Oui, au sein de notre système éducatif, le collège concentre de nombreuses difficultés. Parmi elles figure le fait que certains élèves, par leur comportement, parce qu’ils ont peu ou mal intégré les règles de la vie scolaire posent de réels problèmes au sein des établissements, c’est une réalité. Mais, rappelons la complexité de ces questions, la multitude de facteurs en jeu dans ces constats, et demandons-nous si la note de vie scolaire peut être une réponse à ces difficultés.
Le collège est un établissement d’éducation. Notre insistance sur ce mot a pour objectif de souligner ce qu’il implique, c’est-à-dire un processus inscrit dans le temps, une évolution, un « mouvement vers ». Et ce qu’il n’implique pas : sa réduction exclusive à un résultat, à « un produit fini » du processus d’éducation en quelque sorte. Eduquer ce n’est pas avoir fini d’éduquer. Tout cela paraît bien général, sans rapport avec la note de vie scolaire diront certains. Et pourtant. « La civilisation commencera quand les moyens compteront autant que le but » disait Léon Werth.
Il en est de même en éducation où les moyens utilisés se doivent d’être en adéquation absolue sur le plan éthique avec le but poursuivi. Quelle éducation à la citoyenneté, quel apprentissage de la démocratie a-t-on la prétention de faire si on ne met pas en oeuvre, si on ne fait pas vivre quotidiennement dans les établissements ces principes, si on se contente de tenir des discours sur ces questions, pire si l’action que l’on mène, les décisions que l’on prend, les mesures que l’on applique ne sont pas en conformité avec ces mêmes principes ?
La note de vie scolaire n’est pas l’un de ces moyens en adéquation absolue avec le but poursuivi. Et la première raison de cette impossibilité est que l’éducation à la citoyenneté, « l’apprentissage de comportements civiques et responsables » ne peuvent pas passer par des dispositions contraires aux grands principes du droit ni à d’autres textes en vigueur à l’Education Nationale.
Revenons un instant à la circulaire N°2006-105 du 23-6-2006 qui précise les modalités d’application d’une note de vie scolaire pour tous les élèves de la 6ème à la 3ème, note instituée par la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 .
« L’apprentissage de la civilité et l’adoption de comportements civiques et responsables constituent des enjeux majeurs pour le système éducatif. La note de vie scolaire s’inscrit dans cette démarche éducative qui concerne toute la scolarité au collège. Elle devient une composante à part entière de l’évaluation des élèves, y compris pour l’obtention du diplôme national du brevet. (…) Un barème définit les critères objectifs en fonction desquels les points sont attribués (…) Il doit prendre en compte l’assiduité de l’élève et son respect des dispositions du règlement intérieur dans des proportions égales.
Ainsi, la note de vie scolaire doit évaluer le respect des dispositions du règlement intérieur, lequel répertorie entre autres choses l’ensemble des sanctions applicables aux élèves en cas de non respect des règles qu’il édicte : devoir supplémentaire, retenue, exclusion temporaire … Ajouter à ces sanctions une note de vie scolaire pénalisante, c’est pratiquer la double peine.
De la même manière, en ce qui concerne l’assiduité, des procédures existent déjà en cas de non respect de cette obligation (avertissement assiduité/ponctualité sur le bulletin, signalement à l’Inspection Académique, suspension des prestations familiales).
Les problèmes graves d’assiduité que nous avons rencontrés depuis que nous enseignons ont toujours été le signe d’un dysfonctionnement d’ordre familial, social, psychologique … . Qui peut prétendre que la note de vie scolaire est une réponse adéquate à ces situations ?
Est-il par ailleurs nécessaire de rappeler que l’obligation d’assiduité est liée à l’exercice effectif d’un droit fondamental ? C’est bien pour garantir le droit à la scolarité jusqu’à 16 ans – droit certes restreint par certaines dispositions de la loi dite de « L’égalité des chances » – que le législateur a donné aux parents le devoir de scolariser leurs enfants. »Valoriser le respect du devoir d’assiduité », ainsi que le demande la circulaire dans le paragraphe intitulé « l’assiduité de l’élève », revient à transférer à l’élève l’intégralité d’une responsabilité qui, du fait de son statut de mineur, ne lui incombe qu’en partie. C’est aussi évaluer ce qui se passe à l’extérieur de l’école, dans la famille.
