L’éviction de Roland Goigoux suscite un vif émoi dans le monde éducatif (et jusqu’au blog du Café !) et nous sommes bien obligés de revenir sur ce sujet.
Rappelons les faits : Roland Goigoux, professeur d’Université en Sciences de l’Éducation à l’IUFM d’Auvergne, assurait depuis 10 ans la formation sur l’enseignement de la lecture des inspecteurs de l’éducation nationale organisée par l’Ecole supérieure de l’éducation nationale (ESEN). Il vient d’en être écarté. Jean David, directeur de l’Esen, justifie sa décision en mettant en cause R. Goigoux : « pour la formation des cadres il est normal que les intervenants fassent preuve de la plus grande loyauté envers le ministre ». Il lui reproche « des positions pas toujours favorables au ministre ». Pour Roland Goigoux c’est Gilles de Robien qui a demandé sa tête.
Les positions sur l’apprentissage de la lecture de Roland Goigoux sont exposées dans un petit livre, « Apprendre à lire à l’école », qu’il vient de publier, avec Sylvie Cèbe, aux éditions Retz. Que dit Roland Goigoux ? « Si la science ne tranche pas (sur la méthode d’apprentissage), les programmes, eux, ne laissent pas le choix aux enseignants. Leur dernière version (2006) stipule sans ambiguïté qu’il faut recourir aux deux procédures, plaçant « hors jeu » et la méthode synthétique qui exclut l’analyse, et la méthode globale qui exclut la synthèse. Il ne faut pas croire ceux qui affirment que la méthode syllabique est préconisée. Ce sont les approches combinant analyse et synthèse que le ministre recommande aujourd’hui. L’arrêté du 24 mars 2006, signé de sa main, exige, en effet, « le recours à deux types d’approches complémentaires pour identifier les mots écrits ». Un peu plus loin il estime que cet arrêté est « heureux ».
C’est dire que l’accusation de « manque de loyauté » mérite d’être regardée de plus près. L’ouvrage de R. Goigoux et S. Cèbe s’appuie sur le texte de mars 2006. Il le rend accessible aux parents et lui rend hommage. Ce faisant, il montre l’écart entre les propos de Gilles de Robien qui, sur les médias, affirme imposer le retour à la méthode syllabique, et le texte officiel du ministre. Cette position, le ministre de l’éducation nationale ne peut l’assumer puisque la nocivité de la méthode traditionnelle syllabique a été établie par la recherche et dans les propres publications ministérielles.
Ce n’est pas la première fois qu’un chercheur est sanctionné pour avoir véhiculé des idées entrant en conflit avec une position politique. On se souvient, par exemple, de l’ouvrage de T. Piketty, directeur d’études à l’EHESS, retiré de la vente 24 heures après sa publication en avril 2006. Il défendait une thèse intéressante, mais contradictoire aux choix ministériels, sur l’éducation prioritaire.
Cependant, la décision qui touche R. Goigoux est particulièrement injustifiée. D’une part parce qu’elle jette le discrédit sur ses travaux et met en cause son travail scientifique. C’est un déni dangereux pour la crédibilité du travail des chercheurs et surtout pour la qualité de la formation des inspecteurs et des cadres de l’éducation nationale. Ensuite parce que l’apprentissage de la lecture est un sujet sérieux qui devrait être à l’abri du combat politique. Enfin parce que cette sanction aggrave le trouble jeté dans une institution scolaire qui mériterait d’être soutenue par son ministre. Elle vise à mettre fin au débat professionnel alors que celui-ci est, toujours, nécessaire. Elle symbolise le choix du ministre de soumettre l’Ecole et ses acteurs à l’idéologie au lieu de lui donner force et cohérence.
L’Expresso du 22/09/06
Article de R. Goigoux dans le Café
Sur l’ouvrage de T. Piketty