Le JT de 20h, mercredi 14 mars, a présenté un reportage effectué dans une école maternelle, où l’institutrice faisait une « leçon de mots », façon Bentolila — à vrai dire en beaucoup mieux ! Il s’agissait d’enseigner le mot « tambouriner » aux petits. Et si je dis que c’était du Bentolila en mieux, c’est qu’on n’y apprenait pas de définition, mais on travaillait de façon concrète, en frappant sur la porte avec énergie, et en mettant en relation le mot et l’action. Compte tenu des objectifs qui lui étaient imposés, l’institutrice, qui avait avec les enfants un contact excellent, menait son affaire aussi bien que possible.
Et si mon analyse est assez critique, ce n’est évidemment pas contre elle qu’elle est dirigée.
Un mot par jour, dit monsieur Bentolila. Aujourd’hui, c’est le verbe « tambouriner ». Tambourinons donc !
Pourtant peut-on dire que les enfants ont enrichi leur vocabulaire quand on leur a appris que « tambouriner » cela veut dire frapper très fort sur la porte ?
Examinons les emplois de ce mot, et essayons de voir dans quels contextes il peut apparaître.
1- Les policiers qui viennent arrêter un dangereux terroriste à 6h du matin frappent très fort à la porte de celui-ci… Dirait-on qu’ils « tambourinent » ?
2- Le père inquiet de voir que son fils s’est enfermé dans sa chambre et qui voudrait bien savoir ce qu’il y fait, « tambourine-t-il » à sa porte ?
3- La jeune fille poursuivie par un sinistre individu et qui hurle qu’on lui ouvre la porte pour lui échapper, « tambourine-t-elle » sur cet huis ?
On voit bien que ce verbe ne convient en rien à ces situations, même si les coups frappés y sont violents et répétés.
C’est que ce verbe, dont l’étymologie est bien évidemment le mot « tambour », — exactement le « tambourin » — a pris aujourd’hui une valeur assez ludique presque enfantine. En fait il renvoie plutôt (même si ce n’est pas exactement conforme à l’histoire de ce mot), au bruit que fait un tambour-jouet qu’au son des instruments de musique à percussions.
Tambouriner, c’est faire le vacarme que fait un petit avec son tambour.
D’où l’effet surprenant qu’il produit dès qu’il est utilisé en situation sérieuse ou grave. Si je lis la phrase suivante : « A six heures ce matin, j’ai été réveillé par les policiers qui tambourinaient à ma porte pour m’arrêter », c’est l’impression d’un récit humoristique que l’on a immédiatement, et pas du tout celui d’un récit à suspense.
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Ce qui confirme une fois de plus que le choix des mots ne dépend pas de ce qu’on a à dire, mais de l’effet qu’on veut produire en le disant.
Les travaux menés sur le fonctionnement de la communication démontrent qu’on ne communique jamais pour dire, mais pour agir sur celui ou ceux avec qui on communique. Plus que le sujet de la communication, ce sont ses enjeux qui sont déterminants.
Le choix des mots est dirigé par l’effet que l’on veut produire et le résultat que l’on attend. Lorsque Alexandre Dumas écrit, dans ses « Mémoires » : « Je fus réveillé par mon valet qui criait d’une façon chromatique : monsieur, monsieur, monsieur… », il ne veut nullement dire que le valet montait d’un demi ton précisément à chaque « monsieur ». Le terme technique, parfaitement inattendu ici, produit par son inadaptation un effet comique bien évidemment voulu par l’auteur.
Maîtriser le vocabulaire, c’est connaître parfaitement les effets que peuvent produire les mots et savoir en jouer, en fonction des effets à produire.
Et il va de soi qu’un tel apprentissage n’a rien à voir avec les possibilités d’un enfant de trois ou même six ans.
A cet âge, en revanche, il peut commencer à faire quelques découvertes par les lectures qu’on lui fait de textes amusants dont le style lui permet de repérer intuitivement d’où viennent les effets amusants et l’humour. Ce qui permettra plus tard un travail d’approfondissement et de théorisation.
Depuis Piaget, on sait que pour qu’un enfant apprenne en le comprenant quelque chose, il est souhaitable qu’il en ait eu l’expérience bien avant d’avoir à l’apprendre ou à le comprendre.
Une leçon de mots à l’école maternelle n’est pas seulement une bêtise, c’est une faute et un danger puisqu’elle ne peut enseigner à cet âge que des erreurs aux enfants.
A moins que ces leçons ne soient prévues que pour plaire à des parents qui préfèrent la vitrine d’un pseudo-travail, avec tous ses dangers, à la mise en place d’une véritable maîtrise de la communication pour tous…
Il est vrai que si tout le monde maîtrise les pouvoirs de la communication, cela pourrait devenir gênant…
Question à creuser.
Eveline Charmeux mars 2007.