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« Les Tic ne peuvent pas prendre leur place. Il faut réfléchir à la manière d’orienter notre pédagogie » dit un professeur de français. » Globalement les outils remettent en cause des savoirs faire appris avec le réseau » affirme un professeur de STG (technologie tertiaire) à l’occasion d’une table ronde. Des témoignages qui tournent autour d’un outil et d’une question. Un outil : les plates formes d’échange et de mutualisation que déjà un petit nombre d’enseignants ont tenté d’intégrer à leur enseignement. Une question : pourquoi ça ne marche pas avec les élèves ? « Première rencontre : Christian Perrier : Si on ne va pas vers une pédagogie plus collaborative on aura du mal à utiliser ces outils Christian Perrier est bien connu des lecteurs du Café. Créateur et organisateur du concours international « Des mots pour voir », il enseigne le français dans un lycée du centre de Bourges (18). Comment le dispositif est-il né ? En 2003, j’ai pratiqué un petit dispositif sauvage en 1ère. J’ai pensé que c’était un moyen pour motiver les élèves que de mettre à leur disposition un site avec des ressources. . Ca c’est avéré positif dans l’ensemble donc j’ai proposé de systématiser cela au chef d’établissement et déposé un dossier académique. Neuf de mes collègues ont bien voulu participer à cette expérience de « cyber classe ». Mais qu’est ce qui peut motiver quelqu’un comme Christian Perrier, qui mène déjà énormément de projets, de lancer cette nouvelle initiative ? Je suis passionné par les TICE et j’étais curieux de voir comment elles peuvent modifier l’enseignement. Pour moi il ne s’agissait pas de quelque chose de secondaire mais d’un projet pour modifier l’enseignement. Cette conception a été une source d’obstacles : mes collègues ne la partageaient pas tous. On est un lycée de centre ville sans grand problème donc sans motivation profonde au changement puisque tout va bien. Et finalement ce n’est pas l’obstacle technique qui a posé le plus de problème dans ce projet mais bien la façon de concevoir la pédagogie à travers cet outil. Un autre frein qui est apparu c’est l’ouverture de la plate forme au public. Par exemple, elle comporte un cahier de textes qui rend transparent ce qui est fait en classe. Pour moi c’était une commodité : je n’ai plus rempli le cahier de textes papier. Et puis ce cahier permet de joindre des documents et des liens : cela a été assez apprécié par les élèves même s’ils ont déploré le retard de certains professeurs. Car pour certains collègues cela a pu paraître gênant. Le cahier de textes papier n’est regardé par personne, ni par les élèves, ni par les enseignants. Le cahier électronique c’est une autre affaire, il est regardé. En dehors du cahier de texte, quels services proposait la plate forme ? D’abord un outil d’édition : un éditeur html, pour les plus techniciens, et Spip, un CMS destiné aux enseignants. Un wiki réservé aux élèves par exemple pour les réponses aux questions posées par les profs. Peu l’ont utilisé. Mais les élèves ont dit qu’ils étaient intéressés de voir ce que les autres avaient mis. Ca c’est une dimension nouvelle ; c’est difficile dans la classe traditionnelle. Le wiki a aussi été utilisé pour un travail collaboratif dans e-Twinning avec une classe italienne. Par exemple il y a eu un devoir en commun fait par les français et les italiens. Les italiens ont mis des propositions que les français ont corrigé. On est là sur quelque chose de curieux : normalement regarder le travail des camarades ça amène une note zéro ! Oui mais c’est l’esprit même du travail collaboratif s’enrichir mutuellement. Ca ne dispense d’ailleurs pas du travail personnel. A deux reprises j’ai organisé comme cela un travail de groupe. Du coté des élèves c’est une participation assez faible ? Ca dépend. Le wiki peu y ont participé scolairement. Mais ils s’en sont servis comme réceptacle de notes, une espèce de portfolio spontané, où ils mettaient des notes, des images. Beaucoup se sont créés des pages personnelles. Ils en ont fait un outil personnel. Il ne se passait pas de jour ans qu’il y ait des ajouts dans ces pages personnelles. C’est un des points positifs. Ils pouvaient voir les pages des autres ? En général ils avaient verrouillé leur page. Mais j’ai appris qu’officiellement on ne peut pas avoir de page inaccessible sur un site d’établissement. Donc tout a été déverrouillé sans problème. Ces pages personnelles les ont aidé pour les TPE. Tous leurs journaux TPE étaient sur le wiki ce qui était bien pratique pour moi pour suivre leurs travaux. Ce n’est qu’a la fin de l’année qu’ils ont imprimé leur journal. Il est arrivé aussi, rarement, que pour l’élaboration