L’affaire de la vidéo pirate continue à susciter des remous chez les enseignants, du courrier au Café, du travail pour les vidéastes amateurs ou professionnels… C’est la preuve que cette affaire ne soulève pas que de la colère. Elle pose également des questions de fond qui méritent qu’on s’y attarde. Et d’abord celle du travail enseignant que nous évoquions hier en ces termes : » Faut-il couper court au débat sur le travail enseignant ? Nous ne le pensons pas ». Reprenons donc.
A vrai dire c’est une vieille question. Qui se rappelle qu’en 1982, le rapport Legrand préconisait une généralisation du tutorat au collège ? Chaque professeur aurait eu en charge une dizaine d’élèves pour qui il aurait été l’adulte référent dans l’établissement, qu’il aurait pu soutenir et qui aurait également été l’interface entre l’Ecole et les parents. A l’époque cette réforme, lancée par la gauche, avait été écartée sous la pression de la droite qui y voyait l’emprise de l’Etat sur les enfants, une quasi soviétisation des esprits…
Or cette question de l’accompagnement des enfants revient en tête des priorités éducatives. Pas seulement parce que les TIC sont en train de déplacer les frontières de la classe et du temps scolaire. Pas seulement parce qu’elle correspond à un besoin des familles, qui dépensent des fortunes en accompagnement scolaire, et à une nécessité pour les nombreux enfants en difficulté. Mais aussi parce que le socle commun et la loi Fillon introduisent une notion de personnalisation de l’enseignement. Celle-ci implique fatalement des adaptations dans le fonctionnement des établissements. Personnaliser, différencier : deux formules qu’on retrouve également dans les recommandations du HCE qui appellent à professionnaliser la formation des enseignants. S’ils doivent toujours exceller dans leur discipline, le rapport du HCE leur demande de maîtriser 9 autres compétences parmi lesquelles prendre en compte la diversité des élèves, gérer une classe, travailler en équipe, coopérer avec les partenaires de l’Ecole. Le temps semble donc venu pour l’Ecole d’une redéfinition du métier d’enseignant. C’est bien ce que veut dire « professionnalisation ».
Evidemment elle se heurte à la conception traditionnelle du métier qui limite le rôle du professeur à la transmission de connaissances et valorise l’identité disciplinaire. Celle-ci est en cohérence avec une certaine vision de l’élève, issue du XIXème siècle, comme un apprenant indifférencié, un futur citoyen noyé dans l’égalité républicaine. Or des travaux déjà un peu anciens ont attaqué le mythe. André Chervel a pu montrer que les disciplines se sont constituées en dehors des savoirs savants, qui souvent ne se reconnaissent pas dans les savoirs scolaires, et en lien avec les pratiques d’enseignement. Et l’équité républicaine n’est plus forcément perçue dans la stricte égalité. Là aussi la gauche a innové en instaurant les zep et l’idée de « donner plus » pour assurer l’égalité.
Il y a à peu près un mois, nous avions montré comment certains établissements organisent déjà autrement les cours et les rapports entre profs et élèves. Ainsi au « lycée du matin » mis en place au lycée du Mirail. Dans cet établissement les cours s’arrêtent à 14 heures. L’après-midi, les élèves s’inscrivent à des activités diverses (danse, sport, théâtre, auto-école, théâtre, photo etc.) ou ont accès à leurs professeurs en « libre-service » pour répondre à leurs questions. D’une part le dispositif n’a pas fait chuter le niveau scolaire des élèves, d’autre part, selon un professeur de l’établissement « les élèves marquent leur intérêt pour des ouvertures culturelles diverses (cinéma, théâtre, photo, danses.), caritatives et humanitaires (collectes alimentaires, visites dans les hôpitaux.). Ils participent de plus en plus nombreux aux ateliers. L’utilisation des espaces pédagogiques (CDI, classes, salles vidéo, salle multimédia.) est beaucoup mieux rentabilisée ». On trouverait facilement d’autres expériences d’encadrement des enfants qui se sont installées ces dernières années dans les établissements.
Dans la fameuse vidéo Ségolène Royal propose de négocier un compromis avec les syndicats pour ensuite avancer un programme et faire évoluer l’Ecole. Ce n’est pas forcément une mauvaise démarche.
Rappel : la productivité et l’école