Il y a des jours où l’actualité entre en collision. C’est le cas aujourd’hui où deux textes s’opposent magnifiquement : ceux de Robien et de Frackowiak. Le premier appelle les entreprises à réussir l’insertion sociale des élèves là où l’école échouerait. Le second nous invite à ne pas nous renier. Et son appel nous touche.
Pourtant il ne nous parait pas illicite que les entreprises participent à l’Ecole. Les professionnels sont étroitement associés à l’enseignement professionnel français. A l’étranger, on les voit au Royaume-Uni, dans les « academies » imaginées par T.Blair, ou dans l’Ecole du futur philadelphienne associées à des projets éducatifs innovants. Dans les exemples mentionnés par le dossier de presse ministériel, certaines collaborations avec les entreprises semblent exemplaires. La question est plutôt de savoir quel doit être leur rôle, quelles valeurs l’Ecole doit transmettre et finalement quelle représentation les enseignants se font de leur métier.
Au-delà du cynisme de sa phrase sur l’apprentissage junior, ce que peut éveiller le texte de Robien chez les enseignants c’est le sentiment de dépossession, qui est déjà ressenti vivement dans les établissements. C’est un sentiment ancien qui alimente le « malaise enseignant ». Il est avivé par les déclarations ministérielles, par exemple quand le ministre dresse les parents contre les instituteurs à propos de la lecture, ou contre les profs de français à propos de la grammaire.
Ce sentiment a à voir avec la multiplication d’injonctions qui sont adressées aux enseignants depuis plusieurs années et dont la moindre n’est pas d’exiger une capacité réflexive des enseignants pour ensuite dévaluer leur métier. Ainsi se renforce depuis des années un sentiment de prolétarisation mis en évidence par plusieurs études (celles de C.Maroy par exemple) qui n’est pas pour rien dans les blocages et les résistances au changement des enseignants.
Inversement, Pierre Frackowiak parle tout de suite au coeur des enseignants. Quand il évoque « la place de l’intelligence » et « l’émancipation » apportée par l’Ecole il touche à l’identité des enseignants qui font ce métier pour transmettre des savoirs, pour partager un certain émerveillement avec les élèves.
La limite de ce modèle c’est qu’il pourrait oublier la dimension socialisante du métier. L’enseignant est aussi celui qui doit se soucier de l’insertion sociale des élèves. Avec la démocratisation de l’enseignement ce rôle prend une place toujours croissante.
On ne réconciliera certainement pas l’école de Robien et celle de Frackowiak et ce n’est pas le sens de ce paragraphe. On appellera avec ce dernier à ce que se construise un nouveau modèle d’école et à ce que s’institue un réel débat sur la professionnalisation des enseignants.