d’un devoir les élèves mettent une proposition sur le wiki et moi j’intervenais pour conseiller. Je croyais que cette option serait utilisé massivement. Et bien non, très peu l’ont fait. Par exemple telle élève qui me demandait conseil a fait deux allers retours puis ça s’est arrêté. J’ai eu l’impression que cet entraînement à distance ne les intéressait pas trop : ils préfèrent travailler dans leur coin. Cette possibilité de suivi individuel qui leur est proposé ne les intéresse pas. Ca pose la question de l’utilité de ce genre de plate forme dans notre système scolaire. Comment expliquer que finalement les utilisations ne soient pas celles qu’on attend ? Est-ce que ce n’est pas simplement que par rapport a leur scolarité cela ne leur sert à rien ? Effectivement on a affaire à des élèves scolaires qui travaillent mais qui n’ont pas profité de certaines possibilités de la plate forme. Il y a quand même tout un aspect de facilitation d’accès aux ressources dont elles ont profité, par exemple les séquences de français en vue du bac. Finalement vous leur demandez d’être acteur de leur enseignement. Est-ce nécessaire pour avoir le bac ? C’est clair que non. Les élèves considèrent le domaine scolaire comme peu intéressant et peu motivant. Et moi j’ai perçu le dispositif comme une façon de les aider à se motiver. Il y a d’ailleurs des réponses contrastées selon les élèves. Ce que je constate avec dépit c’est que ce sont les meilleurs élèves qui en ont profité le plus. Ils vont voir les liens, utilisent les ressources. Mais ils n’en ont pas vraiment besoin. Le travail en commun, la collaboration : on est pas encore prêts pour cela. Si on s’intéresse au regard des enseignants, quel impact le projet a-t-il eu sur les collègues ? Très inégal. L’année dernière ça a bien marché et il y a eu un début de concertation. Mais cette année cela a tourné court car quand on se voyait on parlait de la classe mais personne ne parlait de ce qu’on fait avec les Tice. En fait on évoquait le fait qu’on ait pas le temps, que c’est difficile de publier. Les enseignants n’ont pas envie de concevoir une pédagogie différente Ils n’avaient pas envie de concevoir une pédagogie différente ou d’en parler ? Peut-être les deux. Un des objectifs c’était l’autonomie des élèves et la cohésion de l’équipe. Il n’a pas été atteint. Il n’y a pas eu de vraie réflexion pédagogique commune. Il y a eu aussi des réactions révélatrices. Par exemple ces collègues qui pensent que la plate forme marcherait mieux avec des séries S… En fait seuls deux enseignants ont participé vraiment. Examinons l’avenir. Comment ces échecs et votre observation peut vous aider à réorienter un futur projet ? Avez-vous envie de continuer ? Oui. Je vais continuer hors cadre institutionnel. Je vais d’autant plus continuer qu’on a engagé e-Twinning avec un lycée italien. Et ça a bien marché. Je crois dans la possibilité que les élèves soient plus autonomes grâce a un site. Je crois à cette idée. D’autant qu’on a du mal à travailler la méthode en classe. Quand un élève a un travail à faire devant l’ordinateur il est obligé de le faire. De même pour les corriges. Au lieu de les distribuer je vais essayer de les mettre en ligne. Et de les rendre interactifs. C’est quelque chose que j’ai testé : les élèves m’envoient leur copie et, avec un logiciel, je corrige avec la possibilité d »inclure un lien vers des informations ou un exercice. Les élèves pouvaient voir les corrections des camarades. Ca a bien marché. Je pense que petit à petit les élèves vont y trouver plus d’intérêt. D’ailleurs ils ont fait des usages spontanés de la plate forme. Particulièrement avec le wiki. Ces plates formes sont-elles vraiment adaptées à une école quine change pas ? Ca marche mal avec les élèves scolaires, classiques, habitués à une pédagogie transmissive. Leur conception très classique de l’enseignement est un frein. Si on ne va pas vers une pédagogie plus collaborative on aura du mal à utiliser ces outils. Le problème n’est pas technique. Les élèves savent se débrouiller avec les logiciels. L’obstacle est idéologique, dans la représentation qu’on se fait de l’enseignement, du travail scolaire. Dans le fait qu’on a encore un enseignement qui est transmissif ou il y a peu de place donnée à la créativité et à l’initiative personnelle des élèves. Les Tic ne peuvent pas prendre leur place. Il faut réfléchir à la manière d’orienter notre pédagogie. Christian Perrier La plate forme de la cyber classe Image Imaginaire, une des réalisations de C. Perrier Table ronde sur les plates formes : « Madame, Pourquoi vous tenez tant à ce qu’on aille sur cette plate forme ! » Autour de la table, Karine Bevilacqua, Bernard Leconte, Serge Vial et