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Ce n'est pas parce que les inégalités apparaissent dès la maternelle que la maternelle les crée Photo CP

« L’avenir des enfants se joue avant 6 ans » titre Le Figaro du 9 novembre. « La réussite scolaire dépend des classes » affirme avec malice le quotidien 20 Minutes. Avec leurs préoccupations éditoriales propres, les deux journaux réagissent à une étude publiée par l’Insee dans son « Portrait social » de la France.

Selon Jean-Paul Caille et Fabienne Rosenwald (Depp – MEN), si  » les deux tiers des enfants d’ouvriers non qualifiés atteignent aujourd’hui la sixième à l’heure ou en avance alors que, parmi les élèves entrés au CP en 1978, moins de la moitié d’entre eux ont connu un tel parcours… Reste qu’au-delà de ces évolutions, les disparités sociales demeurent importantes ». Selon eux, « le niveau de compétences à l’entrée au CP est lui-même le produit de différents facteurs… De fait, les chances de parvenir en sixième à l’heure ou en avance sont deux fois plus liées à ce niveau initial qu’à l’origine sociale ou au niveau d’études des parents. Ce lien apparaît dès le début de la scolarité élémentaire mais il s’intensifie au fur et à mesure de son avancement… De toutes les caractéristiques de l’élève prises en compte, c’est ce niveau à l’entrée au CP qui pèse le plus fortement sur les chances de parvenir sans redoublement en sixième : son impact est cinq fois plus fort que celui du diplôme de la mère ou de l’origine sociale ».

Ainsi l’Ecole, injuste socialement, accentuerait l’inégalité.  » Les disparités sociales en fin d’école élémentaire résultent donc de la conjugaison de deux phénomènes. D’une part, les performances scolaires des écoliers sont très liées à leur degré de compétences à l’entrée au CP, lui-même variable selon le milieu social d’origine ; d’autre part, à niveau initial comparable, les enfants originaires des milieux sociaux les plus favorisés ou ceux dont les parents sont les plus diplômés progressent davantage, si bien que les inégalités sociales se creusent au fur et à mesure de l’avancée dans la scolarité élémentaire ».

Incontestable par ses données, cette étude amène à réfléchir aux politiques à mettre en oeuvre pour avoir une école plus juste socialement.

Ce qui passe d’abord par une relecture des résultats. Car, quand elle lie le résultat scolaire au niveau à l’entrée en C.P., elle affirme que  » le niveau de compétences…est lui-même le produit de différents facteurs ». Ce qui renvoie la genèse des inégalités jusqu’à l’entrée même à l’Ecole.

C’est d’ailleurs ce que fait Marie Duru-Bellat, dans l’ouvrage Améliorer l’école (PUF), quand elle déclare que « ces inégalités sont déjà en germe dès l’entrée à l’école maternelle ». Alors l’avenir des enfants se joue-t-il avant 3 ans ? Pour M. Duru-Bellat, « le développement (de l’enfant) est social dès la première heure, avec pour conséquences que les pratiques éducatives parentales exercent une forte influence. Or ces dernières portent la marque des inégalités matérielles ou culturelles qui caractérisent les familles… Ces écarts sociaux ne sont pas atténués par la fréquentation de l’école maternelle, car celle-ci s’avère bénéfique pour tous les enfants, quel que soit leur milieu social ». Ce sont donc les choix et les stratégies familiales qui creuseraient les écarts sociaux. Marie Duru-Bellat a beau jeu de rappeler que, au secondaire, « les enfants de milieu populaire visent moins haut que leurs camarades de milieu plus favorisé » et que « les élèves de milieu populaire fréquentent les (établissements) les moins efficaces ». Ce qui l’amène logiquement à proposer, pour lutter contre les inégalités, « des politiques dépassant le cadre de l’école, pour rendre les familles moins inégales ».

Doit-on pour autant totalement dédouaner l’Ecole et abandonner toute politique scolaire ? L’Ecole peut au moins agir sur ses propres établissements pour diminuer les inégalités d’accès. Elle peut lutter contre les ghettos scolaires, diminuer la sélection qui frappe certaines filières et en éloigne les couches populaires, mettre en place des politiques d’éducation prioritaire plus efficaces. Mieux connaître les inégalités sociales à l’Ecole ne veut pas dire s’y soumettre avec fatalisme.