» Il résulte des études publiées et de l’audition publique des experts que la majorité des personnes souffrant à l’âge adulte d’une organisation de la personnalité à expression psychopathique a présenté des troubles des conduites pendant l’enfance et l’adolescence. Malgré les incertitudes, les données actuelles conduisent la Commission d’audition à préconiser des actions préventives précoces, assorties d’une offre de prise en charge individuelle lorsque cela est nécessaire. Même si la Commission d’audition est consciente du risque de stigmatisation inhérent à toute politique de repérage précoce, elle estime que le risque de laisser des enfants en souffrance sans proposition de prise en charge est largement plus important. Cependant, dès lors que ces troubles des conduites peuvent annoncer des difficultés ou impasses de développement, la Commission d’audition préconise une stratégie de repérage et de prévention non spécifique. Elle insiste sur le fait que le repérage n’a de sens que s’il est accompagné d’une offre de prise en charge ». Le vocabulaire s’est adouci depuis le rapport de l’Inserm, mais le rapport remis par la magistrate Nicole Maestracci à la Haute Autorité de Santé recommande lui aussi le repérage des enfants à problèmes.
A vrai dire ce n’est pas étonnant. Car, faute d’études, ce rapport s’appuie sur celui de l’Inserm qui intervient largement dans la bibliographie. Ainsi les statistiques sur la prévalence des troubles, les caractéristiques mêmes des troubles viennent de ce rapport qui lui-même sélectionnait parmi des études nord-américaines. Tout cela est d’ailleurs mentionné dans le rapport Maestracci : » les experts entendus ont confirmé qu’il n’existait pas d’autres données indexées et publiées que celles qui figurent dans l’expertise collective de l’Inserm sur les troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Les études publiées sont cependant toutes d’origine étrangère de sorte que, dans un contexte où l’environnement culturel paraît jouer un rôle important, les résultats doivent être transposés avec prudence ».
Mais cela n’empêche pas le rapport Maestracci de reprendre les thèses de l’Inserm. Ainsi dans la détection des enfants à « personnalité psychopathique » on retrouve cet inventaire qui fait frémir. Un enfant risque d’être classé psychopathe quand on détecte « chez le bébé, une agitation ou une passivité excessive, des troubles du sommeil, des troubles alimentaires, un retard staturo-pondéral; chez l’enfant des difficultés majeures à supporter des frustrations…, une prise d’autonomie précoce, un comportement destructif…; chez l’adolescent, des échecs scolaires, des troubles du sommeil, une marginalisation installée ». Le rapport égrène encore d’autres critères tout droit venus des sources américaines du rapport de l’Inserm : contester ce que disent les adultes, faire souvent l’école buissonnière, se lever en classe, remuer les mains ou les pieds, mentir, faire du charme, tricher, vivre en parasite (sic)… Bref on retrouve là aussi l’amalgame entre problèmes sociaux et médicaux. Comme les rapports Inserm et Bénisti, le rapport Maestracci analyse des faits sociaux comme des symptômes maladifs et n’hésite pas à envisager le fichage et le « suivi » d’un partie de la population. On retrouve là l’influence d’une école nord-américaine, hostile à la psychologie, qui vise le dépistage des déviants et du gène de la déviance. Une perspective qui fait vraiment froid dans le dos, surtout quand on constate cette obstination à la proposer…
Ce nouveau rapport invite l’Etat à prendre les mêmes mesures que celles du rapport de l’Inserm : « développer une culture commune et pluridisciplinaire de tous les professionnels impliqués concernant le repérage et l’offre de prise en charge ; intégrer systématiquement ces questions dans le programme de formation initiale et continue des acteurs concernés (notamment travailleurs sociaux, fonctionnaires de l’Éducation nationale, acteurs judiciaires)… ; assurer le soutien des équipes éducatives en organisant un travail de supervision, dans les établissements et services accueillant des mineurs ». Les enseignants seraient donc au premier rang des indicateurs de cette nouvelle surveillance du conformisme social.