Laurence Pitoiset : quatre professeurs d’économie-gestion en série STG. Une filière où le nouveau référentiel recommande l’usage d’une plate forme de mutualisation avec les élèves. Ils font part des difficultés rencontrées. Vous avez tous quatre utilisé une plate forme avec les élèves. Mais pas la même. B L : J’ai choisi Dokéos, une plate-forme libre et maintenue. Je travaille dans l’académie pour le site pédagogique et un des collègues avait vu que Dokéos était bien utilisé. On l’a essayé ça semblait une bonne plate forme de FOAD. Elle propose des outils traditionnels : agenda, forum, dépôt de documents, partage de documents et un parcours pédagogique. On peut construire un parcours avec un plan de cours où on insère des documents. Le parcours peut être obligatoire ou pas. On peut suivre le parcours de l’élève. KB : J’ai utilisé Moodle. Je pense que mon échec avec les élèves vient en partie du fait que j’ai utilisé la plate-forme plus en e-learning que comme outil collaboratif. Du coup je n’ai pas eu l’interactivité attendue. Par exemple le dépôt de documents était à sens unique, les élèves étant passifs. L’année prochaine avec Ovidentia je vais changer de stratégie. Entre autres objectifs je chercherai l’interactivité. SV : J’ai choisi Ovidentia. Il est bien soutenu par une société, bénéficie d’une communauté et permet l’administration à distance. Ovidentia est un produit libre qui offre agenda, forum, etc. et une bonne gestion du workflow. Par contre il n’est pas spécialisé en e-learning. C’est plus une plate-forme collaborative. KB: Je veux revenir sur un point. Une dimension m’intéresse particulièrement : quand on se penche sur le sens du travail collaboratif avec les TICE il y a une notion de distance. Mais dans une classe ce n’est pas évident puisqu’il n’y a pas de distance. On les voit régulièrement. Il faut donc créer un besoin qui n’est pas évident. SV : Globalement les outils remettent en cause des savoirs faire appris avec le réseau (intranet). L’outil collaboratif remet en cause la pratique du réseau avec de nouvelles pratiques qui s’additionnent au réseau. Il y a à imaginer quelles pratiques sont intéressantes à mener avec le réseau et lesquelles relèvent plutôt d’une plate forme collaborative. Là on a des décisions à prendre avec les élèves et les collègues. Il y a une démarche de projet à adopter en se fixant des objectifs au départ. BL : Je crois moi que les élèves ont besoin de communiquer avec les professeurs en dehors des heures de cours. Les miens l’ont beaucoup fait en utilisant le courrier électronique. Je suis d’accord sur l’idée d’équipe. J’ai bien vu quand j’ai installé la première plate forme dans l’académie que des collègues sont venus voir puis utiliser l’outil. On peut donc faire plate forme commune avec des collègues d’établissements différents. Lors des Rencontres de l’Orme on a fait un échange avec la classe de Laurence. A la fin de la prestation, une des élèves a continué à discuter avec Laurence pour lui demander conseil. On peut donc dire que ces outils font des ouvertures au-delà de la classe, déplacent ds frontières. On peut arriver à ce que des profs contactent d’autres élèves que les leurs. KB : Dans mon expérience, les élèves qui ont fait vivre les outils étaient les meilleurs. Or ce n’était pas le but recherché… Qu’est ce qui a bien marché ? SV : A mon avis ce n’est pas une bonne question. Dans nos disciplines, on a pas le choix entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Dans nos matières on ne peut pas faire l’économie de l’outil collaboratif. Par contre on a pas forcément le temps nécessaire à y consacrer. Or un forum, si personne ne l’anime, il meurt tout seul. Donc il faut choisir quelques objectifs mais s’y mettre et en faire un élément d’évaluation. BL : Ca marche si les élèves y ont un intérêt. Je suis persuadé qu’ils y ont un intérêt. Mais il faut leur faire percevoir. Il faut que la plate forme contienne suffisamment d’informations : des cours, des documents, des tests. Le forum marche s’il est alimenté. Par exemple il faut y détourner les questions arrivées par courriel. Il faut habituer les élèves. Et là on retrouve un autre problème : l’inégalité des élèves devant Internet. Il faut toujours avoir en tête que certains élèves n’ont pas Internet. Du coup on ne peut pas rendre obligatoire un outil qui est difficile d’accès. Maison peut le faire utiliser en classe. KB : Sur la question d’inéquité. Je n’avais rien rendu d’obligatoire : c’était une erreur. Alors comment faire ? Une solution c’est laisser suffisamment de temps à l’élève pour qu’il se connecte et rendre ce travail obligatoire. Je crois aussi qu’il faut utiliser systématiquement la plate forme en classe. SV : Si