Il est légitime que les enseignants redoutent l’intégration des élèves
handicapés dans leur classe.
Faire
comme si cela allait de soi va à l’inverse des objectifs de la loi ».
Depuis
quatre ans, Joël Chamayou, enseignant spécialisé dans le Val d’Oise,
exerce une mission bien particulière. Itinérante, elle consiste d’abord
à rencontrer les enseignants qui scolarisent un enfant souffrant de
troubles des fonctions cognitives.
Sur
proposition du groupe Handiscol’ du Val d’Oise, qui souhaitait
améliorer les conditions de l’intégration individuelle, l’Inspecteur
d’Académie a progressivement mis en place des postes spécifiques : 5
postes en
2001, 10 depuis 2003 , avec cependant un poste de moins prévu à la
rentrée pour cause de restrictions budgétaires.
Une mission originale
Leur
mission ? Elle est explicitement citée dans la loi de 2002 :
«
apporter un soutien pédagogique approprié aux élèves mais également
informations et aide aux enseignants qui intègrent ». Leur rôle est
donc multiple : avant l’arrivée de l’élève, ils vont aider à rendre
possible le projet personnel de scolarisation (PPS). Dans la classe,
ils aident l’enseignant à évaluer les compétences et besoins des
enfants, et à construire des pistes pédagogiques. Ils interviennent
aussi en direction des AVS chargés de l’accompagnement de l’enfant, à
la fois pour leur faire mieux comprendre les troubles de l’élève suivi,
décrypter les rouages de l’institution scolaire, réguler les
dysfonctionnements ou les aider à « trouver leur place ». Ils ont aussi
un rôle dans les animations pédagogiques, pour informer tous les
enseignants, ou dans les stages de formation de directeurs. Ils sont
aussi présents dans les lieux qui se mettent en place pour remplacer
les anciennes commissions d’orientation (CDES et les CCPE) rendues
caduques par la mise en place de la Maison du handicap. C’est notamment
là que se jouent les demandes d’AVS…. Le partenariat doit donc être
réel avec les enseignants « référents » chargés, eux, du suivi des
élèves handicapés
«
Notre travail doit permettre à l’enfant de poursuivre ou d’engager des
apprentissages scolaires et d’atteindre son plus haut niveau de
compétences en milieu ordinaire, explique Joël Chamayou. Pas
en lui apportant une aide directe, mais en accompagnant l’enseignant
dans cette intégration. Nous rappelons les textes réglementaires, qui
définissent la mission de chacun des intervenants dans le PPS. Nous
proposons des pistes pédagogiques et éducatives en lien avec le
handicap de l’enfant, en aidant l’enseignant à cerner les difficultés
d’apprentissage. Mais notre rôle est aussi de restaurer l’enseignant
dans sa fonction, en l’aidant à repérer les compétences et en pointant
les évolutions de l’enfant, en valorisant les réussites, en l’aidant à
déculpabiliser ou à se distancier… »
Rompre l’isolement
L’essentiel,
selon lui, est de rompre avec le sentiment d’isolement de l’enseignant,
en le rencontrant régulièrement, mais aussi en l’incitant à se saisir
des compétences de tous ses partenaires (IEN, services de
soin,
RASED, MDPH…). Bien sûr, il entend les réticences : « Je ne suis pas spécialisé », «
il ne fait pas comme les autres », « j’ai les 25 autres à m’occuper » ou
« je ne sais pas quoi
lui faire faire ».
Une des principales difficultés, pour l’enseignant, est en effet
d’arriver à ne pas voir cet enfant comme un « écolier ordinaire », mais
en même temps de pouvoir penser « élève » cet « enfant particulier » et à
avoir pour lui, comme pour les autres un projet d’apprentissage
spécifique.
Malgré
son engagement, Joël Chamayou est bien conscient que l’intégration des
enfants handicapés, surtout dans le champ du handicap mental, ne va pas
de soi. « Il convient
de rester
prudent et attentif aux évolutions des enfants intégrés et des écoles
qui les accueillent. Les démarches militantes et bien compréhensibles
des associations de familles et de personnes handicapées ont amené le
législateur à autoriser le plus grand nombre à intégrer l’école
ordinaire, les lois de 2002 et 2005 confirment cette tendance. Mais la
clé de la réussite, c’est d’articuler le soutien à l’élève et une aide
directe à l’enseignant de la classe ».
Les trois questions
du Café :
Pouvez
vous citer une ou plusieurs expériences concrètes illustrant les
difficultés que peuvent rencontrer des enseignants intégrant des élèves
handicapés ?
