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Des TIC pour apprendre : repères pour une intégration – Monique LINARD
En éducation, on ne se demande plus s’il faut ou non intégrer les TIC. On se demande pourquoi et comment en faire des outils efficaces pour apprendre et faire apprendre. On peut restreindre le problème par des stratégies sélectives de self-service. On ne s’adresse qu’aux apprenants spontanément capables de faire bon usage des TIC, en raison de leurs dispositions personnelles, de leur situation ou de leur milieu social. Les réponses de type technico-économique et gestionnaire – politique industrielle, budget, équipement – suffisent à assurer l’efficacité de l’opération. De toutes façons, les » bons » élèves ont déjà les compétences de base et ils apprendront, plutôt mieux avec que sans machines. Si l’on veut au contraire prendre en compte ceux qui, pour une raison ou une autre, ne savent pas, ne veulent pas ou ne peuvent pas apprendre, l’approche technico-économique ne suffit plus. Il faut descendre au niveau des individus. On se retrouve alors face aux questions lancinantes qui hantent depuis toujours l’éducation : pourquoi tant d’individus normalement constitués n’apprennent-ils pas à l’école? Pour quelles raisons pédagogiques et didactiques, psycho- et socioculturelles, individuelles et collectives? L’efficacité des TIC dépendant des réponses complexes à ces questions de fond, elle n’est plus garantie. En fait, les TIC présupposent largement acquises les compétences qu’elles assistent. Elles aident surtout ceux qui savent s’aider eux-mêmes (les débrouillards, les cultivés, les experts). Imposées sans médiation, elles contribuent plutôt à creuser qu’à atténuer les écarts. En éducation, la faiblesse des résultats des TIC à grande échelle tient moins aux outils qu’aux conceptions de l’acte d’apprendre ; et aussi à la confusion permanente entre information et connaissance, procédures techniques et processus humains. Contre l’évidence, on persiste à croire que, quand un individu n’a pas les bases psycho- et socio-cognitives nécessaires pour se conduire et apprendre normalement, les outils vont pouvoir les produire à sa place. La psychologie du développement l’a montré depuis longtemps : l’intelligence ne se résume pas à l’acquisition rationnelle de savoir-faire et de contenus. C’est une activité à double face, subjective et objective, individuelle et sociale. Elle se fonde pour chacun sur l’interaction avec son milieu. Elle implique une transformation mentale profonde et la mise en route de processus complexes de structuration cognitive et d’intégration culturelle. Elle ne met pas seulement en jeu le raisonnement et la mémoire. Elle concerne l’individu entier en relation avec autrui, avec son expérience passée, son affectivité, sa motivation, sa volonté, son sentiment d’identité. Il n’est pas étonnant qu’apprendre reste une entreprise périlleuse, à accompagner chez tous et à soutenir fortement chez beaucoup : plus encore quand il s’agit d’accéder à la culture savante de l’école. Et il est normal que les TIC, qui ne traitent de la connaissance que sa part d’information objective ne suffisent pas à l’assurer. Sauf cas précis – apprenants déjà compétents et autonomes, situations de jeux et d’usages élémentaires -, les TIC ne peuvent pas remplacer les enseignants parce qu’elles ignorent la face subjective, psychologique et sociale, de la conduite par l’apprenant de son propre apprentissage. Pour son efficacité, l’instrument dépend aussi de la compétence des utilisateurs. Si cette compétence fait défaut, il faut la développer. Loin d’éloigner de la pédagogie, les TIC y ramènent, mais autrement, en rappelant qu’il faut souvent éduquer d’abord pour pouvoir instruire ensuite. Les outils interactifs actuels, multimédia, hypertextuels et interconnectés, ont toutes les fonctions techniques nécessaires pour développer l’activité des apprenants : à condition que ces derniers le veuillent et le sachent. Les TIC accélèrent et amplifient les fonctions mentales (perception, action, représentation). Elles dynamisent les processus de structuration, coordination, adaptation et signification qui fondent l’intelligence et la relation sociale. Elles ouvrent l’exploration au monde entier. Leurs défauts (surexcitation et surcharge mentale, déréalisation, déresponsabilisation, repli sur soi) ne sont que le verso du recto. Pour beaucoup d’apprenants, les TIC restent des outils de jeu, plus intéressants pour fuir que pour affronter l’école. Les moyens offerts sont pourtant les mêmes dans les deux cas. Mais en éducation, il est rare qu’ils soient repensés en vue de donner les raisons et les repères, les moyens et le plaisir d’apprendre. Les pédagogies actives et interactives conviennent aux TIC parce qu’elles sont fondées sur une conception développementale, constructiviste et interactive, de l’intelligence. Soucieuses des conditions en amont de l’acte d’apprendre, elles aménagent de véritables ateliers de co-construction de la connaissance. Pour cela, elles alternent de façon systématique les modes individuels et collectifs, spontanés et réfléchis d’activité : production isolée ou en petits groupes à partir de tâches et de projets conçus à cet effet, réflexion sur les résultats et stratégies et enfin conceptualisation. Le passage de la pensée pratique au concept et à l’abstraction théorique n’est pas laissé au seul hasard des talents. Il s’appuie sur la confrontation collective des productions, la prise de conscience et la formalisation, guidées par l’enseignant dans un cadre de relations confiantes. Bien d’autres capacités sont nécessaires pour transformer l’information des TIC en connaissance personnelle. Elles relèvent toutes d’un haut niveau cognitif et social : capacité de naviguer sans se perdre dans les océans d’information hétéroclite; capacité de trier, structurer, synthétiser les données pertinentes et d’analyser les faits, les situations, les évènements en fonction des outils disponibles ; capacité de collaborer avec des partenaires multiples, de se conduire de façon cohérente et autonome dans un milieu foisonnant et fluctuant ; capacité de s’adapter au changement et de tolérer le stress lié à la complexité, l’abstraction et l’accélération croissantes des conditions de travail. La plupart des enseignants ne sont ni prêts ni formés à faire face à l’onde de choc culturelle et socio-économique provoquée par les TIC. La seule façon de les aider est une formation, initiale et continue, qui leur donne l’envie et les moyens de (re)penser activement par eux-mêmes leur métier. Ils devraient pour cela pouvoir se familiariser de façon naturelle aux TIC par des usages et des apports en relation directe avec les problèmes qui les intéressent. Diverses expériences de formations collaboratives existent dans ce sens et ont fait leurs preuves. Elles appuient le cours classique sur des groupes semi-autonomes de travail à distance. Les enseignants dispersés sur leurs terrains mettent en commun leurs expériences, leurs problèmes, leurs analyses et leurs besoins, théoriques et pratiques. Ils échappent à la solitude et à l’angoisse du débutant, hésitent moins à se lancer dans l’aventure et peuvent éprouver par eux-mêmes les potentiels et les limites des TIC. Les techniques appropriées existent, les méthodes aussi. Il ne reste qu’à vouloir les mettre en oeuvre. Monique LINARD |
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