Imaginer des cadres collectifs qui respectent les besoins individuels, est-ce une mission impossible ?
Emmanuel Guichardaz, responsable AHS du SNUipp, et Marie-Claude Courteix Photo Café pédagogique |
La loi du 11 février sur le handicap a des effets importants sur le champ de l’éducation, même si elle a un champ d’application très large, concernant plus de 20 ministères. Elle a suscité plus de deux ans de débats, autant liés à des enjeux de société que des questions de financements. Notre pays était marqué par une tradition de « protection » des personnes handicapées, de plus en plus divergente de l’évolution des législations internationales. Déjà, la loi de 75 cherchait à donner des droits et une dignité aux personnes handicapées, et les associations de personnes handicapées ont fait pression pour que ce droit soit réellement effectif.
La loi définit désormais une notion de « compensation » de handicap, dont le but est de permettre au citoyen handicapé de décider de sa vie hors d’un milieu « protégé ». Elle doit rendre possible une participation effective à la vie sociale, en garantissant l’accessibilité de tous, partout. Elle reconnaît donc une vulnérabilité particulière, mais entend substituer une logique de service à une logique administrative. La « maison départementale des personnes handicapées » en est l’incarnation, sous la forme d’un GIP (groupement d’intérêt public), régulé par un organisme national, la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), établissement public, qui répartit les crédits entre les MDPH et les réseaux à partir d’un système d’information qui lui fait remonter les données.
La loi de 2002 définit le handicap, quand la loi de 1975 permettait à la CDES (Commission départementale de l’Education Spécialisée) une marge de manœuvre pour prendre en compte la spécificité de chaque situation. C’est désormais un choix radicalement différent, qui élargit largement la notion : un handicap, c’est la conséquence d’un trouble de la santé. C’est très large, y compris dans le domaine psychique. Dès qu’on peut prouver que cette maladie n’évolue pas, on va pouvoir prétendre à compensation.
Agir sur l’environnement
Prendre en charge la compensation, c’est donc pour les collectivités la charge d’agir sur l’environnement. La loi prévoit deux instances locales : l’instance d’évaluation (« équipe pluridisciplinaire »), confiée à des professionnels, et l’instance de décision, composée de décideurs, y compris les associations de parents (CDAPH).
Si l’équipe pluridisciplinaire est décisionnaire pour l’évaluation du handicap et le plan personnalisé de scolarisation, la CDAPH, elle, définit le montant de la prestation de compensation et se prononce sur l’orientation de la personne et les mesures qui permettront d’assurer son orientation professionnelle (accompagnement). Les représentants du département y détiennent la moitié des postes, les parents un quart. Les représentants de l’Etat, largement majoritaires dans les anciennes commission, sont réduits à la portion congrue. Cette recomposition a évidemment de singuliers effets : de grandes disparités dans l’organisation du fonctionnement des MDPH, selon les départements.
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Concernant l’Ecole
Deux procédures concernent exclusivement l’école :
– Personne d’autre que les parents ne peut saisir la MDPH. L’Ecole doit donc convaincre.
– La fonction de conciliation : la CDAPH décide, mais en cas de contestation, la famille peut demander une conciliation pour rapprocher les points de vue, avec l’aide d’une « personne qualifiée ». A terme, cette fonction pourrait être utile pour dénouer des situations compliquées…
Ruptures profondes
Cette nouvelle loi remet donc profondément en cause l’organisation de l’Education nationale, ses institutions, le « détour ségrégatif » qui entendait protéger en séparant. On n’est plus dans des filières, mais dans une individualisation visant à organiser des » parcours de vie « , ce qui pose problème à un système qui catégorise pour trier. Notre système s’était composé à partir de mosaïques d’initiatives locales, associatives, qui permettait dans certains lieux certaines solutions, mais les interdisait ailleurs, selon les ressources disponibles.
Cette évolution va nécessairement amener l’Education nationale à ne plus confondre ce qui relève de l’aide aux enfants en difficultés et ce qui concerne les élèves « handicapés », victimes de « maladies ». L’ambiguïté était née après la seconde guerre mondiale dans le concept d’inadaptation scolaire qui vole ici en éclat. Pour que l’enfant bénéficie de la loi de 2005, il faudra faire la preuve d’un trouble grave d’apprentissage (dys… sévère)
Cela va impliquer, dans le premier degré, de nouvelles modalités pour examiner les difficultés scolaires : la CLIS ou l’UPI ne peut plus être la solution pour les élèves en « difficulté scolaire ».