Puisqu’elle utilise le même outil – la note – pour l’une comme pour l’autre, la note de vie scolaire mêle l’évaluation des comportements et l’évaluation des compétences et connaissances scolaires. Ce faisant, elle constitue un net recul par rapport aux avancées obtenues sur le terrain de la clarification des critères d’évaluation des élèves et elle contredit la circulaire 2000-105 de juillet 2000 pourtant toujours en vigueur qui rappelle : «Il convient également de distinguer soigneusement les punitions relatives au comportement des élèves de l’évaluation de leur travail personnel. Ainsi n’est-il pas permis de baisser la note d’un devoir en raison du comportement d’un élève ou d’une absence injustifiée. »
On entend dire que cette note n’est en rien contradictoire avec cette distinction puisque justement elle apparaîtra sur le bulletin scolaire de manière bien distincte. Cependant, quand un élève de 3ème a une note de vie scolaire inférieure à la moyenne et qu’il doit rattraper des points dans les disciplines scolaires pour obtenir son brevet des collèges, peut-on continuer à affirmer qu’il n’y a pas de confusion entre l’évaluation des comportements et l’évaluation des connaissances ? Qui garantira que, dans le cadre des procédures d’affectation en lycée professionnel, la note de vie scolaire ne deviendra pas un outil discriminatoire ? Nous ne nous attarderons pas sur le lien qui existe entre bourse au mérite et obtention d’une mention au brevet des collèges…
Enfin, n’oublions pas, même si l’écart entre les pratiques et les recommandations de la circulaire de juillet 2000 est loin d’avoir été résorbé, que la clarification des critères d’évaluation s’est imposée et s’impose à l’évidence parce que noter les comportements c’est instaurer une évaluation de la qualité de la personne forcément génératrice de violences.
L’incompatibilité de la note de vie scolaire avec l’exigence d’éthique qui doit caractériser une démarche éducative ne s’arrête pas là.
« L’engagement de l’élève (la participation de l’élève à la vie de l’établissement ou aux activités organisées ou reconnues par l’établissement) peut être valorisé par l’attribution de points supplémentaires. Il en est de même, le cas échéant, de l’obtention des attestations scolaires de sécurité routière et de l’attestation de formation aux premiers secours. L’attribution de points supplémentaires ne saurait cependant avoir de caractère automatique. Elle demeure soumise à l’appréciation du notateur qui peut vérifier la qualité de l’engagement de l’élève. »
On reconnaît certes à l’élève le droit de ne pas participer aux activités du Foyer Socio-Educatif, de ne pas être délégué de classe, de ne pas … Cependant, en valorisant une telle implication, on pénalise de fait ceux qui ne s’impliquent pas de cette manière.
La circulaire ne s’y trompe pas : « l’engagement de l’élève peut être valorisé. Il en est de même, le cas échéant, de l’obtention des attestations… L’attribution de points supplémentaires ne saurait cependant avoir de caractère automatique. Elle demeure soumise à l’appréciation du notateur qui peut vérifier la qualité de l’engagement de l’élève. » Que d’inquiétudes le texte lui-même ne manifeste-t-il pas face aux risques évidents – et déjà constatés – de dérapages dans la prise en compte et la définition de l’engagement de l’élève. La conception de l’engagement de l’élève qui apparaît en filigrane valorise sa visibilité plutôt que son contenu et établit un lien évident entre cet engagement et les bénéfices que l’élève peut en tirer. Quel apprentissage du sens de l’intérêt général !
On comprend mieux pourquoi l’objectif initial annoncé par la circulaire est « l’apprentissage de la civilité » – civilité : n.f, vieilli, observation des convenances, des bonnes manières en usage dans un groupe social – et non celui de la citoyenneté. Et qu’on ne nous dise pas que ce glissement sémantique est sans conséquence ni arrière-pensées.
Elisabeth Bruchet,
professeur de français, collège Georges Brassens à Décines (69), établissement classé ZEP/REP
Sylvie Martin-Dametto,
professeur de mathématiques au collège Georges Brassens à Décines (69)
Annie-Claude Pelletier,
professeur d’anglais au collège de Tournus (71)
Notes
1 Léon Werth, Déposition, Journal 1940 – 1944, Editions Viviane Hamy
2 Toutes les citations de la circulaire n°2006-105 relatives à la note de vie scolaire apparaissent en italique