Les
difficultés rencontrées sont multiples et diffèrent naturellement en
fonction de la pathologie de l’enfant. On pourrait presque dire qu’il y
autant de types de difficultés qu’il y a d’enfants, c’est d’ailleurs en
partie ce qui caractérise le handicap mental par rapport aux autres
déficiences (visuel, auditive, IMC…) Cependant certaines difficultés
sont relativement récurrentes et concernent les troubles du
comportement : les règles de vie de l’école sont généralement très peu
en adéquation avec les conduites de ces enfants. Il y a assez souvent
une très forte distorsion entre la pathologie et les exigences du
milieu scolaire. Ceci entraîne de nombreuses questions par rapport aux
attentes que l’on doit et/ou peut avoir vis-à-vis de l’enfant handicapé
scolarisé. En résumé, le questionnement des enseignants s’articule
essentiellement autour du rapport à la norme, tant au niveau de
l’attitude d’élèves que des savoirs à leur enseigner.
Très
concrètement, pourriez vous citer un exemple illustrant en quoi vous
avez pu aider un-e collègue à résoudre un
problème qu’elle avait dans la scolarisation d’un élève handicapé ?
Je
peux évoquer cette enseignante de Moyenne Section totalement démunie et
découragée face à M…. porteur de trisomie 21 qui manifestait une très
forte hypotonie. Très investie dans cette scolarisation, elle
voyait toutes les tentatives d’apprentissages échouées et
l’enfant se replier de plus en plus sur lui-même. L’observation de
cette situation et les échanges menés avec l’enseignante nous ont amené
à repenser l’attitude de l’adulte face à M…. L’hypothèse retenue était
que sa très grande hypotonie était l’expression d’une angoisse
(anxiété) face aux nombreuses propositions de la maîtresse. A partir du
référentiel de compétences de la classe, nous avons donc recentré son
Projet Personnalisé de Scolarisation autour de quelques objectifs, y
compris en osant avoir avec l’enfant une attitude beaucoup plus
directive, afin de le mettre en action. On a alors constaté que son
comportement évoluait rapidement, sans doute parce qu’il était rassuré
par ce cadre beaucoup plus ritualisé. Depuis, il continue à progresser,
son hypotonie a presque totalement disparu et il a pu adopter
une
attitude plus en adéquation avec les attentes de la classe.
Je
pourrais citer des dizaines d’exemples pour lesquels les regards
croisés de l’enseignant itinérant avec celui des adultes de l’école
(enseignant-e, ATSEM, AVS …) ont permis d’échafauder des stratégies
efficientes, tant au niveau du comportement que des acquisitions
scolaires. Les résultats ne sont pas toujours aussi spectaculaires et
immédiats, mais à chaque fois ma venue est l’occasion pour l’enseignant
d’échanger, de partager et surtout de penser ensemble cet enfant. Il
faut que l’enseignant, pour qu’il puisse exercer sa mission, trouve (ou
découvre) l’élève qui se cache chez cet enfant différent. C’est en cela
que ma mission prend tout son sens.
Quelle vous
semblerait être une mesure efficace pour permettre de résoudre un
problème selon vous essentiel… ?
Je
vais plutôt en citer une série, non exhaustive d’ailleurs… Dans un
premier temps, il faudrait naturellement apporter une réelle formation
aux équipes d’écoles. Je parle bien d’équipe, car la scolarisation d’un
enfant handicapé est encore trop souvent portée uniquement par
l’enseignant de la classe d’accueil. Cette formation devrait d’ailleurs
également prendre une place beaucoup plus importante dans les
IUFM.
Mais
une scolarisation de qualité passe également par un accompagnement
humain de qualité et donc par la professionnalisation des AVS
(Auxiliaire de Vie Scolaire). Il faut pérenniser ces emplois et leur
offrir une formation en adéquation avec les enfants qui leur sont
confiés.
Enfin,
il me semble que l’E.N. devrait pouvoir s’appuyer sur des dispositifs
innovants, comme celui mise en place par l’Inspection Académique du Val
d’Oise pour favoriser la scolarisation des enfants handicapés. Ces
postes d’enseignants itinérants, titulaires de l’option du CAPA-SH
(CAPSAIS) correspondant au handicap de l’enfant, permettent de
travailler avec les écoles à l’élaboration et la mise en œuvre des PPS.
Je peux témoigner que l’ensemble des partenaires des équipes de suivi
souligne l’intérêt de ces missions et leur efficacité.
Cet
investissement me semble donc très efficace. En pérennisant ces
emplois, en créant un nombre de postes permettant que le secteur
d’intervention et le nombre d’élèves suivis restent raisonnables, on
pourrait vraiment faire un grand pas en avant dans l’extraordinaire
défi posé par les lois de 2002 et 2005. Il est utopique de penser que
la scolarisation d’un enfant handicapé va de soi, qu’elle se résume à
de la bonne volonté et de la grandeur d’âme. Elle nécessite pour les
enseignants un savoir-faire, des démarches, des organisations que
l’enseignant itinérant peut les aider à mettre en œuvre. Parfois, c’est
aussi travailler avec l’enseignant à trouver le juste positionnement,
en particulier lorsque le comportement d’un enfant fait souci dans la
classe.
Aider
les enseignants, c’est la condition pour réussir la tâche dévolue à
l’école dans le cadre de la nouvelle loi d’orientation pour l’égalité
des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées.
Propos
recueillis par Patrick Picard