La place des enseignants référents
Restant sous la responsabilité directe de l’inspecteur d’académie, les enseignants référents visent à faciliter le travail de la MDPH, coordonnés par l’inspecteur spécialisé. Toute la difficulté de leur travail va bien être dans la coordination avec tous les acteurs de la mise en œuvre du projet de scolarisation : directeurs d’école, IEN, chefs d’établissements…
Les enjeux pour les prochaines années
La loi de 2005 donne le droit à tous les enfants d’être inscrits dans les écoles, mais ne dit pas que tous vont être effectivement y être scolarisés. La place des établissements médico-sociaux n’est pas mise en cause, avec des scolarisations à temps partiel ou à temps plein. La renégociation des conventions de ces établissements devra être nécessairement forte pour construire leurs rapports avec les écoles « ordinaires », si on veut espérer une application raisonnée de la loi.
Garantir l’accessibilité de l’Ecole, c’est faire la part de l’accessibilité au savoir (du domaine de l’enseignant) et de l’adaptation des conditions de vie de l’élève handicapé (par exemple par l’AVS qui ne peut se substituer aux professionnels). Et si on veut éviter que les parents demandent une scolarisation ordinaire sans aménagement, il va nous falloir expliciter l’offre réelle disponible (CLIS, UPI) si nous voulons qu’ils comprennent l’intérêt que cela peut avoir pour eux. Cela implique de faire fonctionner ces classes comme des dispositifs, et non comme des filières…
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Et la grande difficulté scolaire ?
Nous devons nous donner les moyens d’identifier les besoins de ces élèves, qui ne relèvent pas du handicap, par un accompagnement culturel, social, cognitif, en donnant du sens au concept d’élève à besoin éducatif particulier, en précisant les particularités des difficultés. L’angle d’attaque de cette question, c’est l’analyse des erreurs, des conduites de non-réponses… Cela signifie repenser les actions de prévention de première instance ou spécialisées, la place des RASED.
Pour ma part, je pense qu’il faut proposer dans la classe des réponses personnalisées dans un cadre collectif, angle de travail essentiel pour l’école d’aujourd’hui. Il faut aider les enseignants à faire une place dans le fonctionnement de la classe, nécessairement collectif, à la différenciation. Même si on avait 4 élèves par classe, on ne pourrait mener en même temps quatre projets individuels…
La formation a évidemment un rôle fondamental : formation de personnes-ressources, mais aussi actions d’aides négociées sur le terrain, au plus près de l’établissement scolaire.
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Les réactions de la salle
Quelle que soit la clarté du propos de l’intervenante, la réaction de la salle fut houleuse : si nombre de réactions insistèrent sur leur volonté d’aller dans le sens de la loi, les contraintes de terrain, le manque de pilotage local fusèrent : quelle place pour les RASED ? Quelles priorités de travail pour des équipes déjà dans l’incapacité de répondre aux sollicitations des enseignants pour les élèves en difficulté ? Que faire sans AVS, ou quand c’est un EVS qui est recruté par l’administration pour accompagner les élèves handicapés dans les classes ? Quelle place pour les circonscriptions dans la régulation des difficultés ? Comment les IEN-ASH vont-ils pouvoir faire face à toutes leurs missions s’il leur revient la charge de réguler tous les dossiers traités par les enseignants référents ?
Autant de questions pour lesquelles les réponses dépendent souvent des pilotages locaux, très différents d’un département à l’autre, ce qui laisse craindre de nombreuses difficultés ingérables sur le terrain, selon les auditeurs présents…
Les propos retranscrits ici n’ont pas été relus par leurs auteurs.
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- Marie-Claude Courteix : Intégrer les enfants handicapés, mission impossible ?
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- Claudine Garcia-Debanc : Enseigner l’ORL, une opposition entre démarche active et mémorisation ?
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Reportage par P. Picard – Publication le 1er novembre 2006