on utilise en classe, si les sujets d’activités sont sur l’outil, avec le planning de devoirs, l’usage ira crescendo. Ce qu’on faisait sur le réseau on peut le faire mieux avec cet outil. Mais créer un article, le relire, le modifier, le poster : ça prend du temps… BL : Ce qui a bien marché chez moi c’est un corrigé d’étude de cas réalisée en scannant les meilleures réponses de la classe. J’ai ainsi construit la copie idéale de la classe Ce corrigé posté sur la plate forme a bien plu aux élèves. Par contre ce qui n’a pas marché c’est, qu’au moment des manifs anti-CPE, les élèves n’ont pas utilisé la plate forme pour continuer à travailler. SV : J’ai eu la même difficulté. Un seul de mes élèves a travaillé par mèl. Mais il ne faut pas s’en étonner? Regardons combien d’enseignants sont prêts à partager leurs documents. Ca rejoint une pratique sociale plus large. KB : Pourtant les élèves partagent sur leur blog. Mais je voudrais revenir sur le mot « collaboratif ». En fait on est plus dans la communication que la collaboration avec les élèves. Celle-ci ne peut se faire qu’avec une personne de rang égal. BL : On peut aussi entrevoir de la collaboration entre élèves. SV : Dans mon lycée, la collaboration entre profs c’est ce qui a le mieux marché avec la plate forme. Il est vrai qu’on est un petit lycée avec moins de 10 profs en tertiaire. N’êtes vous pas en train de dire que la plate forme collaborative ne marche pas avec les élèves car l’Ecole ne les encourage pas à collaborer entre eux ? KB : C’est vrai qu’on leur demande toujours un travail individuel. Mais en éco droit, par exemple, en dehors du e-learning j’ai du mal à imaginer de la collaboration entre élèves. BL : On peut quand même demander aux élèves de mettre en commun des travaux, comme des fiches de révision. Constituer un ensemble de fiches de révision peut être un travail collaboratif. KB : Chez moi ça n’a pas marché. Par exemple, un jour j’ai mis un sujet sur la plate forme. Un élève m’a regardé et m’a dit « pourquoi vous tenez tant à ce qu’on aille sur cette plate forme ! ». Si on prenait les outils que les jeunes utilisent quotidiennement, MSN par exemple, cela ne les pousserait-il pas à collaborer davantage ? Si on veut qu’il y ait collaboration ne faut-il pas une production commune aux élèves ? KB : Ils utilisent ces outils hors cadre scolaire. Les utiliser dans ce cadre ça peut être moins attractif. D’autant qu’ils sont très jeunes. LP : Pour avoir utilisé une plate forme avec des pré bac et post bac, il est clair que c’est plus adapté au post bac. Il y a des différences de niveau. KB : Je crois qu’une des conditions nécessaires à la mise en place de la plateforme c’est d’être au moins deux enseignants de la classe à l’utiliser. Sinon c’est peine perdue. A deux profs on peut inciter, convaincre, éveiller l’intérêt. SV : L’outil passera beaucoup mieux qu’ils sentiront que l’équipe de profs a des objectifs communs avec ces outils. C’est aux profs de déterminer ce qu’ils en font. Il faut inventer de nouvelles pratiques. Par exemple demander aux élèves en éco droit de faire une recherche de la publier sur la plate forme puis l’évaluer. De la même manière que j’évalue les documents mis en place sur le réseau. BL : Il faut aussi penser à l’ouverture sur plusieurs classes. Par exemple partager la recherche entre trois classes de terminale voire des classes d’autres établissements. C’est ça aussi l’intérêt d’Internet : casser les frontières temporelles et géographiques. KB : Cette année on était à deux profs d’éco droit de classes différentes. On a fait des devoirs en commun. On pensait que les élèves d’une classe regarderaient les supports de l’autre classe. Cela a été un échec total. Les élèves ne sont allés voir que les documents de leur classe. LP : Il faut se donner des objectifs précis de travail pour chaque année. Par exemple une année expérimenter le cahier de texte. Ne pas vouloir tout faire car c’est très riche. Il ne faut pas chercher à s’approprier tout. Il ne faut pas perdre de vue que sur un espace collaboratif on n’est pas que prof. On est aussi un apprenant. Dans certains cas on ne sait pas faire. Comme le dit Bernard, l’espace déplace les frontières… BL : Ces outils modifient les relations avec les élèves. On a une relation plus égalitaire avec eux. SV : Il apporte aussi une couche d’organisation supplémentaire. Il oblige à définir les groupes de communication, la visibilité de la communication (externe, interne au lycée, à la classe). Il pose la question de la validation. Tout cela c’est de l’organisation, du management. Il faut donc absolument une collaboration entre classes. Là on a tous à apprendre. |
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