Traditionnellement, l’éditorial de rentrée du Café est optimiste. En septembre 2004 nous vous avons parlé des ENT. Un an plus tard, des salles informatique et de l’avancée des usages. Nous aurions bien aimé continuer sur cette voie.
Malheureusement l’actualité nous oblige à changer de ton. Il est maintenant clair que l’Ecole est captive d’un combat politique sans précédent.
Après des mois d’affrontements sur l’apprentissage de la lecture et la rédaction d’une circulaire qui confirmait les orientations de 2002, tout pouvait donner à penser qu’on avait passé le cap. Erreur. Bien qu’ayant signé ce texte somme toute très raisonnable, le ministre de l’éducation nationale utilise à nouveau avec habileté la querelle des méthodes. Il s’est trouvé de nouveaux chevaux de bataille. Il y a eu d’abord, au nom de la lutte contre l’absentéisme, la responsabilisation des familles avec le « contrat parental ». Début septembre, il a annoncé son intention de ramener la tradition dans l’enseignement du calcul et de la grammaire. Une semaine plus tard, voilà de nouveaux thèmes : les méthodes de prévention de la violence scolaire puis « l’assouplissement » de la carte scolaire. Avec un certain succès, l’Ecole est devenue le laboratoire d’un nouveau projet de société pour la droite française.
L’audience de ce discours tient d’abord aux faiblesses réelles de l’Ecole. On a raison de dénoncer l’éclatement du système éducatif, entre établissements prestigieux et ghettos sociaux, et la montée des inégalités sociales et ethniques à l’école. Pire encore, l’Ecole semble de moins en moins capable d’intégrer socialement les jeunes. Aujourd’hui, « la question de la valorisation des titres scolaires pose des difficultés radicales » (Louis Chauvel).
Cependant, au vu de ce qu’on nous propose (apparemment des vieilles recettes), on pourrait contester le mot de « laboratoire ». Pourtant un élément nouveau est au centre du discours gouvernemental, c’est la personnalisation. On le retrouve aussi bien dans la solution proposée pour lutter contre l’échec scolaire (les programmes personnalisés de réussite éducative voire la débrouille personnelle « au mérite ») que dans le refus de la carte scolaire ou l’idée du contrat parental.
Cette personnalisation correspond à une demande réelle du public. Pour une publication de l’OCDE, « Personnaliser l’enseignement », « les pressions qui s’exercent en faveur de la personnalisation et l’écho favorable qu’elle rencontre dans un large éventail de services semblent être l’expression du gouffre qui s’est créé entre le public et les grandes organisations – publiques et privées ». Plus crûment, c’est ce qu’écrit aujourd’hui un lecteur sur le blog du Café. » Le jour où le choix des parents déterminera le service, bon nombre de faux problèmes dans l’éducation nationale disparaîtront. Par exemple, cette dispute sur la méthode d’apprentissage sur la lecture: que les enseignants appliquent différentes méthodes, que l’E.N. en mesure (par des tests calibrés) les performances d’année en année, et mettent cette information à disposition des parents, pour qu’ils optent pour cet enseignant ou un autre. Mettons les acteurs et leurs méthodes en concurrence: le client choisira » .
Comme il se trouve que les enseignants ne sont pas des marchandises et l’enseignement un processus de fabrication, il n’est sans doute pas utile de montrer que cette proposition est trompeuse. Mais on voit là à quel point la personnalisation peut être un leurre délétère. En effet, en répondant sans garde fou à cette demande sociale on ne peut que rendre l’Ecole davantage inégalitaire. L’Ecole « personnalisée » apportera davantage de moyens aux familles qui les demanderont, c’est-à-dire aux parents qui se soucient du capital culturel de leur enfant. C’est-à-dire finalement aux ménages favorisés. La recette a aussi l’avantage de déresponsabiliser la société en niant la réalité des inégalités sociales à l’Ecole. Pour les autres, et particulièrement les familles des enfants à problèmes, les dispositifs de surveillance et de « contrat de responsabilité parentale » sont en préparation…
Faut-il pour autant rejeter complètement l’idée de la personnalisation ? Je ne le crois pas. L’Ecole a évidemment tout à gagner à porter un intérêt personnel aux élèves. Disons qu’elle doit veiller à différencier. Elle tirera profit à se rapprocher des familles et à nouer de véritables contrats parentaux. C’est quelque chose qu’elle sait faire. Elle a même là une belle occasion de refonder l’institution.
Ce qui est véritablement en jeu, c’est la gestion du système et les rééquilibrages nécessaires. Plus l’Ecole ira vers la personnalisation plus elle devra faire un effort de gestion des moyens. Plus elle devra veiller à ce que davantage de moyens soient attribués aux élèves de milieu défavorisé. A cette condition la personnalisation pourrait servir le projet républicain.
François Jarraud
Le site de Louis Chauvel
http://louis.chauvel.free.fr/
Personnaliser l’enseignement
http://www.oecd.org/document/61/0,2340,fr_2649_37455_36169533_1_1_1_37455,00.html