’exclusion. Mais pour Sandra Mac Nally, dans Améliorer l’école, le succès du dispositif vient également d’un pilotage étroit. Les écoles classées EV ont reçu des financements supplémentaires mais liés directement à des consignes. On leur a précisé à quoi devaient servir ces fonds.
La promesse de réduction du nombre d’élèves aurait sans doute un effet positif surtout si elle englobe le primaire. Mais, là aussi, elle ne devient efficace que si parallèlement on encourage la constitution d’équipes stables en zep. Et si l’on s’emploie à pacifier les cités plutôt qu’y semer les provocations.
Dans le Café: L’étude de Piketty
Un dossier du Café 74
http://www.cafepedagogique.org/disci/actu/74.php#500
3- Autonomie des établissements : une solution d’avenir ?
L’autonomie des établissements peut-elle résoudre la crise de l’Ecole ? Nicolas Sarkozy semble le croire lui qui estime qu’elle est « une nécessité pour que chaque établissement s’adapte au contexte dans lequel il se trouve et pour que chacun se mobilise autour d’un projet dont il sera partie prenante… C’est l’incitation à faire le mieux possible. C’est la condition pour que le libre choix des parents devienne possible, pour que la carte scolaire un jour soit abolie et pour que la ségrégation urbaine et la ségrégation scolaire cessent de se nourrir l’une de l’autre ». A en croire le prochain président, l’autonomie permettrait d’ajuster l’offre scolaire à la demande sociale.
A l’évidence, l’idée s’ancre dans une réalité européenne. Dans la plupart des pays d’Europe, les établissements élaborent une véritable politique pédagogique qui est pilotée par le chef d’établissement. Certains pays vont loin sur ce chemin. Ainsi en Angleterre, le gouvernement favorise la création d’écoles de types différents, autour de projets spéciaux et parfois de partenariats privés comme les Academies. En France même, il existe déjà de fait des différences sensibles d’un établissement à l’autre. Ce sont justement elles qui sont recherchées dans les stratégies de contournement de la carte scolaire.
Pour autant, l’autonomie totale est souvent négative. Ainsi, selon Nathalie Mons, « une totale décentralisation est associée aux résultats les plus faibles » (Améliorer l’Ecole, PUF). Les résultats sont meilleurs quand l’Etat garde la prérogative de fixer les programmes et détermine les conditions de service des enseignants. Plus qu’autonomie totale, il convient de trouver le bon équilibre entre les capacités de décision locales et le cadre national dans lequel il s’exerce. Il n’est pas impossible que le modèle qui s’inscrit dans le projet de N. Sarkozy soit celui de l’enseignement privé sous contrat qui associe pouvoir local et gouvernance nationale. Il semblerait hasardeux d’affirmer qu’à recrutement social égal il soit marqué par une efficacité plus grande.
C’est que l’autonomie requiert au moins 3 conditions. Elle suppose que chaque établissement se dote d’un réel projet pédagogique. Or on sait que celui-ci est le plus souvent formel. La seconde condition, à en croire Dubet et Dutercq, c’est que ce projet soit soutenu par une équipe pédagogique. Or le travail d’équipe est rare et peu encouragé dans le système. Par exemple il est intéressant de remarquer que, selon Mohammad Hassani, les établissements privés, qui bénéficient d’une autonomie réelle, sont marqués justement par une très faible intervention du manager et la faiblesse de l’action collective. La troisième condition concerne les chefs d’établissement. Souhaitent-ils devenir de vrais managers ? Il faut rappeler que leur autorité pédagogique ne va pas de soi, y compris pour eux-mêmes. Et qu’aucune recherche française n’a pu établir de lien entre efficacité et style de direction.
L’école ne se manage pas comme une entreprise. Pour être positive, l’autonomie devra s’accompagner d’un encadrement étatique réel et fort. Et surtout d’un soutien effectif des enseignants. Sans lui toute réforme serait vaine.
Rappel : La thèse de Mohammad Hassani
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/26032007Accueil.aspx