« Heureusement, c’est bien le peuple qui tranchera ». Le 24 septembre, les citoyens du canton de Genève (Suisse) auront à se prononcer sur l’avenir de leur école. Une pétition signée par 28 000 citoyens a permis à la droite de provoquer un référendum (une « votation ») le 24 septembre sur l’organisation de l’école genevoise.
Deux thèses s’affrontent. Pour la droite genevoise (parti libéral, parti démocrate chrétien), fédérée dans l’Arle, « l’évolution de la société et des moeurs sert depuis quinze ans de prétexte à une innovation effrénée qui transforme l’école en un laboratoire d’expérimentation. Les réformes scolaires à répétition entravent l’acquisition des connaissances de base. La mission élémentaire de l’école primaire – apprendre à lire, à écrire et à compter – n’est pas efficacement assurée. L’idéologie qui inspire la rénovation de l’enseignement primaire est remise en question depuis longtemps. Elle consiste à inviter l’élève à découvrir et à «construire» les connaissances par lui-même et en interaction avec ses camarades. Les plus récentes études confirment les doutes émis sur cette méthode ». On aura reconnues les thèses des « anti-pédagogistes ». Ils demandent le rétablissement des notes, la suppression des cycles et le retour du redoublement. Ils revendiquent » une école qui instruise avant d’éduquer. Les maîtres y transmettent des connaissances pas à pas, des plus simples aux plus complexes ». Cette initiative demande l’abrogation d’une loi de rénovation de l’école, largement inspirée par les travaux de l’école de Genève (P. Perrenoud etc.), adoptée en 1994 et qui n’est encore que partiellement appliquée. Elle met en avant les mauvais résultats du système éducatif genevois.
Les partis de gauche, socialistes, verts etc., et le principal syndicat enseignant soutiennent une position inverse. Ainsi pour le ministre socialiste de l’éducation, Charles Beer, « Tout ne se joue pas sur la manière d’enseigner et d’évaluer. Il y a par exemple le nombre d’heures d’enseignement. On ne passe pas d’une semaine de cinq jours à quatre jours, comme l’a fait Genève, sans conséquences, même si cela n’explique pas tout… La question des moyens donnés à l’enseignement est aussi primordiale. Au début des années 1990, Genève consacrait davantage de ressources financières à son éducation que l’ensemble des autres cantons, aujourd’hui on est pratiquement en queue de peloton. Or, pendant la même période, notre canton a connu une forte croissance de la population, qui place Genève comme l’un des principaux pôles de croissance démographique d’Europe, une montée des inégalités et une augmentation importante de la pauvreté. Difficile de mesurer les effets de la rénovation dans ce contexte ».
A Genève, l’Ecole est devenue ouvertement le premier champ d’affrontement entre la droite et la gauche. En quelques années, on a vu la droite y construire un discours conservateur sur l’Ecole en puisant dans l’argumentaire des anti-pédagogues, quelle que soit leur origine. Ce message exploite à la fois la nostalgie d’une école mythique, la peur de l’avenir, la défense de la ségrégation sociale et des hiérarchies. Ce discours s’appuie sur une tendance encore plus forte des sociétés occidentales : une méfiance envers l’Etat et le collectif qui génère une forte demande de personnalisation des services publics.
On voit bien que cette évolution s’affirme également en France. C’est elle qui est à l’oeuvre dans la remédiation personnelle promise par les PPRE, dans l’expulsion des élèves à problèmes, dans l’apologie du mérite individuel et l’attribution de passe droits aux élèves méritants des zep. La petite coterie des réactionnaires de l’Ecole voit maintenant ses théories relayées dans l’appareil d’Etat. Elle s’invite et est mise en avant dans les meetings de la droite, par exemple lors de la dernière convention UMP. Le conservatisme éducatif et le conservatisme politique s’unissent sous nos yeux. Cette évolution ne peut qu’interpeller la gauche française : faut-il affronter la droite sur ce terrain ou le lui laisser ?