Le Grand Méchant Marché
Les auteurs de ce petit livre très riche sont deux pointures en économie financière (resp. professeurs de finance au MIT et à HEC). S’appuyant sur l’état de la recherche économique, ils démontrent que les marchés ne sont pas myopes, bien au contraire : les meilleurs valorisations boursières concernent des entreprises qui ne dégagent pas encore de bénéfices, et n’en dégageront souvent pas avant plusieurs années ! Ils expliquent bien des mécanismes comme l’arbitrage, les OPA et les techniques développées par les patrons français pour se mettre à l’abri. Car ces derniers se méfient des marchés, prompts à sanctionner les dérives impériales (à la J2M) ou les erreurs de gestion. De fait, ce sont les cadres, et au premier chef les cadres dirigeants, qui font les frais des OPA — l’emploi ouvrier étant, quant à lui, rationalisé en continu sous la pression de la concurrence. En vérité, les grands patrons français, qui sortent presque tous de l’ENA, n’aiment rien tant que l’économie dirigée… Apparue durant les Trente Glorieuses, l’économie dirigée est efficace dans un contexte de reconstruction et de rattrapage, mais elle montre vite ses limites quand la poursuite de la croissance implique l’innovation et le risque. La libéralisation financière initiée par Bérégovoy a refermé la parenthèse — avant guerre, la France était plus financiarisée encore qu’aujourd’hui. Mais, faute de fonds de pension, nous n’avons pas su devenir une société d’actionnaires ; nous sommes restés une société de créanciers, par définition allergiques au risque et à l’innovation, ce qui nuit à la croissance.
Le Grand Méchant Marché, Décyptage d’un fasntasme français, d’Augustin Landier et David Thesmar, Flammarion, janvier 2007, 15 euros.