« Un travail historique sans propriétaires et avec de nombreux et anonymes auteurs est quelque chose d’inimaginable pour notre culture professionnelle… Pourtant en quelques années, Wikipedia est devenu le plus important travail d’écriture historique en ligne, le plus lu de tous les travaux historiques en ligne et la plus importante ressource historique sur le web ». Dans un article du Journal of American History, Roy Rosenzweig, George Mason University, analyse l’impact de Wikipedia sur le rapport à l’histoire des Américains et des chercheurs.
Wikipedia est-il une bonne source historique ? Bien sûr, puisque tout le monde peut y écrire, l’encyclopédie en ligne brasse des erreurs parfois grossières, parfois issues du vandalisme. Et les efforts faits par l’encyclopédie pour y remédier n’arrangent pas toujours les choses. Ainsi R. Rosenzweig a beau jeu de montrer que les règles éditoriales élaborées par Wikipedia (chercher la neutralité, interdire les polémiques) renvoient à une conception arriérée, voire naïve, de l’Histoire. Cela encourage l’histoire la plus conventionnelle et la plus factuelle. Et c’est aggravé par l’absence de transparence dans les droits éditoriaux.
Wikipedia souffre aussi, selon R. Rosenzweig, de graves distorsions qui sont autant de fautes historiques. Les gens y écrivent sur les sujets qui les intéressent. Ainsi l’article sur le politicien Lyndon LaRouche compte deux fois plus de mots que celui sur Woodrow Wilson. Des personnages très secondaires ont de copieux articles dans Wikipedia alors que des pans entiers de l’histoire ne sont pas traités.
Faut-il condamner Wikipedia ? R. Rosenzweig ne le pense pas. « Les professeurs n’ont pas plus à craindre d’étudiants commençant un travail avec Wikipedia qu’avec n’importe quelle autre source classique. Ils ont beaucoup à craindre d’étudiants qui s’arrêteraient à Wikipedia » rappelle-t-il. Pour lui, Wikipedia s’oppose à la confiscation de l’Histoire par les états autoritaires, assure une liberté d’expression en Histoire et permet la construction d’une histoire populaire.
Alors les historiens doivent-ils seulement contempler le phénomène depuis l’Olympe universitaire ? Ce n’est pas l’avis de R. Rosenzweig. Pour lui Wikipedia offre un outil d’édition qui permet un retour sur investissement pour les citoyens. Puisqu’ils financent par leurs impôts l’édition historique pourquoi n’auraient-ils pas accès gratuitement au savoir historique ? Il invite donc les universitaires à s’emparer de l’outil et à construire collectivement un manuel d’histoire ou des recueils de documents historiques. Un beau projet qui pourrait se heurter à une des clauses éditoriales de Wikipedia : si les spécialistes sont officiellement bien venus, Wikipedia interdit les approches originales. Difficile de faire de l’Histoire sans historien.
Article du JAH
http://chnm.gmu.edu/resources/essays/d/42