« La puissance créatrice de la grammaire distribue des rôles aux êtres et aux objets que l’on évoque, même si – et surtout si – le monde ne nous les a jamais présentés ainsi ; elle pare les êtres et les objets de certaines qualités même si – et surtout si – nos yeux ne nous les ont jamais montrés ainsi. Si toutes les langues possèdent cette capacité d’aller plus loin que l’oeil, c’est parce qu’elles exercent sur les mots un pouvoir grammatical qui ne se contente pas de mettre fidèlement en scène le spectacle du monde. Ce pouvoir grammatical est libérateur : il permet à l’homme d’imposer son intelligence au monde ». Ces quelques lignes donnent le ton du rapport sur l’enseignement de la grammaire, remis par Alain Bentolila au ministre de l’éducation nationale le 29 novembre. On nage dans la poésie de style ancien.
Sous les dorures du ministère, trois messieurs, quatre avec le ministre, font étalage de belles formules, d’érudition et de bons mots. Pour une fois on ne s’ennuie pas rue de Grenelle et la presse rigole bien.
Pourtant tout va mal « L’Education nationale ne dispose pas aujourd’hui des bons moyens pour enseigner la grammaire aux enfants » affirme d’emblée le ministre mettant en cause « certains pédagogistes », un mot prononcé pour la première fois en conférence de presse. « Et qui en a souffert le plus ? Les élèves les plus fragiles, les moins aidés ! ». Quels salauds ces pédagogistes !
Heureusement tout va rentrer dans l’ordre. « Ici et là on a mis la charrue avant les boeufs » écrit A. Bentolila évoquant la France d’antan. « Nous devons revenir à un peu plus de bon sens » précise Robien. Comment ? Par « la simplification du langage et surtout des programmes ». « Nous voulons certes, un apprentissage qui suive une progression logique allant du plus simple au plus complexe et du plus fréquent au plus rare. Mais dans le cadre de cette progression soigneusement définie, chaque leçon de grammaire s’articulera sur l’observation de phrases précisément choisies… Une leçon de grammaire doit être conduite dans l’esprit des « leçons de choses ». ». Et nous revoilà sur les bancs de l’école, en blouse grise…
Pourquoi tout cela ? Car « cette terminologie a rompu les liens entre les parents et les enfants. Les parents et les grands-parents ne retrouvent plus du tout la grammaire qu’ils ont apprise. La science évolue, mais la grammaire, c’est surtout un patrimoine » Adieu Barthes, adieu Todorov, adieu Genette, adieu les affreux structuralistes ! Adieu les linguistes ! La vraie grammaire, celle d’Edouard B. va revenir au pays du B.A. BA.
On entend le tic tac de l’horloge. Retour à l’ordre millénaire, à la transmission de génération en génération du même savoir, au pas lent des savoirs laborieusement grattés, de façon « progressive ». « La grammaire c’est des efforts, parce que par les efforts on gagne la liberté » ajoute E. Orsenna. « Ne vous leurrez pas, ce n’est pas un texte que nous avons fait sur un coin de table » croit bon de préciser A. Bentolila…
Nul n’en doute. Le rapport sur la grammaire serait un répertoire des lieux communs conservateurs s’il n’était pas d’abord un soufflet asséné à la face des enseignants.
Car de l’enseignement de la grammaire finalement il est peu question si ce n’est pour ébaucher des recommandations qui sont dans la logique des programmes existants. C’est le conseiller du ministre qui nous ramène dans le réel. « La grammaire de texte, celle du collège, ne disparaît pas. Il n’y aura pas de retour en arrière ». Il y a au collège 2 heures d’Observation réfléchie de la langue par semaine. Il y aura 2 heures ou 2 heures et demie de grammaire. Le combat politique a eu son heure. La gestion aussi.